Sous l’intitulé « Comment la biologie synthétique et la conservation vont-elles modeler l’avenir de la nature ? », un colloque rassemble cette semaine, à Cambridge, des « biologistes de synthèse» et des spécialistes de la conservation de la biodiversité. Ces deux communautés ont des choses à se dire, au-delà des titres médiatiques sur la résurrection d’espèces.
Une étude parue dans Nature réalisée sous la direction de Chris Thomas et reposant sur un échantillon de régions couvrant 20 % de la surface terrestre montrait que les changements climatiques entraîneront à eux seuls la perte de 15 % à 37 % des espèces vivantes d’ici 2050, suivant les scénarios. Ce qui, ajouté aux autres causes de disparition d’espèces (morcellement et destruction des habitats, notamment), annonce la septième crise d’extinction massive des espèces que la Terre ait connue, cette fois pour des raisons anthropiques.
Face à cette menace, une ONG internationale, la Wildlife Conservation Society, organise, du 9 au 11 avril 2013 à Cambridge, la conférence « Synthetic Biology and Conservation ». Argument principal apparent : pour Paul Freemont, du centre de biologie de synthèse à l‘Imperial College de Londres, la biologie de synthèse peut créer un système biologique entier à l’instar d’un ingénieur avec ses équipements, et cela, à partir de matériaux de base (1). En clôture du colloque interviendra Thomas Landrain, président de l’association La Paillasse. Ce dernier est actif dans le débat et propose d’ailleurs de sonder les opinions avec un questionnaire en ligne.
Améliorer les pratiques
Cette rencontre vise tout d’abord à permettre aux spécialistes de la biologie de synthèse et à ceux de la conservation de la biodiversité « d’apprendre les uns des autres, d’échanger des points de vue et d’explorer comment leurs deux disciplines peuvent le mieux s’aider l’une l’autre ». Il en ressortirait « une amélioration des pratiques de la conservation, plus informée sur la biologie de synthèse, et concomitamment un perfectionnement des pratiques de la biologie de synthèse, mieux informée sur les préoccupations et impératifs de la conservation de la biodiversité » (2).
Ainsi, la prise en compte de la biologie de synthèse dans les projets de conservation des espèces semble tout aussi primordiale que la prise en compte de la biodiversité dans les pratiques de la biologie de synthèse. Les organisateurs du colloque n’appréhendent la biologie de synthèse ni comme une solution miracle ni comme un problème à bannir, mais comme une discipline capable d’interagir avec les problématiques actuelles de sauvegarde de la biodiversité.
Les perspectives d’une « fabrique de vivants artificiels » à des fins de conservation des espèces font polémique comme le soulignent l’article de cadrage du colloque, qui rappelle les risques posés par la biologie de synthèse sur la biodiversité et les écosystèmes, et les commentaires que reçoit le site du Guardian, qui a publié plusieurs articles sur le sujet.
Certains y voient le risque de contaminations massives par des microorganismes artificiels. Que contrôle-t-on en effet quand une nouvelle souche microbienne surgit, comme on le voit aujourd’hui avec la souche grippale H7N9 ?, interroge un internaute. Jim Thomas, de l‘ONG ETC Group, estime qu’il serait nécessaire de parler dans un premier lieu de l’impact actuel du développement de la biologie de synthèse et de ses applications industrielles.
Les « pâles copies » d’espèces
(Photo : Grenouille endémique de Porto Rico (Eleutherodactylus juanariveroi). Crédit : Carlos Pacheco, USFWS)
L’une des perspectives âprement discutée est la reconstitution d’espèces, dont l’un des partisans, George Church, du MIT, est aussi un des artisans de la biologie de synthèse outre-Atlantique. Church va jusqu’à estimer probable qu’on puisse redonner vie par clonage à un homme de Néandertal à partir d’ADN fossile. Mais dans un article paru dans les blogs des invités de Mediapart, le 21 mars, Jacques Testart et Alain Dubois contestent ces « fausses bonnes idées », arguant que les espèces « ressuscitées » ne seront en réalité que de « pâles copies » des originales, puisque l’ADN ne peut apporter tous les éléments nécessaires à une reproduction parfaite. De plus, ce nouveau rêve prométhéen est une façon de ne pas s’occuper des problèmes actuels : « Plutôt que de tenter sans grand espoir de » ressusciter » les espèces éteintes, nous devrions nous préoccuper de réduire les extinctions en cours », affirment-ils.
Un commentateur de la liste de diffusion SynBioCritics, Pete Shanks, souligne quant à lui à la fois les aspects économiques d’une telle démarche, qui ne manqueront pas d’attirer les investisseurs, et les arguments psycho-sociaux, qui transforment cette action en une sorte de « compensation » des impacts environnementaux dont les gens se sentent responsables (3).
Cette discussion spécifique, qui n’est qu’une partie de celles qui sont au cœur des rapports entre conservation et biologie, souligne la diversité des points de vue face aux interventions sur le vivant. Elle survient alors que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, en France, met en place un Forum de dialogue sur la biologie de synthèse dans lequel les aspects sociaux et éthiques ont leur place. Une première session est prévue le jeudi 25 avril à 18h30 au CNAM (Paris), sous l’égide de l’Observatoire de la biologie de synthèse.
Stella d’Amore, coordinatrice des Assises du vivant 2013, VivAgora / Avril 2013
(1) R. McKie, Call for DNA biologists to join fight against deadly new threats to wildlife, The Guardian, 7 avril 2013.
(2) Framing paper prepared for a meeting between synthetic biology and conservation professionals, written by Kent H. Redford, William Adams, Georgina Mace, Rob Carlson, Steve Sanderson, and Steve Aldric.
(3) P. Shanks, Should We Be Trying to Bring Extinct Species Back to Life?, AlterNet, 8 Avril 2013.