Une civilisation à la dimension planétaire interactive et culturellement métissée est en parturition, remodelant nos paysages associatifs et institutionnels. Que peut-on en attendre pour la cohésion de notre corps social, en danger d’effritement ? Peut-on l’instaurer sur des bases solides ? Les fourmis de la solidarité associative répondent par l’affirmative et ouvrent des horizons nouveaux à la vie sociale dans notre pays.
« Une espèce d’émeute lente, dépourvue de relais sociaux capables de lui donner une forme collective ». Telle est la vision du sociologue (1) sur l’état de notre corps social. Le spectacle est tout autre pour les citoyens engagés dans la vie associative, dans la mesure où ils y sont appréciés en tant qu’« entrepreneurs sociaux » , «explorateurs spirituels» ou encore «travailleurs de l’intelligence. »
Ce faisant, Ils œuvrent à transformer la cohabitation conflictuelle individus/Société en une dynamique de co-éducation pacifique, qui s’avère contagieuse. Tant il est vrai que le progrès de la Société ne tient pas à des performances grandioses mais à un ensemble cohérent d’avancées modestes qui renouvellent les mœurs et les opinions.
Il se crée annuellement dans notre pays, qui en compte près d’un million et demi, pour un effectif de 12 millions de bénévoles, quelques 33 000 associations « sans buts lucratifs » se réclamant de la loi de 1901. L’article 1 de cette loi leur autorise toutes les activités légales, à la condition que, dans ce contrat, les « personnes qui conviennent de mettre en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances, et leurs activités poursuivent un autre but que celui de partager des bénéfices. » A l’heure actuelle, ce sont notamment les secteurs de l’action sociale, de l’environnement ou de type « think tanks » qui recrutent le plus grand nombre d’adhérents.
Statistiquement parlant mal connu, notre paysage associatif s’engage depuis plusieurs décennies dans une révolution culturelle, qui conduit ses acteurs à se passer de gouvernance de type hiérarchique, pour s’autogouverner en « union libre, » au moyen de collectifs d’animation .
Ce nouveau comportement de la vie associative entend privilégier au quotidien les valeurs de la relation interpersonnelle. D’où le style festif de ses manifestations dont la priorité, selon des témoignages recueillis sur le vif, est « de placer la joie de vivre au cœur d’un projet collectif, à l’exclusion de tout militantisme de type sacrificiel. « Chacun est invité à s’y rendre, non pas avec une ambition ou un point de vue personnel à défendre mais avec des ressources à partager, ce qui lui permettra « de recharger ses batteries à bloc, d’approfondir ses attentes et de les concrétiser dans un pas en avant . »
Et c’est sur cette longueur d’onde que les entrepreneurs sociaux de ce style animent solidairement des lieux de rencontre en forme de gîtes d’étape et de forums de discussion et non pas essentiellement des plateformes de luttes idéologiques. De ce fait, leurs alliances avec d’autres réseaux ne sont pas des pactes défensifs, mais reposent sur une manière de s’accorder sur des enjeux afin d’être en harmonie avec des actions.
Pour leur part, bon nombre de militants associatifs ne se contentent plus aujourd’hui du statut d’intermittents, mais préfèrent s’investir dans une forme de mobilisation quasi permanente en faveur des causes de leur choix. Comme me l’ont confiée certains, « J’’y pense tout le temps. Cette aventure attend de moi une présence vivante. Elle me donne à réfléchir et me rend vigilant au destin commun que nous incarnons. Jusqu’où ? Pour qui ? Est-ce une rencontre comme une autre ? «
Reprenant le cri « un autre Monde est possible », cher au Mouvement surréaliste des années 30, cette jeune génération évoque explicitement des préoccupations de cet ordre :
– Remplacer l’autorité hiérarchisée par l’intelligence collective,
– S’investir dans la joie de vivre et les valeurs culturelles,
– Conjuguer développements personnel et social, de façon à « grandir en humanité, » ‘expression née au congrès annuel inter-associatif de Lyon intitulé « Dialogues en Humanité. »
Si les perspectives d’avenir de ce nouvel état d’esprit sont indéniables, elles ne font pas nécessairement l’unanimité dans tous les milieux.
Ecoutons à ce propos Geneviève Esmenjaud, thérapeute Vittoz : « Oui, depuis quelque temps, ça bouillonne de partout dans la vie associative mais l’horizon de sa rénovation est encore incertain. Je ne suis pas pessimiste, mais mon pronostic est réservé. Nous sommes fragiles. Ce qu’il nous faudrait, c’est une vision claire de nos attentes et des enjeux d’une telle rénovation. Et aussi une formulation des comportements qui nous aiderait à avancer. «
Malgré ces difficultés, nos contemporains demandent de plus en plus souvent à ce milieu associatif en genèse de les aider à surmonter leurs contraintes quotidiennes, dès le début de leur engagement : « Donnez-nous autre chose que ce que nous connaissons déjà » se plaignent ils, » car cela ne suffit plus à donner sens à notre vie. »
Le néophyte dans ce cas devra s’attendre à un accueil du style « auberge espagnole » qui l’invitera à alimenter de ses ressources créatives la conduite du projet en genèse. « Bienvenue ici à tous ceux qui veulent changer le Monde » leur est-il promis en retour, avec cet engagement de la puissance invitante : « nos prestations sont proches de l’accompagnement individuel et du conseil méthodologique et ne relèvent pas de l’action politique. »
Lui seront alors proposés des ateliers de réflexion à la carte, des débats et animations sur le mode ludique ou théâtral, par exemple. C’est ainsi qu’après quelques mois d’incubation, l’intention fondatrice du Groupe en genèse pourra donner naissance à une dynamique de l’événement et faire ainsi école sur un mode original.
En ce domaine, l’expérience créative menée par le Congrès itinérant Intitulé : « Et si la beauté pouvait sauver le Monde » est sans doute l’une des plus réussies de ce panorama. Elle a rassemblé depuis 1993, dans plusieurs capitales mondiales, des centaines de participants venus de 23 pays et des horizons les plus variés, pour des temps de fête, de travail et de ressourcement. Selon Claire Fabre, sa co-fondatrice : « Ce congrès n’est ni un mouvement, ni une association. C’est un courant, un souffle, une interpellation qui oriente progressivement le chemin de ceux qui en sont à la fois la source et le réceptacle. »
La portée et l’enjeu de ces dynamiques en émergences ne manquent pas de susciter un intérêt croissant dans la communauté scientifique, notamment chez les chercheurs édités dans les collections du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en Sciences sociales) dirigées par Alain Caillé.
Comme le diagnostique pour sa part l’Historien Emmanuel Todd, « Ce dépassement conscient de l’intérêt individuel témoigne d’un saut qualitatif de la conscience humaine… qui peut être le début d’ une nouvelle phase de l’Histoire. » (2)
Telle est bien, me semble-t-il, l’ambition du contrat associatif de deuxième génération, car il fait novation par rapport à son prédécesseur, en conduisant les partenaires qui s’y rallient à en assumer personnellement la mise en œuvre. Ce scénario, en leur donnant un pouvoir accru sur la conduite de leur destin, leur permettra également de vivre une aventure collective le plus souvent passionnante.
Il est trop tôt pour que nous puissions définir l’éthique devant être respectée sur les nouveaux territoires de la mouvance associative.
Dans cette attente, contentons-nous d’adhérer à cette conviction du sage Amartya Sen : « Chacun doit aujourd’hui prendre en charge la survie physique et morale du Monde. »
1) D’après François Dubet, Le Travail des Sociétés, Seuil 2 000
2) Après la Démocratie, Seuil, 2 000
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