Après JoshFire dans ce panorama détaillé et qui durera plusieurs mois sur l’écosystème français de la TV connectée, passons à une petite startup à peine naissante et qui planche sur un sujet d’actualité dans la « Social TV » : Twitter. Dans cette catégorie, nous avons des applications qui utilisent les flux de conversations sur Twitter pour améliorer l’expérience utilisateur, que nous verrons ultérieurement, et d’autres comme TvTweet qui permettent de les analyser.
Twitter et la TV
L’usage de Twitter a connu un développement rapide et récent en France. Il y aurait environ 5,5 millions de comptes Twitter actifs en France, sachant que 2 millions de comptes ont au moins émis un Tweet sur un programme de TV. Au Royaume-Uni, 40% des conversations sur Tweeter sont liées à la TV. En 2011, un record avait été battu en France avec les NRJ Music Awards en janvier 2011 qui avait généré 70K tweets. L’édition 2012 a progressé modérément à 90K tweets. Mais le débat final de la présidentielle a généré 360K tweets. Et la finale de « The Voice » sur TF1 en a généré 204K.
Avec 25 millions de téléspectateurs par jour en moyenne, cela donne un taux de pénétration d’environ 8% ce qui est fort honorable. Sachant qu’une bonne proportion des utilisateurs de Tweeters sont des « listeners » qui n’émettent pas de Tweets. Il existe peu ou pas de sources de données mais on peu au minimum estimer que pour un « émetteur » il y a entre 1/2 et un « listener », ce qui porterait la part d’audience de Twitter à plus de 10% des téléspectateurs, ce qui est est loin d’être négligeable.
Twitter et dans une certaine mesure Facebook, sont plutôt devenus une bonne nouvelle pour les chaînes TV. Pourquoi donc ? Parce qu’elles renforcent l’attractivité de leurs programmes en direct et notamment les émissions à forte audience de TV réalité, les débats politiques et les sports. Par contre, cela ne semble pas avoir trop d’impact sur la consommation des séries TV. Twitter est une plateforme générique qui pourrait cependant accentuer l’horizontalisation des usages, par exemple en renforçant le rôle des guides de programme sociaux multi-chaînes au détriment des tentatives des chaînes d’intégrer des flux sociaux « propriétaires » dans leurs propres contenus et applications.
Qu’est-ce qui déclenche l’engagement des téléspectateurs sur Twitter ? Il y a d’abord une forte appétence des segments d’audience jeunes et branchés, le niveau global d’audience de l’émission, des thèmes clivants et, surtout, le rôle de l’animateur qui fait la promotion des nouveaux usages. Pour ce qui est de l’audience, une émission de TV réalité comme « La belle et ses princes charmants » qui est diffusée sur M6 et W9 génère plus de tweets sur W9 parce que l’audience y est plus jeune et engagée. Même chose avec « Les anges de la télé-réalité » de NRJ12, une émission qui nous place au plus bas dans le niveau intellectuel mais qui bat des records d’audience et d’interactions sur Twitter. Pour ce qui est des clivages, Laurent Ruquier a obtenu de très bon scores avec des débats chahutés, comme avec Marine Le Pen ou Audrey Pulvar. Pour le rôle de l’animateur, le cas de Nikos Aliagas est intéressant puisqu’il rassemble plus de la moitié des programmes les plus Twittés ces derniers mois, et notamment « The Voice ».
Vous pouvez en savoir plus sur ce que font les chaînes avec Twitter autant en France qu’aux USA dans l’excellent article « Les chaînes TV partent à la chasse aux twittos » de Pascal Lechevallier sur ZDNet. Celui-ci est un zoom en profondeur sur l’une des solutions qu’il évoque.
Au passage, évoquons Facebook qui n’a pas la même présence dans la « social TV ». La raison en est simple : les flux d’information dans le leader des réseaux sociaux n’est pas lisible par tous, mais seulement par vos amis. Seules les « pages » associées le plus souvent aux stars et aux marques sont accessibles publiquement. En conséquence de quoi, même s’il peut y avoir des conversations sur les programmes TV en direct, elles ne pourront pas être agrégées par des tiers ni rendues publiques. Avec Facebook, le « broadcast » des messages est limité à ses amis tandis qu’avec Twitter, n’importe qui peut suivre n’importe qui, sauf à être bloqué explicitement.Facebook peut toutefois jouer un rôle dans la recommandation de contenus, mais c’est une autre histoire et relève d’un engagement différent des utilisateurs. A contrario, les conversations sur Twitter sont par défaut publiques. Seuls les DM (Direct Messages) ne le sont pas.
L’équipe de TvTweet
TVTweet a été créé par Thomas Landspurg (ci-contre), installé à Bordeaux et passant la moitié de son temps à Paris comme il se doit car c’est là que se situent ses clients du marché français. Il a derrière lui un passé d’entrepreneur avec le plus souvent un rôle de CTO. Il jouait notamment ce rôle dans la startup Webwag qui édite des solutions mobiles pour les opérateurs télécoms et médias. Avant cela, il avait développé des technologies de jeux téléchargeables en Java avec un business model de vente sur catalogue et facturation via les opérateurs télécoms. Le bon temps pour ces derniers ! La solution avait été vendue à Orange, Vodaphone et SFR. Thomas est accompagné d’une seconde personne pour le business development. Mais cela reste une toute petite équipe.
Les produits
Quelle est l’offre de TvTweet ? Elle est disponible sous trois formes :
Un site web fournissant des données statistiques plutôt destinées aux professionnels des médias, permettant d’analyser les flux de Tweets par pays, par chaine et par émission et avec une logique comparative très intéressante.
Des APIs permettant d’accéder aux données visibles dans l’application précédente. Elles sont fournies aux développeurs d’applications tierces, comme les Guides de Programme en ligne. C’est une forme d’open data de la social TV.
Une application mobile iPhone/iPad diffusée sous la marque Digiwiz, destinée au grand public et qui présente les programmes générant le plus de Tweets. C’est surtout un démonstrateur de la plateforme d’APIs de TvTweet.
Les APIs de TvTweet
Ces APIs constituent donc une sorte d’offre « d’open data » des conversations Twitter autour des programmes de télévision. Elles permettent d’accéder à la fois à un stock de données et en temps réel aux statistiques de Tweets couvrant pour l’instant 43 chaines, pour l’essentielle gratuites et diffusées sur la TNT, de TV au Royaume Uni, en France et en Belgique. Le service s’appuie sur une base de hashtags des émissions de ces chaines ainsi que sur le contenu du guide de programmes du pays (EPG = Electronic Program Guide).
Une émission populaire peut générer jusqu’à 3000 Tweets par minute. Le service intègre une fonction de filtrage de ce flux pour limiter nombre de Tweets diffusés par les exploitants de l’API. C’est un filtre paramétrable pour les développeurs d’applications au niveau du taux de filtrage du flux d’origine des tweets. On peut demander à récupérer 2%, 5%, 10% ou plus des tweets. Le filtrage s’appuie sur des techniques sémantiques. Il s’appuie sur les hashtags et des combinaisons de termes associés.
Ces statistiques permettent de créer des applications second écran comme des guides de programmes TV « sociaux » aussi bien que pour l’intégration de données concernant Twitter dans des outils plus « btob » destinés aux professionnels.
Sous le capot, TvTweet accède aux données en accédant directement au service Twitter et sans passer par les « grossistes » de données qui distribuent ce que Twitter appelle le « firehose ».
L’interface au service TvTweet est fournie sous la forme d’APIs JSON. Pour les béotiens, il s’agit d’un moyen pour une application client web écrite en JavaScript d’interroger le serveur TvTweet et de récupérer facilement la réponse sous forme de données formatables en local pour, par exemple, créer des graphes. Le système a été testé avec une charge allant jusqu’à l’ingestion de jusqu’à 100 tweets/secondes.
Les données sont stockées et gérées par une base de données open source MongoDB, dite « non SQL » (non relationnelle) qui stocke directement des données au format structuré du JSON. La file d’attente des batches de traitement lourds sont pilotés avec le gestionnaire de messages RabbitMQ. L’ensemble est hébergé sur plusieurs serveurs dédiés chez Online.net.
On peut réagir face à ce genre d’offre en se disant que c’est un bout de logiciel facile à reproduire. Mais le développement et l’assemblage de toutes ces briques requiert un certain savoir-faire. Les briques intégrées sont nombreuses. Et l’articulation de l’offre est le résultat d’une connaissance des besoins des clients acquise sur le terrain et avec l’expérimentation pratique.
Le site d’analytics de TvTweet
Le site destination TvTweet qui est pour l’instant d’accès libre permet d’accéder de manière aisée à tout un tas de statistiques :
– Nombre d’utilisateurs qui tweetent par émission et par chaine.
– Niveau d’engagement par émission qui mesure le nombre de Tweets par personne.
– Performances comparées de plusieurs épisodes d’une même série d’émissions.
– Identification des influenceurs : ces utilisateurs de Twitter qui sont les plus retweetés et/ou ont le plus grand nombre de suiveurs.
– Le flux de tweets par émission sur une personne. N’importe laquelle ou influenceur.
– Les « trending topic », les sujets qui ont le vent en poupe sur Twitter.
– La part d’audience sur tous les tweets sur la TV. C’est une sorte « d’audimat social ».
– Une vue tabulée dans le temps qui permet de détecter les flux de tweets par créneaux horaires.
– Un chronomètre dans le dashboard qui donne la température des flux Twitter en temps réel.
Allons-y pour un petit tour dans l’interface :
Commençons par une émission en particulier, ici chez TF1. On voit le flux de tweets étalé dans le temps avec un séquençage classique dans une émission de télévision et une zone d’intérêt en double dos d’âne. Le « climax » d’une émission est positionné vers la fin pour préserver l’audience jusqu’au bout, et notamment au travers des tunnels de publicité. L’émission était plutôt engageante avec 3,24 tweets par émetteur de tweets. On ne sait pas encore mesurer le nombre de suiveurs passifs d’un hashtags !
Toujours sur une émission, on peut récupérer tous les hashtags utilisés et les principaux contributeurs en nombre de tweets :
C’est complété par une liste des influenceurs et les tweets les plus retweetés :
Autre exemple avec le flux dans le temps des émissions d’une journée le 21 mai 2012. On y observe deux pointes de trafic :
En fin de soirée avec l’émission politique « Mots Croisés » d’Yves Calvi. Il se trouve qu’elle publie les meilleurs Tweets à l’écran depuis cette dernière édition en allant au-delà de « C’est dans l’air » que nous avons déjà examiné récemment qui agrège les SMS, messages web, tweets et messages HbbTV sans préciser leur origine. En « éditorialisant » les tweets dans l’émission, la chaine fait le choix explicite d’encourager les téléspectateurs à s’exprimer par ce canal pour donner une forme participative à l’émission.
En fin d’après-midi, on observe une pointe de trafic avec « Les Anges de la TV réalité » de NRJ12. Comme son nom l’indique, c’est une émission de TV réalité qui alterne discussion sur plateau (avec Loana) et scènes tournées sur site (à Los Angeles et Hawaï). Le tout avec d’anciens participants à des jeux de télé-réalité. Une sorte de méta-TV-réalité. Intellectuellement, vous pouvez mettre votre cerveau au placard et même à la cave fermée à double tour ! Cette pointe de trafic illustre la « guerre des formats » entre chaines TV. Celui-ci a été créé par « La Grosse Equipe », la société des animateurs Jérémy Michalak – qui a travaillé avec Laurent Ruquier – et Zuméo (Fun TV, M6). L’émission a été vendue à 8 pays. Ce format est beaucoup plus ciblé que ne l’est « The Voice » qui provient de l’anglais Shine Productions et a aussi battu des records d’implication des téléspectateurs sur Twitter. Deux choses sont inédites avec cette émission diffusée sur NRJ12 : le créneau horaire de l’émission et un ciblage jeune très explicite. Tout pour générer du trafic sur Twitter !
L’écran suivant présente les statistiques résumées par émissions avec les programmes ayant généré le plus de tweets les sept derniers jours. On y constate, ce n’est pas une surprise que ce sont les émissions de télé-réalité et de débats qui génèrent le plus de tweets. Par contre, celles de TF1 semblent un peu moins engageantes en termes de nombre de tweets par émetteur. Peut-être en raison d’une moyenne d’âge plus élevée des téléspectateurs que de chaînes telles que W9, M6 et NRJ.
Enfin ce dernier écran qui illustre la capacité à suivre tout cela en quasi-temps réel, avec au passage un petit compteur de vitesse qui indique la pression twitteresque.
Il y a probablement plein de tableaux de bord dont on aimerait disposer notamment pour comparer le niveau d’engagement par chaine, toutes émissions confondues, et étalé dans le temps. Ce sont des fonctionnalités qui apparaitront soit dans cette application soit dans celles qui exploiteront l’API de TvTweet.
Enfin, l’outil sera paramétrable par les clients pour l’ajout de hashtags à suivre et pour générer des rapports en PDF faciles à diffuser.
Dans le cas de l’application comme des APIs, TvTweet sera commercialisé sous forme de service en ligne avec un forfait mensuel. Il intéressera les chaines de TV, les producteurs d’émissions, les annonceurs et les média planners ainsi que la presse qui suit l’actualité télévisuelle.
La concurrence de TvTweet
Le marché des outils de monitoring de réseaux sociaux est devenu très dense ces deux dernières années, y compris dans les outils de mesure liés à Twitter. Par contre, plus rares sont ceux qui font un lien entre les flux Twitter et la programmation à la TV car ils correspondent plutôt à un marché de niche.
On peut notamment citer :
– Mesagraph qui propose des API d’accès aux données d’activité dans les réseaux sociaux et notamment dans Twitter. La société propose aussi son application « front-end » pour les exploiter. Elle se positionne maintenant dans le marché de la TV car c’est celui qui semble le plus prometteur pour exploiter ces données. Nous en reparlerons dans cette série d’articles.
– Devantlatélé qui à l’envers du précédent propose une application web sans APIs, orientée grand public, permettant de consulter le trafic sur Twitter sur l’ensemble des programmes et d’identifier en temps réel les programmes les plus populaires. J’avais découvert cette société au web2day de Nantes en 2010.
– BlueFinLabs, une startup basée à Cambridge, près de Boston, qui s’appuie sur des travaux du MIT dans le traitement sémantique du texte et qui propose une solution d’analytics voisine de celle de TvTweet, mais qui couvre « les réseaux sociaux », donc Twitter et Facebook. Elle couvre le marché américain et aussi bien les contenus de la TV que la publicité à la TV. Son CEO, Deb Roy était d’ailleurs intervenu pendant LeWeb 2011. Histoire de nous dégouter, la startup créée en 2008 a levé $20,4m. Mais bon, est-il bien utilisé ? Il faut attendre quelques années pour le découvrir.
– Trenderrr est une seconde startup américaine, basée à New York, qui propose comme TvTweet à la fois une application et des APIs pour utiliser ses données dans sa propre application. Elle couvre aussi Facebook et Twitter ainsi que sur sur les applications de social TV Miso et GetGlue. Mais ils proposent des analytics avec segmentation géographique (récupérée comment ?) ainsi que la performance comparée des différents personnages/acteurs/intervenants des programmes de TV.
– SocialGuide est une autre société américaine qui propose à la fois un guide de programme web/mobile avec des morceaux de social dedans et qui rappelle, en plus joli, Devantlatele, et une application d’analytics pour les professionnels qui produit des tableaux de bord voisins de ceux de TvTweet. La société est arrivée en Espagne via la synergie avec l’offre des chaines hispaniques nord-américaines.
– SecondSync, une startup du Royaume Uni focalisée sur ce pays et sur la mesure des flux sur Twitter, et en différé. L’application a l’air rudimentaire.
Comme c’est souvent le cas, les solutions des concurrents américains se sont pas forcément plus riches fonctionnement mais par contre, leur interface est plus propre. Le design graphique arrive souvent plus tard chez nous… avec les premiers financements.
Les clients de TvTweet
TvTweet est encore bien jeune mais le fondateur a déjà quelques clients, notamment une grande entreprise française qui utilise l’API de TvTweet pour ses applications de SocialTV. NRJ12 exploite aussi les rapports de TvCheck, ainsi que des entreprises de conseil dans le domaine de la social TV. Il a en tête tous les éditeurs de contenu ou de logiciels de guides de programmes qui doivent y intégrer une dose de « social », notamment pour promouvoir la TV de rattrapage.
En résumé, nous avons là une petite structure agile qui a créé une solution logicielle très générique et une véritable plateforme de services via ses APIs. C’est un mix de cloud et de big data dans l’air du temps et les rapports fournis répondent à un vrai besoin des professionnels de la télévision. Les défis ? En btob, le marché est assez réduit et une telle structure ne pourra atteindre une taille critique qu’en se développant à l’international. A contrario, le marché btoc pourrait éventuellement se développer à l’échelle locale mais cela coute cher de l’aborder, avec des résultats incertains car c’est un autre métier, plus dans le registre d’un devantlatele.
Il est aussi ironique de se rappeler que cette startup comme des milliers d’autres a basé sa stratégie sur une société américaine dont la pérennité et le modèle économique n’ont toujours pas été validés. L’innovation qui dépend de l’innovation qui dépend d’un marché incertain. C’est le lot commun de la télévision numérique !
Et de deux…
Le suivant seraaaa… je ne sais pas encore !
{jacomment on}