Compte-rendu de la première conférence sur l’utérus artificiel : « Entre obstacles techniques et verrous symboliques »
Mardi 16 avril s’est tenue la première conférence de ce cycle sur l’utérus artificiel autour de l’intitulé « Entre obstacles techniques et verrous symboliques » à l’initiative de l’association FiXience. Réunissant le biologiste et philosophe des sciences Henri Atlan, le médecin obstétricien « père » du premier bébé éprouvette français René Frydman ainsi que l’anthropologue et ethnologue Françoise Héritier, cette première conférence s’est tenue dans une salle comble d’environ 150 personnes, après avoir été introduite par une pièce de théâtre écrite pour l’occasion par la troupe L’Art en Pièces.
Abordant dès la première intervention la question des obstacles techniques, Henri Atlan annonce d’emblée que la mise au point d’un utérus artificiel ne pose pas d’« impossibilité biologique fondamentale ». La venue d’un tel dispositif n’est selon lui qu’une question de temps, de l’ordre de 50 à 100 ans si la société en veut bien, ce délai dépendant, en définitive, d’un choix de société qui en régira l’utilisation.
René Frydman, René Atlan et Françoise Héritier © FiXience 2013
Pour H. Atlan comme René Frydman, le principal défi technique consiste à reproduire les fonctions du placenta. Le second scientifique est cependant plus « dubitatif ». S’il cite les recherches qui ont permis de développer des utérus artificiels pour sauver certaines espèces de requins en voie d’extinction, le médecin obstétricien souligne néanmoins l’importance des échanges non seulement chimiques mais aussi humains entre le fœtus et la mère, comme cela est particulièrement manifeste dans le cas des grands prématurés.
N’excluant pas les conséquences psychiques du développement prénatal humain, H. Atlan cherche toutefois à nuancer : ces expériences sur les grands prématurés montrent aussi qu’être placé dans une couveuse, y compris au moment où les rapports foeto-maternels sont les plus importants, n’a pas de conséquence sur le développement physiologique du fœtus. Au sein de ces expériences, précise H. Atlan, les relations affectives entre le fœtus et la mère ne sont pas non plus absentes puisqu’elles sont simulées par le personnel médical, de la même façon que, explique Françoise Héritier, l’amour maternel est parfois pris en charge par des « démarreuses », ces femmes qui aux Etats-Unis sont payées par des couples homosexuels masculins afin de prendre le relais des mères porteuses biologiques. Sur l’importance du lien maternel, H. Atlan ajoute enfin que ce lien n’est pas toujours bénéfique, qu’il s’agisse des mères tabagiques, alcooliques, toxicomanes ou qui ne suivent plus généralement pas un régime adéquat.
D’après R. Frydman, avec l’utérus artificiel se repose comme avec la génétique la question de la parentalité : un enfant est-il notre enfant parce qu’il possède nos gènes ou parce que nous l’élevons ? Avec les différentes techniques de procréation médicalement assistée, on assiste à la multiplication des différents types de pères et de mères : on peut d’ores et déjà distinguer les mères et les pères génétiques, les mères porteuses, les mères et les pères adoptifs – sans compter les « mères et les pères spirituels »…
D’après F. Héritier, l’utérus artificiel implique aussi la possibilité que ce soit tantôt l’homme, tantôt la femme qui conçoive l’enfant. Le principal changement dans les structures sociétales concernerait en ce sens les relations hommes-femmes, et pourrait consister en une amélioration notable de la condition féminine. Sur ce point cependant, l’anthropologue émet de nombreuses réserves. Les femmes, au cours de l’histoire, ont toujours payé le prix de la reproduction sociale, que ce soit au sein de leur corps comme au sein de leur métier. Dans l’imaginaire de très nombreuses sociétés, les femmes sont vues comme des récipients (des marmites dans diverses cultures africaines, des vases sacrés d’après la pensée chrétienne) mis à la disposition des hommes pour qu’ils fassent des enfants. Force est de constater, poursuit-elle, que dominent encore presque partout les représentations du sexe masculin, comme ces deux éternelles revendications masculines que sont le choix du sexe de l’enfant (un garçon pour un grand nombre de sociétés) et la connaissance certaine du père (les hommes détestant généralement l’infidélité). L’utérus artificiel, puisqu’il permettrait de réaliser ces fantasmes masculins présents depuis au moins l’Antiquité, pourrait donc très bien servir à renforcer la domination masculine. A la question de l’émancipation des femmes par le biais de l’ectogenèse (soit de l’utérus artificiel), F. Héritier ne se voit ainsi apporter qu’« une réponse ambiguë ».
Rappelant que les argumentaires des féministes vont sur ce point dans les deux sens, H. Atlan précise que le choix du sexe comme la connaissance de la paternité existent déjà avec la procréation médicalement assistée (même si, en France, le sexing comme on l’appelle outre-Atlantique est interdit). Selon l’auteur de L’utérus artificiel, l’ectogenèse apporte une égalité de plus entre hommes et femmes, qui est l’égalité face au fait de porter l’enfant. Que cette égalité aille dans le sens des femmes ou leur nuise, H. Atlan conteste l’exemple pris par F. Héritier suivant lequel les femmes continuent à s’occuper du linge même après l’invention de la machine à laver : le lave-linge est pour lui « quand même » un facteur de libération pour les femmes, même si pour elle le « grand facteur de libération pour les femmes au 20ème siècle » est la contraception (interdite dans tous les pays où les femmes ne peuvent pas choisir leur conjoint). Conformément à son analyse l’anthropologue se livre au pronostic suivant : la première revendication qui suivra l’utérus artificiel sera celle du choix du sexe de l’enfant.
Parce qu’ils adoptent une position beaucoup plus sceptique que celle d’H. Atlan (qui, répète-t-il au fil de ses interventions, n’est pas un défenseur de l’utérus artificiel même s’il se « retrouve toujours dans les débats à faire l’avocat du diable »), F. Héritier et R. Frydman mettent en avant des alternatives. Plutôt qu’un utérus artificiel, pourquoi ne pas chercher à mettre au point des grossesses extra-utérines, c’est-à-dire hors de l’utérus dans des tissus vascularisés comme l’épiplant ou… les testicules ?
Plus sérieusement, R. Frydman évoque les recherches en cours qui ont permis de greffer un utérus à une femme qui est actuellement enceinte de trois semaines, recherches qui, pour H. Atlan, ne sont pas moins soumises à de sérieux obstacles techniques (liés au rejet de la greffe comme à celui du fœtus) et moraux (posant les problèmes de l’expérimentation sur les fœtus humains).
Pour R. Frydman, l’impossibilité de porter un enfant doit aussi amener à s’interroger sur le désir d’enfant à tout prix, de même qu’à la revendication féministe d’« un enfant quand je veux » doivent selon lui se substituer les revendications politiques permettant de faire cesser la peur de perdre son travail suite à un congé maternité ou de faciliter l’accès aux crèches. F. Héritier propose quant à elle de mettre en avant l’idée de comptabiliser le travail domestique des femmes dans le P.I.B, idée qui s’inscrirait dans une « volonté globale éducative ». Avant l’arrivée de l’ectogenèse, il faut d’abord changer les mentalités. « Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs », avertit-elle.
Au-delà de ces différents obstacles techniques et moraux, l’utérus artificiel répond-il à une demande des femmes et des couples ? Pour R. Frydman, il y a peu de chance que l’ectogenèse remplace définitivement la grossesse traditionnelle, étant donné selon lui le grand plaisir apporté par la grossesse, comme en témoigne l’exemple de certaines de ses patientes désirant vivre l’état de grossesse sans nécessairement vouloir d’enfant. Par ailleurs, le médecin ne voit pas dans l’utilisation de l’utérus artificiel la fin de toutes les contraintes, soulignant l’incommodité qu’il y aurait à « caresser le bébé dans l’eau du bain pendant 9 mois ».
H. Atlan met pour sa part en avant le désir médical de pallier l’infertilité, infertilité contre laquelle toutes les sociétés ont cherché à lutter comme le rappelle F. Héritier, qui cite une anecdote rapportée par Cicéron il y a plus de 2000 ans faisant mention du « prêt » d’un utérus d’une femme à un couple dont la femme ne pouvait avoir d’enfant. A cette demande médicale suivra très probablement, selon H. Atlan, une demande non médicale de confort, provenant de femmes ne voulant pas subir les contraintes d’une grossesse.
Aux propos des intervenants font écho les interrogations du public.
Au risque de chosification des enfants soulevé par R. Frydman, un participant se demande si une dérive de l’utérus artificiel ne serait pas de créer des bébés comme on crée et jette un tamagotchi. Selon H. Atlan et F. Héritier, ce risque existe bel et bien déjà avec la multiplication des différents types de pères et de mères (amenant à de plus en plus « diluer » la responsabilité des parents) et en particulier avec la gestation pour autrui (lorsque l’enfant ne correspond pas au désir des parents qui ont « passé la commande »).
Un intervenant s’interroge sur la possibilité qu’un enfant naisse de deux femmes, en stimulant un ovule pour qu’il devienne spermatozoïde. D’après H. Atlan, une telle possibilité est concevable techniquement (et existerait déjà pour les souris) mais pose la question de la motivation : comme le clonage reproductif, une telle technique n’aurait que peu d’avantage, y compris en termes de sélection naturelle puisque, comme le rappelle F. Héritier, la reproduction sexuée est apparue beaucoup plus avantageuse pour la survie des espèces que la reproduction asexuée.
Selon l’anthropologue, l’échange avec l’Autre est une nécessité pour l’Homme, comme l’auraient bien compris les sociétés primitives en introduisant les interdictions de l’inceste et de l’endogamie. Pour R. Frydman, ce cas de figure pose également le problème de la disomie uniparentale, une maladie liée au fait que les deux chromosomes de l’individu proviennent d’un seul des parents. (Il est à noter, cependant, que la question semble avoir été mal comprise par les intervenants. Ce n’est pas d’une même femme que les deux ovules sont dits être prélevés, mais de deux femmes et donc de deux patrimoines génétiques différents ; ce qui ne poserait pas les problèmes évoqués.)
Ayant fait partager le contenu de certaines interventions sur Twitter, une participante relaie la question d’un utilisateur se demandant pourquoi, d’après H. Atlan, la question de l’utérus artificiel est indépendante de la situation décrite dans Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Pour H. Atlan, l’utilisation de l’ectogenèse est, comme toute technique, déterminée par le milieu social dans lequel elle s’inscrit. Afin d’éviter d’associer à cette technique les fantasmes qui lui sont couramment attachés par les films de science-fiction, il suffirait, explique-t-il, d’imaginer un couple traditionnel voulant avoir un enfant que la mère ne peut ou ne veut pas porter. F. Héritier poursuit le raisonnement en précisant qu’un système comparable à celui décrit dans le livre d’Huxley existe depuis longtemps avec le système de castes indien.
Dans la même veine, un participant pose le danger de la recherche d’un homme parfait. Or selon H. Atlan, l’utérus artificiel aura au moins l’avantage d’apporter de la transparence au niveau du développement. Une dernière participante se demande si l’ectogenèse ne risque pas de détruire la magie ou le « miracle de la vie ». Pour l’auteur de L’utérus artificiel, le fait que l’on soit tous des « machines physico-chimiques » n’empêche pas qu’il y ait une certaine magie de la vie. Mieux vaut la recherche scientifique que de « rester béat ».
(Source : CR FiXience – 9 Mai 2013) http://fixience.fr/
Nouvelle Conférence du 21 mai 2013 sur l’utérus artificiel : La maternité, un enjeu de pouvoir ?
Vidéo sur l’ectogenèse : rêve du patriarcat, faire des bébés sans les femmes…
– Article dans mondeo.fr : Demain, l’utérus artificiel ?
– Article dans Implications philosophiques : L’utérus artificiel, par Claire Abrieux
– Article dans Sciences humaines : L’utérus, la technique et l’amour. L’enfant et l’ectogenèse.