Face à l’intensification des phénomènes climatiques — canicules répétées, tempêtes, inondations — le secteur de l’immobilier est au cœur d’un défi vital : comment adapter durablement les bâtiments pour résister aux chocs à venir ? Partout en France, la désolation des habitants est immense devant les inondations à répétition, les brusques changements de température, les toitures arrachées ou les habitats rendus inhabitables par les aléas climatiques. L’été étouffant succède aux hivers instables, les sinistrés se multiplient, et les territoires les plus fragiles voient leurs repères s’effondrer. Avec le lancement de la Charte d’engagement à l’adaptation du secteur immobilier au changement climatique, l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID) (1) et le Plan Bâtiment Durable (PBD) posent un jalon essentiel. Mais le défi est colossal : le parc bâti français doit être transformé, et vite.
Ce 13 octobre 2025 marque une date charnière pour le secteur immobilier français : l’OID et le PBD ont officiellement dévoilé la charte d’engagement à l’adaptation climatique, rassemblant 18 grands acteurs de l’immobilier. L’adaptation — jusqu’ici souvent reléguée au second plan derrière la décarbonation — occupe désormais une place centrale dans la feuille de route du secteur. Car l’urgence n’est plus théorique : le climat bascule, et les bâtiments mal préparés seront d’immenses vulnérabilités pour les propriétaires, les occupants, les villes. Pour comprendre l’ampleur du défi, quelques chiffres clefs s’imposent.
L’urgence d’adapter : un secteur particulièrement vulnérable
Le rôle majeur du bâtiment dans les émissions de gaz à effet de serre
Le secteur du bâtiment est un contributeur central au bilan carbone national. Il représente environ 29 % des émissions de gaz à effet de serre en France, selon le ministère de l’Écologie. Selon l’ADEME / BâtiZoom, les émissions directes liées à l’exploitation des bâtiments (chauffage, climatisation, usages énergétiques) représentent environ 15,5 % des émissions nationales en 2024.
Sur l’ensemble de la chaîne de valeur du bâtiment (construction, matériaux, entretien, exploitation, rénovation), le secteur atteignait en 2019 quelque 153 millions de tonnes équivalent CO₂, soit près de 25 % de l’empreinte carbone française.
Autre élément de contexte : les émissions liées à l’exploitation représentent en France aujourd’hui près de 77 % des émissions totales du secteur bâtiment (résidentiel + tertiaire).
Émissions totales sur le territoire national liées aux bâtiments (en MtCO2e) :

Ces données montrent qu’on ne peut pas dissocier adaptation et décarbonation : il ne suffit pas de rendre les bâtiments plus sobres en énergie, il faut aussi les rendre résilients face aux aléas climatiques.
Un parc bâti massif à transformer
Le défi de l’adaptation s’ajoute au défi déjà gigantesque de la rénovation énergétique. En France, on compte près de 4,8 millions de bâtiments très énergivores (souvent appelés « passoires thermiques »), soulignant l’urgence des interventions. Le secteur du logement fait face à une chute préoccupante du nombre de rénovations : en 2023, 623 790 logements ont été rénovés (dont 569 243 dans le cadre de MaPrimeRénov’), contre 670 000 en 2022, soit une baisse de l’ordre de 7 %.
Le plan stratégique national fixe l’objectif de réaliser 370 000 rénovations énergétiques par an jusqu’en 2030, puis d’atteindre 700 000 par an à plus long terme pour atteindre les cibles de sobriété énergétique.
Pour ce qui est des bâtiments publics, l’enjeu est, lui aussi, colossal : on estime qu’il faudrait rénover quelque 400 millions de mètres carrés pour les bâtiments de l’État et des collectivités territoriales.
Ces ordres de grandeur montrent que l’adaptation ne peut être un luxe réservé à quelques édifices exemplaires : c’est un chantier de masse, à la hauteur de l’enjeu climatique.
La Charte OID–PBD : un cadre pour structurer l’action
Lancée lors d’un événement réunissant les dirigeants de nombreuses grandes sociétés (BNP Paribas Real Estate, Bouygues Immobilier, Caisse des Dépôts, CBRE France, Groupe CDC Habitat, Covea Immobilier, Esset PM, GA Smart Building, Icade, In’Li, La Poste Immobilier, Nexity, OFI Invest, Perial, SFL, Société de la Tour Eiffel, SwissLife AM, Tikehau Capital), la charte propose un socle partagé d’engagements autour de trois axes :
- Les bâtiments : réaliser une analyse des risques climatiques à horizon 2050, définir des objectifs de réduction de vulnérabilité, mettre en œuvre des actions d’adaptation (dont des solutions fondées sur la nature).
- L’entreprise : adapter ses propres locaux, intégrer les enjeux climatiques dans la gouvernance interne, former les collaborateurs, prévoir des plans de continuité.
- La filière : diffuser les bonnes pratiques auprès des prestataires, mutualiser les retours d’expérience, contribuer à la montée en compétences du secteur.
Une boîte à outils technique (guides, méthodes, indicateurs) et un dispositif de suivi sectoriel (reporting agrégé et rencontres annuelles) sont mis à disposition pour accompagner la mise en œuvre.
Cette charte marque une étape symbolique, mais nécessaire : elle place l’adaptation au même rang que la performance énergétique et la décarbonation.
Pourquoi l’adaptation ne peut pas attendre
Des risques climatiques déjà tangibles
Les vagues de chaleur, les épisodes de pluie extrême, les délais de retour de crue deviennent désormais la norme. Les bâtiments non préparés risquent de subir des chocs thermiques, des dégâts structurels, des perturbations pour les occupants.
L’adaptation ne se réduit pas à quelques interventions ponctuelles : il s’agit d’intégrer dès la conception et dans la rénovation des marges de sécurité — surdimensionnement, ventilation, ombrage dynamique, matériaux résilients, stratégies de rafraîchissement passif, etc.
Le risque d’inertie sectorielle
Sans impulsion collective, le secteur court le risque de rester fragmenté. Les promoteurs, les propriétaires, les exploitants et les collectivités ont besoin d’un cadre pour passer de l’expérimentation à l’échelle industrielle. La charte OID–PBD vise à impulser un « effet d’entraînement » dans la filière, pour faire de l’adaptation une norme, pas une exception.
La fenêtre temporelle est limitée
Adapter un bâtiment prend du temps : études, travaux, concertation, financement, suivi. Si l’on attend de constater les dommages d’abord, certains sites pourraient devenir inopérables (risques d’inondation, stress thermique extrême, effondrements). Il est donc impératif d’anticiper — pas d’attendre — l’aggravation des aléas.
Une charte contraignante ?
L’engagement collectif porté par la charte OID–PBD est un signal fort pour toute la filière immobilière : l’adaptation est désormais un impératif structurant, non une option. Mais cette démarche ne sera crédible que si elle s’accompagne d’une montée en puissance rapide — tant en volume qu’en profondeur — des rénovations et transformations résilientes du parc bâti français. Dans un contexte où le secteur de l’immobilier contribue pour près d’un quart des émissions nationales de gaz à effet de serre, et où des millions de bâtiments restent extrêmement vulnérables, l’heure est à l’action collective.
Reste toutefois une question essentielle : cette charte sera-t-elle réellement contraignante ?
À ce stade, il s’agit avant tout d’un engagement volontaire, fondé sur la responsabilité et la transparence des signataires. Aucun mécanisme de sanction n’est prévu ; la charte repose sur la mobilisation des acteurs et sur le suivi collectif assuré par l’OID et le Plan Bâtiment Durable. Autrement dit, elle instaure une dynamique d’entraînement et de référence, sans force réglementaire.
Cette souplesse présente un double visage : elle favorise l’adhésion d’un large éventail d’acteurs, publics et privés, mais elle pourrait aussi en limiter la portée si les engagements ne sont pas suivis d’effets concrets et mesurables. L’efficacité de la charte dépendra donc de la capacité du secteur à transformer l’intention en action, à publier des résultats tangibles et à démontrer que l’autorégulation peut suffire — sans attendre la contrainte législative.
Face à cette urgence, certaines réponses existent déjà sur le terrain. Parmi elles, l’architecture bioclimatique offre une voie concrète et durable pour repenser la manière de construire et de rénover.
L’architecture bioclimatique : bâtir avec le climat plutôt que contre lui
Si l’adaptation au changement climatique passe par des stratégies globales de résilience et de rénovation, elle trouve aussi une réponse concrète dans la conception même des bâtiments. L’architecture bioclimatique, loin d’être une idée nouvelle, repose sur un principe simple mais essentiel : tirer parti du climat plutôt que de le subir. Elle considère le bâtiment comme un organisme vivant en interaction constante avec son environnement — orientation, relief, végétation, ensoleillement, vent, humidité — afin d’optimiser le confort tout en réduisant les besoins énergétiques.
Dans un bâtiment bioclimatique, chaque décision – choix des matériaux, taille des ouvertures, ventilation naturelle, gestion de l’eau et de la lumière – vise à protéger des excès (froid, chaleur, pluie) et à valoriser les bienfaits naturels (fraîcheur nocturne, chaleur solaire, luminosité). Cette approche ne se limite pas à la performance énergétique : elle améliore aussi la qualité sanitaire et le bien-être des occupants, tout en réduisant l’empreinte écologique du bâti.
Longtemps cantonnée à une démarche volontaire, l’architecture bioclimatique s’est imposée progressivement dans les normes françaises. Depuis la réglementation thermique 2012 (RT 2012), tout logement neuf doit intégrer des principes bioclimatiques, désormais renforcés par la réglementation environnementale RE 2020. Celle-ci introduit un nouvel indicateur de confort d’été, le « degré-heure », mesurant la durée pendant laquelle la température intérieure dépasse les seuils acceptables. Si un projet franchit la limite haute — fixée à 28 °C — il doit être repensé.
Mais la RE 2020 va plus loin : elle combine performance énergétique, empreinte carbone et qualité du confort d’été, préparant ainsi les bâtiments neufs au climat de demain. Reste un défi majeur : ces exigences ne concernent que les constructions neuves, alors que la majorité du parc français est ancien. C’est pourquoi les projets de réhabilitation et de rénovation auraient tout intérêt à s’inspirer de la philosophie bioclimatique, pour transformer le bâti existant en un allié plutôt qu’en victime du changement climatique.
Dans un contexte climatique qui se durcit, l’adaptation volontaire ne pourra longtemps se substituer à l’adaptation obligatoire. La charte OID–PBD ouvre la voie ; il appartient désormais à la filière, et sans doute bientôt au législateur, d’en faire une exigence partagée et durable. En 2050, le paysage urbain n’aura pas radicalement changé. Le taux de renouvellement des bâtiments de l’ordre de 1 % par an imposera de faire avec les bâtiments existants ou en cours de construction. Un large panel de techniques existe pour les protéger des aléas climatiques. Pour autant, pas de solution miracle. Tout dépend du contexte et de leur vulnérabilité. Une chose est sûre : s’en tenir au bâtiment seul ne suffira pas.
Adapter les bâtiments suffira-t-il ? Il paraît aussi indispensable de penser autrement l’aménagement du territoire et d’observer certains principes, notamment pour ce qui est du risque d’inondation : faciliter l’écoulement des eaux de ruissellement (par exemple en jouant sur l’orientation des bâtiments), anticiper les circulations en cas de crue, sans oublier les « solutions d’adaptation fondées sur la nature ». Il s’agit d’encourager toutes les pratiques naturelles qui permettent d’absorber les eaux de pluies ou de les reconnecter à leurs nappes phréatiques : désimperméabiliser les sols, implanter des noues, des jardins de pluies, restaurer les zones humides, rendre aux rivières leurs méandres pour réduire le débit d’eau…
Pour aller plus loin :
- Mieux reconstruire après l’inondation, le dispositif Mirapi qui vise à aider les sinistrés à reconstruire leur habitation de façon plus « résiliente », en mutualisant les travaux de réparation et/ou de remise en état post inondation et ceux de réduction de la vulnérabilité. Il est financé par le Fonds Barnier et concerne les habitations sinistrées couvertes par un contrat d’assurance.
- Pilotée par l’Observatoire de l’Immobilier Durable, la plateforme R4RE (Resilience for Real Estate) comprend un outil d’analyse de risques climatiques et un volet d’analyse des risques biodiversité. Il suffit de sélectionner l’adresse du bâtiment ou du projet à analyser sur une carte, de répondre à une série de questions sur le bâtiment pour affiner le résultat et obtenir un diagnostic assez précis.
- Guide des actions adaptatives au changement climatique del’OID.
(1) Association indépendante, l’Observatoire de l’Immobilier Durable (OID) a pour but d’accélérer la transition écologique du secteur de l’immobilier en France et à l’international. Composée de plus de 150 adhérents et partenaires parmi lesquels les leaders de l’immobilier, l’OID constitue la référence pour toute la chaîne de valeur du secteur, et promeut l’intelligence collective pour résoudre les problématiques environnementales, sociales et sociétales de l’immobilier. L’OID produit des ressources et outils au service de l’intérêt collectif.
www.o-immobilierdurable.fr
Photo d’en-tête : Près de Tours (37), la résidence Nouvel R a été entièrement construite sur une zone inondable : les habitations sont bâties sur pilotis, reliées par des coursives, avec une emprise au sol minime pour faciliter l’écoulement des eaux.







