Les pays du G7 et les géants de l’internet se sont mis d’accord vendredi 20 octobre, en Italie, sur un plan visant à bloquer les contenus en ligne à caractère « terroriste », au moment où l’organisation État Islamique (EI) « ne dispose plus de territoire » après la chute de son ultime bastion de Raqqa.
La chute de Raqqa, fief du groupe État islamique (EI) en Syrie, « est une défaite militaire très dure mais cela ne signifie pas que ce groupe n’existe plus », a déclaré le ministre italien de l’Intérieur, Marco Minniti, en clôture d’une réunion de ses homologues du G7 sur l’île italienne d’Ischia, au large de Naples.
« C’est la première fois » que les pays du G7 – États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, et Canada – et les représentants des principaux opérateurs internet et réseaux sociaux se retrouvent ensemble autour de la même table, s’est félicité M. Minniti.
Il a rappelé qu’internet s’était révélé « un moyen de recrutement, d’entraînement et de radicalisation important des combattants étrangers » et que la lutte contre le terrorisme sur la toile était particulièrement importante au moment où l’EI « ne dispose plus de territoire ».
Les représentants de Google, Facebook ou encore Twitter et les ministres du G7 se sont mis d’accord sur un plan d’action visant à bloquer « des contenus à caractère terroriste ».
« La rencontre avec les opérateurs d’internet a été plus que satisfaisante », a estimé M. Minniti en déplorant le fait que l’EI circule sur internet « comme un poisson dans l’eau ».
L’accord prévoit que les contenus faisant l’apologie du terrorisme, ou appelant à mener des actes terroristes, « soient supprimés dans les deux heures qui suivent leur mise en ligne », a expliqué à l’AFP le ministre français de l’Intérieur, Gérard Collomb.
Une déclaration commune des dirigeants français, britannique et italien en marge de l’assemblée générale de l’ONU allait déjà « dans ce sens et c’est ce à quoi les grands acteurs d’internet de sont engagés », a ajouté M. Collomb.
« Nous devons en faire davantage », a insisté Elaine Duke, secrétaire américaine à la Sécurité par intérim, remerciant les grands réseaux sociaux pour leur collaboration. Selon une source diplomatique, la France, le Royaume-Uni et l’Italie sont parvenus « après deux heures de négociations à obtenir l’accord des Etats-Unis sur le texte ». Mme Duke « a fait valoir le Premier amendement de la constitution des Etats-Unis qui fait de la liberté d’expression, quel que soit le contenu, quelque chose de fondamental », a précisé Gérard Collomb. « De notre côté, nous avons soutenu qu’internet n’était plus un vecteur de liberté mais un facteur d’insécurité première avec des milliers de morts à travers le monde », a-t-il poursuivi.
Face à ces accusations récurrentes, les grandes plateformes numériques se défendent car la situation a changé en quelques années. Il y a encore peu de temps, les géants de l’Internet se drapaient dans le dogme du respect absolu de la liberté d’expression. Un dogme d’autant plus fort chez les anglo-saxons et encore plus dans la communauté des fondateurs historiques d’Internet. Mais, face à la multiplication des événements violents et tragiques, la situation a changé.
Les règles des principaux réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou YouTube ont été modifiées. Elles définissent les contenus autorisés et interdisent maintenant très clairement l’apologie ou la propagande terroriste. Après les accusations de Theresa May, le directeur des affaires publiques de Facebook, Simon Milner avait tenu, selon Le Monde, à affirmer vouloir que « Facebook soit un environnement hostile aux terroristes ». « Nous retirons le contenu terroriste des plateformes dès que nous en apprenons l’existence » déclarait-il. Son collègue de Twitter ne disait pas mieux : « Le contenu terroriste n’a pas sa place sur Twitter ».
Il est vrai que sous la pression des événements, des opinions et des gouvernements, les réseaux sociaux se sont décidés, depuis quelques mois, à prendre des initiatives sérieuses. Twitter a annoncé fin mars avoir suspendu 377 000 comptes incitant au terrorisme pendant le deuxième semestre 2016. Facebook et YouTube ont quant à eux lancé fin 2016 un algorithme capable de détecter et de supprimer automatiquement tous les contenus de propagande islamiste ou d’incitation à la violence. Le réseau de Mark Zuckerberg a aussi annoncé fin mai l’embauche de 3000 « petites mains », espionnes de Facebook, pour venir en renfort humain de la surveillance par les algorithmes.
Les signes d’une reprise en main se multiplient. Plusieurs unités de police de différents États ont mis au point des protocoles d’alerte des réseaux sociaux en cas de contenus illicites. 91 % d’entre elles seraient suivi d’effet.
Mais quel est l’impact réel de ces mesures sur le terrorisme ? La surveillance des réseaux ne peut s’opérer qu’a posteriori, quand un contenu illicite est signalé. Mais il est impossible et peu souhaitable qu’une censure a priori soit appliquée. D’autre part, le rôle d’Internet dans la radicalisation n’est pas démontré de façon évidente. Le spécialiste de la question est le chercheur canadien Benjamin Ducol, responsable de la recherche au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), situé à Montréal. Pour lui, « Internet joue un rôle, mais pas toujours prépondérant ».
Interrogé par le journal La Croix, il explique que le risque majeur d’Internet réside dans le fait qu’il permet de rentrer dans une « bulle cognitive » : « Internet vient renforcer les idées que l’on a, car, par l’effet des réseaux sociaux et des algorithmes, il propose automatiquement des contenus liés aux recherches précédentes ou à ses contacts, et exclut toute proposition déviante. Internet peut enfermer les gens dans une manière de penser ».
Qu’il soit soutenu ou amplifié par Internet, le processus de radicalisation ne part en tout cas pas de rien, s’accordent les spécialistes. « Derrière tout processus de radicalisation, il existe un terreau fertile qui rend certains individus plus (pré)disposés que d’autres à s’engager sur le chemin de la radicalisation.
Ce terreau fertile est toutefois extrêmement variable d’un individu à un autre, fruit des conditions sociales, familiales, culturelles, relationnelles et psychologiques propres à chacun. », affirme Benjamin Ducol. Il poursuit : « Dans une grande majorité de cas, l’internet opère ainsi comme un catalyseur plus que comme une cause première de l’adhésion à une cause extrémiste. Pour les individus déjà convaincus ou en voie de l’être, le web devient un terrain où peut se développer librement un fantasme identitaire : celui de faire partie d’une cause collective grandiloquente (le djihad, la défense d’une pureté identitaire, etc.) nécessitant un engagement plein et entier. […] Personne ne devient toutefois djihadiste par le seul effet du web et des médias sociaux. Ce que le web produit, c’est cet amalgame monstrueux entre un narratif idéologique fantasmé du monde (le djihadisme, l’extrême droite identitaire, l’ultranationalisme exacerbé, etc.) et des individus souvent vulnérables, naïfs ou prédisposés à croire aux discours auxquels ils s’exposent en ligne. En l’absence de tout recul critique, les individus en viennent à prendre pour argent comptant les arguments et justifications croisés sur internet. »
Cause, catalyseur, accélérateur ? la problématique de l’influence des réseaux sociaux sur le terrorisme islamiste ne serait-elle finalement qu’un vrai faux problème ? Le terroriste ne naît pas des réseaux mais les réseaux lui sont bien utiles pour se développer. L’accord signé entre le G7 et les géants d’Internet est un pas de plus pour l’éradiquer.
Source : AFP
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