La ‘maîtrise des coûts’ : ‘tarte à la crème’ mais toujours un enjeu majeur, rarement abordé de manière holistique et méthodique alors qu’il recouvre un énorme avantage concurrentiel en même temps qu’une assurance ‘tous risques’. Le pilotage est plus réactif que préventif, ce qui ne fait souvent qu’aggraver les choses. Comment expliquer sinon la vague de ‘plans sociaux’ , ‘restructurations’ et autres actions d’ingénierie sociale. Beaucoup de managers s’appuient sur la méthode Coué ou tentent un freinage d’urgence en lançant une chasse effrénée aux ‘gaspis’, elle-même stimulée par une communication incantatoire et hypnotique (du style ‘les petits ruisseaux font les grandes rivières’) qui ambitionne de déclencher les réflexes pavloviens salvateurs.
Certains font appel à des ‘costs killers’ qui obtiennent souvent des résultats probants mais parfois au prix de dégâts collatéraux mal maîtrisés (e.g : perte de talents) : le « freinage d’urgence » peut vous faire déraper…
Même si une embellie économique semble se dessiner, la pression sur les coûts n’est pas prête de se relâcher, avec, en première ligne, les fonctions de support et les fournisseurs. Près d’un tiers des banques du top-25 annoncent des plans de réduction des coûts de 6-7% à l’horizon 2014-2015, d’autres affichent des objectifs moins ambitieux ou même flous pour près de 40%. La maîtrise des coûts passe souvent par leur transformation: les modèles doivent être revisités vers plus de transparence, de simplicité et d’ « agilité ». Vu la complexité croissante des processus, l’intégration des systèmes, les organisations ‘matricielles’, le rôle polymorphe de l’IT…, appréhender le prix de revient reste un exercice délicat avec en corollaire, des difficultés pour piloter la stratégie, apprécier la rentabilité ou simplement élaborer une offre de prix! Le modèle des coûts n’est pas statique mais se préparer au pire ne peut que vous exposer… à de bonnes surprises !
Comment maîtriser les coûts ?
En réconciliant la technologie avec le contrôle de gestion et les méthodes de « cost modelling » et de reengineering de processus. Comment maîtriser les coûts s’il n’est pas possible de déterminer la relation avec les activités qui les consomment ou les génèrent ?
La maîtrise des coûts passe notamment par la mise en place de capteurs permettant de mesurer automatiquement le comportement des processus : capacité, maturité, unités d’œuvre, lead time… Bien entendu en essayant de ne pas construire ou transformer une ‘usine à gaz’, en capitalisant sur l’existant et sans réinventer la roue ; vous n’avez pas le temps, la chasse aux coûts s’opère souvent dans l’urgence. Il y a lieu d’engager simultanément plusieurs types d’actions :
• Traduire si nécessaire la stratégie en objectifs chiffrés.
• Modéliser l’entreprise. La cartographie des processus.
• Mesurer les processus. Les charges, la capacité, le ‘lead time’, la ‘maturité’.
• Calculer les coûts en sélectionnant la bonne méthode. Activity Based Costing.
• Numériser. Les intangibles, les compétences. ERP. CRM.
• Piloter les coûts. Le management cockpit. Activity Based Management. Activity Based Budgeting.
• Réduire les coûts. Lean Six Sigma.
• Pérenniser dans la gouvernance et la culture. Appropriation.
Ceci impliquant de coordonner plusieurs types d’acteurs : l’Exécutif, le Contrôle de gestion (CFO), la DSI, l’Organisation, les OPS, le PMO… Une logique de projets, des investissements, un plan directeur, un Architecte…
Les objectifs du pilotage des coûts : la performance !
La modélisation des coûts n’a plus pour seule vocation de chiffrer un prix de revient, une fois tous les deux ans. Au-delà de leur aptitude à rendre lisibles les coûts, les solutions doivent permettre d’améliorer, d’optimiser les processus, de décider de l’externalisation ou non de certaines fonctions… Le pilotage des coûts doit offrir les services suivants à tous les niveaux décisionnels :
• Piloter la stratégie, les objectifs de performance, le budget. La flexibilité, la réactivité. Réagir par rapport au gonflement anormal, non-linéaire ou décorrélés.. de certains postes.
• Orienter la politique commerciale en privilégiant les segments les plus rentables.
• Permettre de déterminer les prix de la manière la plus fine possible, non seulement en fonction du produit mais également du segment de clientèle (couple client/produit).
• Apprécier les charges et la valeur créée par toutes les activités : opérations, supports, projets (de tout type).
• Donner aux commerciaux une connaissance suffisante des coûts liés à chaque segment, soit un gage de rentabilité et un argumentaire lors de négociations tarifaires.
• « Comprendre » le fonctionnement de l’entreprise et corriger par exemple des anomalies structurelles dans le poids des fonctions de support ou constater que le FO consacre trop de temps à faire du BO… au profit d’un seul segment et que certains coûts indirects doivent être requalifiés. Détecter des effets de ‘subventionnement’ entre produits ou clients.
La nébuleuse des coûts
Les frais généraux recouvrent habituellement entre 200 et 300 postes répartis en 5 grandes familles : investissements (IT, immobiliers, R&D), impôts et taxes, opérations, consommables, services achetés ou loués. Les ‘coûts’ trouvent en effet leur source dans de multiples gisements qui sont souvent interdépendants:
• Coûts de production.
• Coûts des matières premières et des services achetés ou loués.
• Coûts de structure (armée mexicaine, processus éclatés, responsabilités diluées).
• Coûts de coordination amenés notamment par des responsabilités mal définies et qui provoquent la réunionite.
• Coûts financiers directs et indirects. Le loyer de l’argent.
• Coûts liés à la non-qualité ou à des déficiences organisationnelles.
• Coûts directs et indirects des projets informatiques. TCO.
• Coûts d’opportunité (substitution, renoncement, retards de projets).
• Coûts de distribution (marketing, publicité).
• Déséquilibres entre besoins et ressources (IT, RH…).
Traiter chaque gisement demande d’engager des moyens spécifiques. Une simplification du business model peut être nécessaire pour le débarrasser de clients et/ou de produits ‘toxiques’.
Le discours de la méthode … ABC
Dans le secteur financier, vu la complexité des processus, la structure des coûts est largement dominée par les coûts indirects. L’approche type ABC devrait donc s’imposer mais elle ne serait utilisée que par un peu plus de 50% des établissements : situation paradoxale dans la mesure où cette méthode est incontournable :
• Pour déterminer et chiffrer les ‘vrais’ inducteurs de coûts.
• Pour mesurer les différents axes de revenus (produits, segments de clientèle, métier…).
• Pour analyser la performance opérationnelle et détecter les dysfonctionnements.
• Pour piloter l’entreprise selon une vue ‘métier’ plutôt qu’inspirée par l’organigramme.
Les fondements de cette méthode datent des années 80 mais l’Informatique lui a offert une seconde jeunesse, permettant notamment son utilisation par les PME. Sa mise en œuvre, avec l’architecture IT (DB, ERP) qui la soutient, n’est pas un travail simple ; la prudence recommande le prototypage ou le rodage par un déploiement progressif. Quatre étapes clés :
• La définition des objectifs stratégiques, les bénéfices attendus.
• La cartographie des processus, socle de tous les outils de management.
• La mesure de la consommation et allocation des ressources, de manière transparente et acceptée.
• La mise en place systématique, dans tous les processus, de sondes automatisées et documentées (sortes de ‘tachygraphes’) permettant de capter et de modéliser les éléments de mesure.
Les outils de pilotage des coûts
Pour piloter les coûts, plusieurs types d’outils doivent être mis en place..
• Les outils de modélisation pour fournir l’indispensable ‘cartographie des processus’ et des flux entre eux. La boîte à outils de Lean Six Sigma.
• La comptabilité analytique. Les défis de granularité et stabilité.
• Les méthodes de mesures de coûts. ABC.
• Les mesures de ‘processus’: unités d’œuvre, capacité, maturité, fluidité (lead time), qualité.
• Les outils de management : ERP, ABM , ABB, le « Management cockpit ».
• Les outils prédictifs (simulations), intégrant des courbes d’évolution des paramètres macro-économiques.
• Un ‘framework’ permettant de pérenniser et fructifier ce savoir-faire: gouvernance, méthodes (lean six sigma, ABC/ABM/ABB), automatisation systématique des mesures, base de données, outils de management opérationnel, appropriation et greffe génétique dans la culture de l’entreprise…
La mise en place d’un ERP et de l’ABx sont des projet stratégiques qui peuvent s’étaler sur 12 à 24 mois et représenter un investissement pour 10 ans. Ils doivent faire l’objet d’une vision claire et d’une forte implication des clients internes, afin de faciliter l’appropriation par une adoption choisie plutôt que subie.
Réduire les coûts – Quelques pistes
La réduction des coûts opérationnels s’obtient par la fluidité des processus, les économies d’échelles, la simplification, l’ajustement des ressources aux besoins. Les grands leviers :
• « Lean Six Sigma » pour supprimer les activités ne créant pas de valeur, réduire la variabilité, améliorer la performance, la qualité, au sein des processus et entre eux (FO / MO/ BO).
• Les économies d’échelles, en retenant qu’elles ne sont pas la panacée universelle puisqu’elles se paient parfois par une perte de flexibilité.
• La simplification. L’élimination des clients et des produits toxiques.
• ‘Just-in-time’ / ‘Scalability’: équilibre ressources/besoins pour maîtriser les variations liées aux effets saisonniers ou les arrivées/départs de ‘gros clients’, éviter la sur- ou sous-capacité, etc. Le « Cloud computing » pour transformer des investissements IT (CAPEX) en dépenses d’exploitation (OPEX).
La réduction des coûts de structure impose l’aplatissement de la dite structure et donc la suppression de certaines couches de l’organigramme. Il faut parfois du courage politique pour supprimer des postes honorifiques ou fusionner des équipes appartenant à des directions différentes.
La réduction des coûts de coordination. La réunionite est symptomatique de déficiences organisationnelles. Un organigramme illisible, des responsabilités diluées, des procédures mal définies… vont augmenter les besoins de coordination et concertation. Les responsables n’ont d’autre choix que de se réunir très souvent pour clarifier qui-fait-quoi-quand-comment-où!
Le loyer de l’argent. Les retards de facturation ou d’encaissement.
Information is power … provided it is accurate & standardized & digitalized !
« You can’t manage what you can’t measure ». Les ‘Big data’ sont une arme fatale mais encore faut-il savoir les créer, modéliser, uniformiser, agréger, exploiter (BI)… ‘Big data could be a big investment’ : il ne sert à rien de louer des petabytes (millions de Gigas) dans le cloud si c’est pour y entasser des strates de données aux contours imprécis et parfois redondants. Différents chantiers informatiques devront être lancés pour assainir progressivement le S.I., standardiser, numériser les « intangibles » (le référentiel de compétences, les contrats…), mesurer la qualité, les activités…
Réfléchir avant d’agir : avant de développer une telle BD, il est indispensable d’en définir les objectifs business ainsi que les moyens informatiques et organisationnels qui devront être mis en œuvre. La crédibilité des tableaux de bord et l’efficience du management passe par la qualité des données.
La faisabilité d’un modèle ABC est en grande partie liée à la disponibilité des données. Une attention particulière doit être portée à ce point le plus tôt possible dans le cycle du projet.
Le ‘lead time’ (temps de défilement) des processus doit être mesuré de manière continue pour détecter toute anomalie liée par exemple au vieillissement des systèmes, à la disponibilité des inputs, à la complexification…
On ne peut pas gérer ce qu’on ne peut mesurer mais on ne peut pas tout mesurer..
Pérenniser – La gouvernance des coûts
Comme pour la qualité, le pilotage des coûts passe par une conscientisation collective et une greffe dans l’ADN de l’entreprise, sans sombrer dans des débauches administratives ou une inflation de rapports chronophages. Le ‘management cockpit’ doit fournir des informations réellement décisionnelles, sans saturer la ‘bande passante’ des décideurs par des overdoses.
Le succès de la démarche passe également par une évolution du rôle du Contrôle de Gestion qui ne peut plus se maintenir dans un rôle de contrôle budgétaire mais devrait ‘surveiller’ tous les vecteurs (pas seulement les vecteurs comptables) qui créent la performance et maîtriser leurs dépendances croisées. En occupant un rôle de sentinelle et d’animateur pour définir les seuils d’alerte, centraliser, consolider, homogénéiser le reporting … pour le redistribuer aux Managers à tous les niveaux requis. A voir s’il dispose de la marge de manœuvre, des outils et des ressources pour mener de front toutes ces missions… et pour déclencher les traitements curatifs : réorganisation, BPR, délocalisation, externalisation, cloud computing, etc.
Banks ability to prepare cost model for tomorrow will differentiate winners from losers. Roland Berger.
Bernard Timmermans (www.strategic-pilot.com)