« Il nous faut intégrer une communauté humaine qui se contente de peu mais produise de la joie ». Pierre Rabhi.
Les 215 000 employeurs de l’ESS (Economie sociale et solidaire), à 76 % sous statut associatif, jouent d’ores et déjà un rôle essentiel dans notre pays, où ils comptent globalement 2,3 M de salariés et des légions de bénévoles.
L’avènement en 2012 d’un Ministère de l’Economie sociale donne un second souffle à ce secteur encore méconnu mais chargé d’espoir et où beaucoup reste encore à faire en matière de financement, de réglementation et de visibilité.
Ses principales composantes (mutuelles, coopératives, réseaux d’entr’aide, collectifs citoyens…) ont pour socle commun les quatre valeurs suivantes : finalité sociale et/ou solidaire, lucrativité nulle ou limitée, gouvernance démocratique, économie de proximité.
Depuis son démarrage au siècle dernier, dans plusieurs pays d’Europe, l’ESS a été essentiellement animée par des militants et des travailleurs sociaux. Ce paysage est en train de changer, notamment sous l’influence d’une crise, prévue de longue date par des prophètes comme Emmanuel Mounier, René Macaire et Jacques Robin.
Un innovateur ambitieux : l’entrepreneur social
Ces citoyens engagés sont en effet rejoints par une nouvelle génération d’entrepreneurs décidés à mettre « leur efficacité économique au service de l’intérêt général », titre du Livre Blanc du Mouves (mouvement des entrepreneurs sociaux) fondé en 2010 et agissant en synergie avec des réseaux européens. Comme il est de règle dans l’ESS, ils considèrent que ni la croissance ni le profit ne sont des fins en soi mais qu’ils peuvent battre en brèche les effets de la crise, à condition d’être équitablement produits, répartis et réinvestis.
Il est clair que l’avenir de cette vision est tributaire du soutien d’une communauté mondiale interactive. Telle est précisément la stratégie que l’Association internationale Ashoka, née aux USA, financée par des donateurs privés, met en oeuvre depuis 1980, au profit d’entrepreneurs novateurs en matière sociale. Elle est présente aujourd’hui dans 75 pays, dont la France, depuis 2003.
Les Boursiers d’Ashoka sont sélectionnés annuellement, pour une durée de trois ans, par des jurys très exigeants. Leurs critères de sélection mettent l’accent sur la capacité du porteur de projet à « changer le système » dans son domaine , afin d’y améliorer les conditions de vie et de travail des populations concernées.
Dans 80 % des cas, les projets retenus sont des succès, aptes à se prolonger sur le mode de l’autofinancement. C’est ainsi que de proche en proche une innovation sociale novatrice parvient à faire émerger autour d’elle des élans collectifs de même nature, appelés à se démultiplier.
Pour Ashoka et les 2 000 associés de son réseau mondial, le retour sur investissement se mesure à l’ampleur de ses retombées sociales ; par exemple au nombre d’enfants libérés de l’esclavage, ou encore à celui des foyers démunis pouvant accéder aux produits de première nécessité comme l’éducation et la santé. Dans les deux exemples ci-dessus, ils représentent globalement plusieurs millions de bénéficiaires.
Ce bilan impressionnant est encourageant pour l’efficacité de l’élan citoyen, même quand il est réduit à sa plus simple expression : la conscience d’une seule personne. L’exemple d’Ashoka démontre aussi que cet élan, pour s’imposer, doit recourir, en tant que de besoin, à des concours extérieurs, par exemple en intelligences, outils et méthodes de travail. Mais ici encore, l’efficacité n’est pas tributaire d’indicateurs quantitatifs. Tant il est vrai que le combat citoyen n’a pas de meilleur encouragement que celui de l’horizon qu’il se donne : l’espérance. On peut dire de lui ce que Bernanos disait d’un de ses héros : « même en difficulté, il jette l’espérance à pleines mains ».
En Italie : une autre économie (1)
L’Italie, où elle a pris naissance, reste une terre d’élection pour une Economie imaginative se voulant sociale et solidaire. Aux pratiques, bien connues en France, du partage et de la protection des biens communs , s’ajoutent en effet dans ce pays des initiatives de grande ampleur au nombre desquelles les G.A.S. (groupement d’achat solidaire) en essor exponentiel depuis 14 ans.
Ces « marchés de la terre », au nombre de 700 chez nos voisins, permettent aux producteurs et aux consommateurs non seulement d’échanger, mais de concrétiser leur volonté de « changer les choses « en se concertant utilement . Ce qui donne progressivement naissance à des « districts d’économie solidaire « en zone périurbaine.
C’est aussi en Italie (2) que l’on dénombre, suite à la réflexion de femmes sur les moyens de concilier temps de vie et temps de travail., 400 « Banques du temps », sans circulation d’argent . Car leurs ressources sont exprimées en unités de temps échangeables sur le mode de la réciprocité. Leurs initiatives sont avant tout culturelles (30 %), périscolaires (19 %), d’assistance sociale (19 %) et de protection de l’environnement (10 %)…
La fréquentation de ces Banques du Temps s’avère des plus gratifiante, à en juger par la recette qu’en donnent ses créatrices : « mélanger dans une banque un kilo d’échanges avec trois cents grammes de réciprocité et de socialisation. Ajouter une tasse d’amitié, deux jaunes d’oeufs de confiance et épaissir avec un sachet de joie. Bien mixer le tout avec trois pincés de folie, de magie et de mystère. Asperger de couleur….garnir de culture et d’art et servir avec douceur» (2).
En France, on peut retrouver cette forme jubilatoire de ce que le sociologue G. Marcon nomme « les utopies du bien faire» sur le web et notamment sur les sites « Colibris » et « Oasis en tous lieux » de P. Rabhi. Dans le même esprit, mais sur un mode plus cartésien, l’approche des « Economistes du bonheur », visant à diminuer l’emprise mortifère de la société marchande, est accessible chez des éditeurs comme La Découverte.
L’ESS a encore beaucoup à nous apprendre et un long chemin à accomplir. Tâche difficile dans une conjoncture morose, où seulement 1% de nos compatriotes se déclarent « capables de faire beaucoup bouger les choses autour d’eux ». (3)
(
(1) titre de l’article de G. Colonni, numéro d’octobre 2012 du Monde Diplomatique
(2) Ibidem.
(3) Etude Mouves /SOFRES 2010 sur « les priorités sociales des Français .»
Photo ©GID