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innovations sociales

La convergence incontournable des aspirations frugales

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L’innovation sera frugale ou ne sera pas. Navi Radjou, jeune conseiller en stratégie d’entreprise, lauréat 2013 du prix Thinkers 50, sait que nos contraintes sont de formidables opportunités. Après un premier livre sur la « débrouillardise », traduction du mot hindi Jugaad, le jeune homme d’origine indienne, publie ce 17 mars un nouveau livre intitulé « L’innovation frugale ».

« J’ai voulu montrer que  la conversion frugale qui se veut approche astucieuse pour utiliser au mieux les ressources n’est pas une affaire pour les pays du sud seulement, mais qu’elle s’impose aux Etats Unis comme en Europe. L’approche frugale permet de sortir de l’éclatement des bonnes volontés et d’unir les efforts des communautés de l’économie circulaire, de l’économie sociale et solidaire, du mouvement des makers… ».

Cinquante études de cas (dont 35 en Europe) sont disséquées afin de faire la preuve que l’industrie d’hier ne peut plus fonctionner avec les mêmes ressorts. La culture du secret, la main mise sur des marchés stables, l’investissement massif dans une R&D déconnectée de la société sont inopérants désormais. Les preuves sont légion notamment dans l’industrie pharmaceutique qui est en panne. Alors que les dépenses en R&D sont passées de 15 milliards en 1995 à 45 milliards en 2009, le nombre de nouveaux médicaments lancés chaque année a chuté de 44% depuis 1997. De plus la Big pharma est confrontée aux Etats-Unis à une contestation croissante de la part des politiques et du public : les coûts de santé s’emballent alors même que 50 millions d’Américains ne bénéficient toujours pas d’une assurance maladie de base. L’industrie automobile n’est pas plus brillante : le secteur automobile américain a dépensé 16 milliards de dollars en R&D pour la seule année 2007. Cependant les résultats ne sont pas au rendez vous : la part du marché américain des Big Three  (Chrysler, General Motors, Ford)   est passé de 70 % en 1998 à 44,2% en 2009 (Christian Science Monitor, 5 janvier 2011).

Penser l’innovation technique avec l’innovation sociale

Quatre facteurs concourent à chercher des solutions astucieuses et économes, selon Navi Radjou : la rareté des ressources, les réglementations, la compétition (qui favorise le plus offrant) et l’évolution des comportements d’achats. Les consommateurs eux-mêmes ne veulent plus de surabondance. Le CREDOC en France a repéré que 14% des consommateurs sont adeptes de la frugalité choisie. Un sondage mondial fait par Nielsen indique que 55% des gens sont prêts à payer plus pour des marques qui incarnent des valeurs (2/3 des personnes souhaitent d’ailleurs travailler dans des entreprises réputées pour respecter leur  environnement). Les jeunes ne veulent plus posséder de voiture, ne croient plus aux recettes anciennes pour faire du business. Ils ont devant les yeux les succès stories des Steve Jobs, Zuckerberg ou Larry Page  …

Ils constatent les court-circuits de ceux qui innovent non plus dans les produits sophistiqués mais dans les services. L’accès aux clients est le véritable actif. BlablaCar, Uber surfent sur ces opportunités. Et fondent de nouveaux modèles économiques astucieux, et utiles aux consommateurs. C’est la « servitization » qui transforme les offres de produits en offres de services.  La grande distribution est parfaitement placée pour multiplier ses services – banque notamment – comme le fait Walmart. Les groupes Auchan et Accor sont aussi en train de penser des projets en les pensant et les co-construisant avec les utilisateurs.

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Des start up se lancent aussi en créant des services astucieux. Un bon exemple est l’idée du jeune ingénieur (et ingénieux) Paul Benoit, qui récupère la chaleur émise par les ordinateurs pour chauffer une centaine de logements sociaux dans le 15e à Paris. Son entreprise Qarnot computing vend des « radiateurs numériques » qui contiennent chacun quatre cartes mères qui effectuent les calculs commandés par diverses entreprises qui délocalisent ainsi leurs calculs (principe du Cloud). Par exemple, un des clients de Qarnot computing, basé au Chili, envoie ainsi ses fichiers 3D qui exigent de grandes puissances pour produire les rendus visuels. La démarche de Paul Benoit se veut utile, notamment pour éviter les gaspillages et simplifier le quotidien. 

Modulaire, réparable et recyclable

Côté objets, l’avenir pourrait bien tordre le cou à l’obsolescence programmée. A quoi bon produire des machines aux innombrables fonctions que l’on n’utilise jamais ? L’heure est au modulaire, aux pièces détachées que l’on va pouvoir refaire dans des Fablabs comme va le proposer Leroy Merlin en ouvrant dans quelques mois plusieurs espaces dédiés (des techshops) pour réaliser des pièces avec des imprimantes 3D. Les makerspaces se multiplient comme des petits pains tant dans les entreprises (Creative Lab de Renault au Technocentre de Guyancourt, iLab d’Air Liquide près de Bastille, Le Garage d’Alcatel Lucent à Nozay dans l’Essonne ), que dans les universités ou les villes (FacLab sur le campus de Cergy, Photonic Lab au 503 du Campus Paris Saclay ou Artilect à Toulouse, premier du genre en France).

Coté fabrication, les constructeurs changent aussi leur fusil d’épaule : le futur smartphone ARA, est conçu par Google et Motorola comme un ensemble de pièces remplaçables autour d’une structure centrale ou endosquelette. Mais au-delà de cette révolution technique, ce projet a poussé Google à revoir le modèle économique et l’approche du marché. Tout a été modifié, jusqu’au moyen de le vendre et de le mettre entre les mains des clients que Google espère conquérir.

Photo : Exposition Wave  « Co-création Protei » – Crédit Photo: © Julien Taylor / Fetart / BNP Paribas

Nouvel état d’esprit

Ce « smart manufacturing » est un état d’esprit. Selon Ravi Radjou, « L’avantage de cette approche c’est de permettre de choisir uniquement ce dont on a besoin et de pouvoir faire évoluer les fonctionnalités ». Le souci de valoriser les déchets est une tendance forte qui guide notamment la stratégie de Suez environnement.

Ici, l’agilité rime avec la collaboration, dans une économie du partage qui explose. « Cette économie va représenter un chiffre d’affaire de 335 milliards de dollars en 2025, contre 15 milliards aujourd’hui, remarque Navi Radjou se référant à une étude publiée par le cabinet de conseil PWC. Le métier d’ingénieur se réinvente en cultivant l’interdisciplinarité, l’économie de ressources, l’ouverture au marché mondialisé, la connexion à l’utilisateur final ».

Il faut revoir les expériences présentées lors de l’exposition Wave – soutenue par BNP Paribas et aujourd’hui à découvrir à Marseille – pour comprendre combien le monde est en train de basculer. Cinq tendances d’ingéniosité collective sont été mises en scène : l’économie inclusive, celle par exemple de «M-Kopa», service de téléphonie mobile d’achat d’énergie solaire en Afrique ; la co-création, illustrée par «La paillasse», premier «biohacker space» français, un laboratoire communautaire dédié aux biotechs, à Paris ; le mouvement des «makers», ces néobricoleurs qui bidouillent, comme à Detroit (Michigan), dans le TechShop («labo de fabrication») de Ford ; l’économie du partage, qui anime le projet argentin «Los Grobo», exploitation agricole en réseau et tout en location ; l’économie circulaire, celle des jardins partagés des villes, tel le Beacon Food Forest de Seattle.

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« Il faut que la France, pays d’ingénieurs, s’engage dans des postures de connexion, d’interfaces estime Navi Radjou. Un modèle comme le cluster de Saclay c’est un bon terreau mais ça ne suffit plus. Ce qui est déterminant c’est le réseau, qui intègre nos chaines de valeur. L’entrepreneur de la Silicon Valley n’est pas un prosélyte exalté. Il est convaincu d’une convergence, celle des six principes de la stratégie jugaad : rechercher les opportunités dans l’adversité, faire plus avec moins, penser et agir de manière flexible, viser la simplicité, intégrer les marges et les exclus, suivre son cœur ». Il constate ses fruits. Lui, le Californien, ne surfe pas sur la même vague que ses congénères de San Francisco, tenants d’une autre convergence, baptisée NBIC (Nano-bio-info-cognisciences). La plupart des voisins technophiles sont fascinés par la high tech tant elle peut assouvir l’envie de puissance et de « tuer la mort ». Leur chef de file, Ray Kurtzweil, fondateur de l’Institut de la singularité, voit l’intelligence artificielle comme « notre destin ». On est bien loin du pragmatisme de Navi Radjou !

Sommes-nous à la veille d’une rupture entre deux imaginaires ? Voyons-nous ici l’émergence de deux voies pour l’avenir de l’humanité : faire corps avec le monde en misant sur les synergies ou servir l’individualisme et l’aspiration à sortir de notre condition limitée ? 

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