Sur le front de la sécheresse, la situation ne s’améliore toujours pas sur une grande partie du pays. Au 18 septembre, 79 départements font toujours face à des restrictions d’usage de l’eau. Une sécheresse causée par les dérèglements climatiques qui contribuent, comme dans un cercle vicieux infernal à les accentuer encore plus : réduction de l’absorption du carbone, rendement altéré des cultures et risques sur l’alimentation, érosion des sols…
« Le mois de juillet 2020 est le plus sec jamais observé depuis 60 ans » s’est alarmé la préfecture de Haute-Saône cette semaine. Et « il n’est pas tombé une goutte d’eau » en septembre, ajoute-t-elle dans le même communiqué. Le manque de précipitations cette saison a été de 30 à 50% sur les trois quarts du pays et explique en partie la sécheresse de 2020. Les mesures exceptionnelles se multiplient donc dans plusieurs départements comme la livraison d’eau par camion-citerne tandis que les pompiers s’inquiètent du tarissement des points d’eau prévus pour la défense incendie. Partout, les effets de la sécheresse se marquent dans le paysage : dans le Doubs, la rivière est spectaculairement asséchée, dans le Jura, des lacs s’effacent du panorama habituel.
Mais il ne faut pas se contenter de regarder l’état des rivières pour évaluer la sécheresse. En effet, c’est sous le sol que le danger se forme. Il faut en effet considérer également la situation des nappes souterraines qui se rechargent parfois lentement, et pas uniquement celle des cours d’eau dont le niveau dépend à la fois des précipitations et de l’état des réserves de surfaces. Le changement climatique risque d’engendrer un appauvrissement progressif de ces réservoirs par un épuisement graduel des retenues d’eau tels que les lacs ou du fait de l’amenuisement des glaciers.
Une situation anormale qui risque de devenir la norme
Une série d’études menée à l’échelle du continent européen, publiée par le CIRAD en septembre 2020 dans Philosophical Transactions B, montre comment les milieux naturels et cultivés réagissent aux sécheresses. Les résultats révèlent qu’en 2018 les puits de carbone en Europe ont baissé de près de 20 %, et le rendement des cultures de 40 % au Nord et à l’Est de l’Europe.
Il faut dire que jamais une telle sécheresse n’avait frappé l’Europe sur une si grande superficie qu’à l’été 2018. De nombreux records de température ont été enregistrés, des feux se sont déclarés dans les pays nordiques et plusieurs pays ont déploré de mauvaises récoltes. L’Europe centrale a enregistré des précipitations jusqu’à 80 % inférieures à la normale au printemps, à l’été et à l’automne, et des températures caniculaires qu’elle n’avait pas connues depuis les années 50. En raison du changement climatique, les épisodes de sécheresses pourraient devenir plus fréquents en Europe, mais aussi en Amérique du Sud, Australie, en Asie centrale et occidentale, et en Afrique. Identifier précisément leurs causes pour pouvoir les anticiper et comprendre les implications de telles anomalies climatiques sur la production et les marchés agricoles sont des enjeux centraux pour assurer la sécurité alimentaire des prochaines décennies.
Diminution des puits de carbone forestiers, pertes de récoltes, brunissement des prairies, l’article publié le 7 septembre dernier retrace les différents impacts de la sécheresse de 2018 sur les forêts et les cultures européennes. Les résultats montrent ainsi que, cette année-là en Europe, les forêts se sont protégées de la chaleur en réduisant leur évaporation et leur croissance, ce qui a entraîné une baisse de l’absorption de dioxyde de carbone : pour ces écosystèmes, les puits de carbone ont diminué de 18 % par rapport à une année normale.
Les forêts en danger
En France, les effets des canicules et des sécheresses à répétition ont porté un coup dur aux forêts ces dernières années. Le manque d’eau a fait disparaître des centaines d’arbres centenaires, un peu partout sur le territoire et notamment dans le Grand Est et en Bourgogne Franche-Comté. En réaction aux baisses de précipitations, les arbres « arrêtent de transpirer » et ferment leurs stomates. Ils absorbent alors beaucoup moins de CO2 et jouent donc moins intensément leur rôle de puits de carbone. Autre effet collatéral, ils sont plus vulnérables face aux crises sanitaires – celles-ci étant accrues par les hivers doux – et doivent parfois être abattus.
Selon l’Office national des forêts (ONF), depuis 2019, 220 000 hectares de forêts publiques françaises (soit environ 20 fois la superficie de Paris) subissent un taux de mortalité inédit en raison de l’accélération du changement climatique. Et les choses ne sont pas près de s’arranger car les spécialistes estiment que dans les cinquante prochaines années, c’est 60 % des territoires occupés aujourd’hui par les grandes essences forestières qui sortiront des limites de leurs zone climatique acceptable.
« Nous sommes en train d’assister à une disparition massive d’une espèce qui est là depuis 10 000 ans », alerte Jean-Charles Vuillaume de l’ONF sur Europe 1. « Il y a des endroits dans la forêt où le sapin a totalement disparu alors qu’il était encore présent massivement il n’y a de cela que cinq ans… » Et les prévisions des spécialistes ne sont pas là pour rassurer le technicien de l’ONF. « Si les prévisions de +8°C en 2100 se confirment il n’y aura plus rien. Il y aura que des cailloux, ce sera le Pakistan. Donc c’est cela qui est assez angoissant pour demain. »
Avec la sécheresse, certains écosystèmes sont donc passés de puits à sources de carbone. En revanche, les tourbières réhumidifiées semblent avoir mieux survécu, notamment grâce à la croissance de nouvelles plantes. Ceci est une bonne nouvelle, car la réhumidification des tourbières est l’une des méthodes les plus couramment utilisées pour atténuer les conséquences du changement climatique.
Danger sur l’alimentation
D’après les résultats présentés dans l’étude du CIRAD, les cultures ont d’abord profité d’un temps chaud et ensoleillé au printemps 2018, mais leurs racines ont ensuite manqué d’eau pendant la canicule estivale. Avec la sécheresse, les prairies ont bruni entraînant des pénuries de foin pour le bétail, et de nombreuses cultures ont enregistré leur rendement le plus bas depuis des décennies, entraînant des pertes financières dans de nombreux secteurs d’activité. Toutefois, les rendements, plus élevés que la normale, enregistrés en Europe du Sud – dus à des conditions de précipitations printanières favorables – ont en partie compensé la forte baisse de la production agricole en Europe. « Nos résultats montrent l’importance d’analyser les impacts du changement climatique à large échelle pour comprendre son impact sur la sécurité alimentaire », explique Damien Beillouin, chercheur en agronomie et analyse de données au Cirad et un des auteurs principaux de l’étude.
Le premier secteur économique touché par ce manque d’eau aggravé par les canicules est bien sûr le secteur agricole. Les récoltes de céréales ont été plutôt mauvaises cette année avec entre autres un recul des rendements de blé, d’orge et de colza. La paille et le foin sont aussi devenus des ressources critiques, deux tiers des éleveurs risquant de manquer de fourrage cet hiver. Dans une tribune publiée par Libération, William Zylberman, docteur en géosciences de l’environnement, et Benoît Noël, ingénieur agronome, affirment « Il faut revoir notre manière de produire l’alimentation, en particulier en optimisant le travail du sol pour permettre à l’eau de s’infiltrer et de recharger les nappes phréatiques, mais aussi en encourageant de nouvelles façons de consommer plus en phase avec la situation à venir. »
Ils expliquent en effet, qu’une grande partie de la surface agricole utilisée est occupée par des cultures dites pluviales qui ne nécessitent pas d’irrigation. En 2016, seulement 5% des surfaces agricoles étaient irriguées. Environ 45% de ces surfaces irriguées sont dédiées à la culture de maïs, 12% aux cultures fourragères et pâturages et 9% aux cultures maraîchères. Rappelons que le maïs est avant tout destiné à l’alimentation animale. Sur l’ensemble du maïs cultivé et consommé en France, moins de 15% se retrouvent dans nos assiettes. Ils concluent : « Le secteur de l’élevage, en crise chronique, consommant la majeure partie des récoltes céréalières françaises et déjà grand importateur de soja issu de la déforestation, pourrait voir sa situation se dégrader encore davantage en raison du manque d’eau. »
Sauvegarder notre eau devient un impératif vital. Plus que jamais, l’agriculture tout comme nos habitudes alimentaires devront être réorientées, poussées par la nécessité de l’urgence climatique qui se déroule en temps réel sous nos yeux.
Image d’en-tête : Loic Venance / AFP