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« Veiller sur mes parents » ou comment faire payer la relation humaine

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La Poste a lancé le service « Veiller sur mes parents » le 22 mai 2017 à grand renfort de publicité. Elle propose un ou plusieurs passages par semaine du facteur au domicile de personnes âgées, suivi d’un compte rendu de la visite par le biais d’une application sur smartphone. Un service payant pour se positionner sur le marché du vieillissement de la population, alors que les politiques publiques tardent à répondre à cet enjeu démographique.
 
« Tu te rends compte qu’avant ils gardaient les parents à la maison… on ne fait pas des enfants pour qu’ils s’occupent de nous. » Le clip publicitaire de Veiller sur mes parents commence ainsi. Une dame âgée, seule dans un appartement où le temps semble s’être arrêté. Après des considérations sur la vieillesse, le besoin d’autonomie et le maintien à domicile, la septuagénaire prépare et offre une tasse de café à un jeune facteur. La publicité chute sur l’offre de lancement de la prestation. Un forfait mensuel incluant une visite hebdomadaire du facteur et une télé-assistance fournie par Europ Assistance pour 19,90 € par mois pendant un an. Tel est le nouveau service que vend La Poste.

Un service ne relevant pas du médical ou du soin

Avec la télé-assistance et la visite du facteur, l’entreprise – encore – publique se propose de favoriser le maintien à domicile le plus longtemps possible d’un parent vieillissant et de rompre son isolement. Le souscripteur de l’offre reçoit un compte rendu à chaque visite à domicile grâce à une application mobile. Une réponse au vieillissement de la population et à la crainte d’un remake de l’hécatombe de la canicule de 2003, pour cette offre proposée juste avant l’été ?
 
Les mots utilisés par La Poste pour promouvoir son service peuvent le laisser imaginer. Veiller, maintien à domicile, visites, rompre l’isolement, rassurer, bien-être… tout le vocabulaire utilisé renvoie à la notion de prendre soin. La prise en charge de ce service par une entreprise publique renforce cette perception pour les usagers. Le groupe La Poste se défend cependant de toute ambiguïté : « Le facteur est là pour passer un moment de convivialité, de discussion et d’échange. On n’est pas du tout dans le domaine médical. »

Marchandisation de la relation sociale

En plus de la télé-assistance, ce qui est vendu, c’est une courte présence humaine lors du passage du postier. L’offre d’entrée de gamme est à 39,90 € par mois (19,90 €, jusqu’au 31 décembre 2017) pour une visite par semaine. « Le prix du service correspond aux prix du marché de la téléassistance », assure le service de communication de La Poste. Les entreprises fournissant des boîtiers d’alarme et une assistance téléphonique 24 h/7j proposent effectivement des offres autour de 30 €. Les passages supplémentaires du préposé des postes, au-delà de la relation hebdomadaire, sont cependant grassement facturés. Un second passage coûte 59,90 € (29,90 avec l’offre de lancement). Pour quatre ou six visites par semaine l’offre promotionnelle disparaît et la facture grimpe à 99,90 € et 139,90 €.
 
Le facteur ne reçoit pas de rémunération supplémentaire pour une prestation intégrée à sa tournée, sans compensation de temps. Le prix semble élevé pour quelques minutes par visite. « Est-ce que la personne qui en a besoin sera la personne qui va s’abonner ? », s’interroge de son côté Gilles Berrut, membre du bureau de la Société française de gériatrie et gérontologie. C’est l’inconvénient « du modèle payant individuel ». Pour le médecin, « l’installation d’un boîtier ne permet pas le maintien à domicile, même associé à la visite du facteur ». Cependant, le service a la vertu à ces yeux de créer une dynamique.
 
Pour lui, le maillage territorial de soutien aux personnes âgées est insuffisant. D’ici une décennie, la France subira un choc démographique. À ce moment-là, en 2027, « un tiers de la population aura plus de 65 ans ». Les politiques publiques n’ont pas suivi, laissant le champ libre au secteur privé. Gilles Berrut voit La Poste comme un acteur important pour l’avenir et analyse le service proposé aujourd’hui par l’opérateur public comme une première phase présentant de nombreuses imperfections. Une bienveillance qui n’est pas partagée par les internautes sur les réseaux sociaux, où le Poste-bashing fait rage depuis le lancement de « Veiller sur mes parents ». Peut-être une des raisons de la faible réussite du nouveau service. La Poste n’avait enregistré qu’un millier de contrats au 11 juillet, dont les deux tiers pour une visite unique par semaine.

Des facteurs peu convaincus

Qu’en pensent les facteurs chargés de fournir ce service ? Un contrat Veiller sur mes parents a été signé sur les tournées de Mathieu, Alice et Marion (les prénoms ont été modifiés) au début de l’été. « La publicité est totalement fausse », s’exclame Marion. L’image, dans la campagne promotionnelle, du facteur assis, buvant le café et prenant le temps de discuter ne correspond pas à sa réalité.
 
« Je lui demande comment cela va. Si elle me dit qu’elle va bien, je coche « rien à signaler » sur l’application, je la fais signer et je continue la tournée ». Pas de café, pas de temps pris pour discuter. L’opération dure moins de cinq minutes. Les nombreuses suppressions de tournée et réorganisations dans les bureaux de distribution ont fait la chasse aux temps morts. Après quatre ou cinq coups de rabot en 10 ans, les agents n’ont plus de marge de manœuvre. Alice, factrice depuis cinq ans, ne se destinait pas à ce métier. Elle a débuté en CDD, et ne s’imaginait pas rester. La découverte du contact avec le public sur sa tournée, associé au sentiment d’être utile, lui ont plu. Elle est restée. Aujourd’hui, faire payer la relation humaine la rend mal à l’aise. Ses collègues rappellent qu’ils faisaient cela gratuitement auparavant.

Une mise en route qui tient du bricolage

Pour Marion, ce service « sert surtout à rassurer les gens ». La personne âgée chez qui elle se rend a récemment fait une chute. Sa fille inquiète a signé un contrat pour un passage quotidien. « S’il se passe quelque chose, je n’ai pas envie d’être responsable », s’inquiète la factrice. La direction de La Poste affirme de son côté que l’entreprise est seule responsable. Mais cet élément n’a pas été communiqué à Marion. Malgré une formation, de nombreuses questions pratiques restent sans réponse.
 
Alice ne fait sa visite qu’une fois par semaine. Une formation, établie en collaboration avec le Gérontopôle des Pays de la Loire, lui a été dispensée durant l’hiver, sous forme d’e-learning. Elle a passé trente minutes après sa tournée seule devant un ordinateur pour apprendre les bons comportements avec les personnes âgées. Les agents reçoivent ainsi quelques conseils numériques : parler en face de la personne, garder de la distance si elle est trop en demande, ne pas crier… Le tout sous forme de saynètes. Une feuille de route jugée un peu mince par les agents de la distribution du courrier, pour faire face à toutes les situations pouvant se présenter avec une population vieillissante. L’habilitation lui a été donnée au dernier moment par La Poste fin juin. Elle a duré cinq minutes et a porté essentiellement sur la maîtrise technique de l’application mobile.
 
Le premier problème rencontré est celui d’avoir un service rendu régulier et réalisé par le même agent pour ne pas déstabiliser les personnes âgées. Surtout en période estivale avec les départs en congé. Pour effectuer la prestation sur la tournée de Mathieu, ses chefs ont prévu deux suppléants au maximum, définis nominalement. Il a déjà été remplacé à deux reprises en 15 jours lorsqu’il était en RTT, mais, par deux facteurs différents et non prévus à cet effet. Même problème sur la tournée de Marion. « Quand j’ai dit à la dame que je partais en congé, elle n’était pas contente. Ma remplaçante n’a pas été bien accueillie. » L’organisation concrète du service risque d’être compliquée alors que le personnel du bureau de distribution de Marion, Alice et Mathieu est composé d’environ 40 % de facteurs en CDD et d’intérimaires.
 
Stéphane Ortega
Cet article a été publié la première fois par Bastamag.
Image d’en-tête : Chalmers Butterfield

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