Depuis plusieurs années, la question de la publicité revient régulièrement dans le débat public. Comment concilier les impératifs écologiques et sociaux, qui impliquent de consommer moins et mieux, et l’existence de la publicité, qui permet d’orienter les choix des personnes, mais qui a également une fonction d’incitation à l’achat ?
En juin, la Convention citoyenne pour le climat dévoilait ses 150 propositions, parmi lesquelles apparaissait la régulation de la publicité, dans l’objectif de « réduire les incitations à la surconsommation ».
Ce même mois de juin, trois rapports sur le sujet avaient été dévoilés : celui du SPIM Big Corpo, le rapport Libaert & Guibert? commandé par la ministre de l’Écologie? et l’étude réalisée par l’ONG Greenpeace.
Le groupe parlementaire Écologie-démocratie-solidarité présente de son côté une « proposition de loi pour faire de la publicité un levier au service de la transition écologique et de la sobriété et pour réduire les incitations à la surconsommation ». Enfin, l’Ademe et l’ARPP ont publié en septembre le bilan « Publicité et environnement » qui met en lumière une forte hausse, pour la première fois depuis dix ans, du taux de non-conformité des publicités par rapport à la recommandation développement durable et donc un respect moindre des règles déontologiques, sur tous les supports.
Ces résultats sont significatifs et inquiétants. Ils révèlent une baisse de vigilance de l’ensemble des acteurs (annonceurs, agences-conseils, diffuseurs) lors de la conception et de la validation des publicités.
L’Ademe s’est intéressée depuis longtemps à la façon dont celles-ci façonnent nos modes de consommations, nos références et nos représentations sociales. Elle s’est ainsi questionnée sur la manière dont la publicité pourrait jouer un rôle positif dans la transition écologique et contribuer d’une part à freiner la surconsommation et réorienter nos choix vers des achats plus durables, d’autre part à proposer de nouveaux imaginaires collectifs plus soutenables.
Rappelons qu’en France, les dépenses publicitaires totales représentaient, en 2019, la somme de 34 milliards d’euros par an, soit une progression de 2 % par an depuis 2015. La part des dépenses en publicité digitale – portée par la publicité sur mobile – a augmenté de 7 points entre 2015 et 2019, au détriment de l’ensemble des autres catégories pour atteindre près de 7 milliards d’euros.
Les consommateurs désireux de changement
La communication, en particulier publicitaire, dispose d’un très fort pouvoir d’influence sur la société : elle transmet des messages, des valeurs et des modèles culturels qui contribuent eux-mêmes à faire évoluer les imaginaires et les normes ou représentations qu’elle véhicule. En fonction de la promotion qu’elle fera ou non de modes de vie compatibles avec les limites de la planète, elle participera à modeler la société de demain. Le secteur serait donc un vecteur de poids pour valoriser de nouvelles mobilités, de nouvelles façons d’habiter, de s’équiper, de se nourrir, de vivre ensemble…
Elle a d’autant plus intérêt à saisir ce tournant que le rapport des Français à la consommation et à la publicité a très largement évolué, comme l’indiquent un certain nombre d’indicateurs récents. Pour 63 % des Français interrogés, le fait qu’une entreprise propose des produits durables renforce leur confiance en elle. Près de 9 Français sur 10 considèrent que les entreprises les incitent à la surconsommation et 78 % souhaiteraient disposer d’informations sur l’impact environnemental et social des biens qu’ils achètent.
Par conséquent, l’évolution des messages publicitaires et des représentations que ces derniers véhiculent répond à un double enjeu : au niveau sociétal, développer la capacité de la société à opérer, plus ou moins vite, une transition écologique à travers la mise en avant de pratiques et de produits à moindres impacts sociaux et environnementaux. Au niveau productif, inciter les annonceurs – et spécifiquement les entreprises en charge de l’offre – à faire évoluer leur lien avec les consommateurs en développant une nouvelle relation de confiance fondée notamment sur une offre de produits plus durables et une communication claire sur leurs impacts.
Régulation et formation des professionnels
En France, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), avec qui travaille l’Ademe, est déjà chargée d’un contrôle avant diffusion des contenus publicitaires, dont résulte un avis favorable ou non : dans le cas de la télévision, il doit être obligatoirement suivi ; dans les autres cas, il reste à l’appréciation des annonceurs. Si ces derniers décident malgré tout de diffuser une publicité qui enfreint les règles déontologiques, ils s’exposent – à la suite du dépôt rapide d’une plainte – à un avis a posteriori d’une autre instance, le jury de déontologie publicitaire, qui sera communiqué et pourra nuire à leur image.
Cette autorégulation a toutefois des limites. L’évolution au 1er août 2020 des recommandations de l’ARPP témoigne d’une démarche de progrès, mais les précédentes recommandations étaient déjà riches et potentiellement très efficaces. La question majeure réside d’une part dans l’interprétation et la mise en œuvre des recommandations de cette instance, qui impliquent notamment une meilleure compréhension des enjeux environnementaux et climatiques auxquels nous faisons collectivement face. D’autre part, dans l’évolution et l’ouverture de la gouvernance de l’ARPP à la société civile et en particulier aux représentants des ONG.
Travailler sur les messages publicitaires afin de les faire évoluer vers des contenus plus en phase avec les objectifs écologiques et sociaux exige à la fois un encadrement clair des pratiques et une montée en compétences des professionnels de la publicité et du marketing, encore trop peu formés aux enjeux écologiques.
Améliorer l’information des consommateurs
Le changement de paradigme évoqué précédemment nécessite de réguler et d’améliorer l’information du consommateur, en imposant par exemple l’affichage bien visible des informations environnementales (en particulier réglementaires, comme l’étiquette énergie ou le futur indice de réparabilité) dans les publicités tout support ou en contrôlant sévèrement les publicités manifestement trop « agressives » (promotion déraisonnable…), notamment en période de soldes (1 produit acheté, 2 offerts…).
L’affichage de l’impact carbone des mobilités dans le secteur des transports est également un point d’importance, en particulier en ce qui concerne le secteur aérien.
Il s’agit également de proposer des mécanismes de rééquilibrage de certaines représentations au profit de solutions plus en phase avec les objectifs nationaux et internationaux (Accord de Paris). Un exemple marquant est celui de la voiture, qui jouit d’une place dominante dans la publicité par rapport à d’autres modes de mobilités, plus douces, qui mériteraient d’être davantage promues. La création d’un fonds (formalisée dans le rapport Libaert/Guibert) abondé via une contribution sur les dépenses publicitaires et spécifiquement dédié à des pratiques et messages écoresponsables (qu’il reste bien sûr à définir) permettrait de répondre à cet enjeu central.
Impliquer les annonceurs
Les médias et annonceurs ont par ailleurs un rôle fondamental à jouer, quand bien même leur modèle économique repose sur les recettes de leur régie publicitaire.
Certaines se veulent proactives dans le choix des réclames, à l’instar de TF1 publicité qui, accompagnée de l’Ademe, a développé en 2020 une offre visant à proposer des espaces dédiés pour des publicités portant sur des produits à moindre impact sur l’environnement.
Dans l’offre proposée par TF1, les publicités pour ces produits seraient encadrées par des « écrans » spécifiques avec obligation d’intégrer visuellement l’information environnementale (différenciant donc le produit sur le volet environnemental).
Evaluer et réduire l’impact de la publicité
Au-delà des messages véhiculés par la publicité, cette dernière développe comme toute activité des impacts environnementaux. En particulier, la publicité numérique a explosé au cours des dernières années, à la fois sur Internet, mais également sur les panneaux numériques. Dans une étude à paraître, l’Ademe a calculé l’impact carbone annuel de telles installations.
Un écran publicitaire LCD numérique de 2m2 consomme 2 049 kWh/an, ce qui est proche de la consommation électrique moyenne d’un ménage français (hors chauffage) (2 350 kWh/an). Les 1 400 écrans parisiens, présents dans le métro et les gares, consomment autant d’électricité en un an que l’ensemble des écoles élémentaires d’un arrondissement moyen de Paris. Quant à leur fabrication, une seule de ces installations implique de mobiliser 8 tonnes de matériaux pour un panneau de 200 kg.
Le flux de papiers et notamment de prospectus non adressés s’est quant à lui maintenu. La loi antigaspillage adoptée le 10 février dernier a certes durci le dispositif légal qui encadre la mention « STOP PUB » sur les boîtes aux lettres, mais il ne suffira pas à mettre fin aux nombreux prospectus distribués quotidiennement et non lus, entraînant des gaspillages inacceptables.
Il apparaît donc nécessaire d’améliorer la connaissance des impacts des pratiques publicitaires, volet complémentaire des messages délivrés.
Pierre Galio, Chef du service « Consommation et prévention », Ademe (Agence de la transition écologique)
Cet article est republié à partir de The Conversation partenaire éditorial de UP’ Magazine. Lire l’article original.