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La démocratie aux champs

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« La démocratie aux champs. Du jardin d’Eden aux jardins partagés, comment l’agriculture cultive les valeurs démocratiques » de Joëlle Zask – Edition La Découverte – Les empêcheurs de tourner en rond, mars 2016
 
On a l’habitude de penser que la démocratie moderne vient des Lumières, de l’usine, du commerce, de la ville. Opposé au citadin et même au citoyen, le paysan serait au mieux primitif et proche de la nature, au pire arriéré et réactionnaire.
À l’opposé de cette vision, ce livre examine ce qui, dans les relations entre les cultivateurs et la terre cultivée, favorise l’essor des valeurs démocratiques et la formation de la citoyenneté. Défile alors sous nos yeux un cortège étonnant d’expériences agricoles, les unes antiques, les autres actuelles ; du jardin d’Éden qu’Adam doit  » cultiver  » et aussi  » garder  » à la  » petite république  » que fut la ferme pour Jefferson ; des chambrées et foyers médiévaux au lopin de terre russe ; du jardin ouvrier au jardin thérapeutique ; des  » guérillas vertes  » aux jardins partagés australiens.
Cultiver la terre n’est pas un travail comme un autre. Ce n’est pas suer, souffrir ni arracher, arraisonner. C’est dialoguer, être attentif, prendre une initiative et écouter la réponse, anticiper, sachant qu’on ne peut calculer à coup sûr, et aussi participer, apprendre des autres, coopérer, partager. L’agriculture peut donc, sous certaines conditions, représenter une puissance de changement considérable et un véritable espoir pour l’écologie démocratique.
 
Cet essai a pour ambition de montrer que ce qui est progressivement devenu notre idéal de liberté démocratique ne vient en priorité ni de l’usine ni des Lumières, ni du commerce, de la ville ou du cosmopolitisme, mais de la ferme.
 
Si la culture de la terre prédispose à la culture de soi et au développement d’habitudes sociales libérales, elle favorise également les pratiques de la citoyenneté […]
En 1943, la philosophe Simone Weil s’était inquiétée du peu de considération dont jouissaient les paysans et avait recommandé de leur donner une « marque publique d’attention » aussi importante que possible, trouvant injuste qu’on ne se souvienne de l’agriculture que quand la nourriture venait à manquer. Le raisonnement qu’elle tenait s’appliquait à eux en tant que classe sociale et profession. Mais il s’applique aussi au métier de paysan, aux relations qu’il entretient avec la terre […]
Dans le métier, la « science » et la « vocation », que Max Weber avait jugé devoir séparer au sujet de l’homme politique sont jointes. La science correspond à la méthode […]. Quant à la « vocation », c’est la conviction, l’éthique dite « professionnelle », la finalité humaine, le respect des conditions du métier, la considération des générations futures.
Ces valeurs forment une nébuleuse à laquelle nous avons donné le nom de « culture démocratique », tout en suggérant que la démocratie politique consiste à en assurer la persistance. Si nous tenons à elles, ce n’est pas en raison de quelques qualités intrinsèques qui seraient les leurs, mais en raison de leur utilité pour rééquilibrer continûment la dimension individuelle de l’existence et sa dimension sociale. Contrairement à l’opinion commune, loin d’avoir adhéré à des valeurs contraires, tantôt réactionnaires et fascistes, tantôt conservatrice, individualistes et égoïstes, les paysans ont été eux aussi les artisans de cette culture.
 
Joëlle Zask enseigne au département de philosophie de l’université Aix-Marseille. Elle vient de publier une Introduction à John Dewey (La Découverte, 2015).
 

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