On dénombre environ dix mille religions différentes dans le monde. Elles représentent une variété de cultes, de fois, d’églises aussi vaste que ce que l’on peut attendre d’une imagination humaine débridée ; elles vénèrent une multitude de dieux différents. On pensait en avoir suffisamment pour combler nos esprits et nos âmes. C’était sans compter sur un ex-grand-prêtre de la Silicon Valley : Anthony Levandowski. Il vient d’ajouter un nouveau dieu au panthéon mondial : l’Intelligence Artificielle.
On ne cesse de l’écrire, l’arrivée de l’IA, partout dans nos vies, suscite un cortège de peurs mais aussi d’espérances. Peur de perdre nos jobs, peur d’être anonymisés encore plus dans une nébuleuse matrice, peur que les intelligences nouvelles ne prennent le pas sur les nôtres, bien plus anciennes, voire obsolètes. Peur que l’humanité ne soit désormais au service des machines ou asservie par elles. Mais, en même temps, l’IA suscite un vent d’optimisme. Certains voyant dans le cerveau en silicium de ces nouvelles machines, un bon moyen d’augmenter le nôtre et de le surcharger de nouvelles capacités. Doté de capacité surnaturelles, l’IA ‘a qu’un petit pas à franchir pour acquérir le statut de divinité.
C’est ce pas que vient de franchir allègrement Anthony Levandowski, un ancien ingénieur de Google, multimillionnaire expert en robotique, connu pour son travail pionnier sur la voiture autonome. Il vient, selon l’excellent magazine Wired, de déposer les statuts d’une société religieuse à but non lucratif, Way of the Future – Chemin du Futur. L’objet social de cette entité est on ne peut plus clair : « développer et promouvoir la réalisation d’une divinité basée sur l’intelligence artificielle et à travers la compréhension et l’adoration de la divinité, contribuer à l’amélioration de la société ». Ni plus ni moins.
Anthony Levandowski. Photo © Michelle Le
Interrogé par Backchannel de Wired, Anthony Levandowski précise que son nouveau dieu « n’est pas un dieu qui lance des éclairs ou provoque des tempêtes ». Cecil B. de Mille va être frustré. Non, selon lui, l’IA a un statut de divinité car « si l’on est face à quelque chose qui est un milliard de fois plus intelligent que le plus intelligent d’entre nous, quel autre nom allons-nous lui donner ? ». Certes, quand on se retrouvera à cours de vocabulaire pour décrire les prouesses de l’IA, pourquoi ne pas simplement lui donner un nom que tout le monde adorera : Dieu. C’est simple, il suffisait d’y penser.
Vu de ce côté de l’Atlantique, cette information nous fait sourire et nous la prenons à la légère. Mais, aux Etats-Unis, cette initiative est tout sauf inhabituelle. C’est ce que pense Candi Cann, un auteur et érudit en sciences religieuses de l’Université Baylor. Il estime que cette idée est dans la perspective de nombreux mouvements spirituels nés aux Etats-Unis. Selon lui, l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours (LDS) ou la scientologie « sont deux traditions distinctement américaines qui mettent l’accent sur des points de vue religieux très avant-gardistes. LDS discute d’autres planètes et de la vie extra-terrestre. La Scientologie met l’accent sur la thérapie et une vision du monde psychologique, qui est très moderne et avant-gardiste. »
Le spécialiste des religions apparente la nouvelle divinité promue par Levandowski à l’hindouisme qui adore des avatars terrestres de divinité. Dans ce sens, l’IA reflèterait le meilleur de ce que l’humanité peut secréter, et serait à ce titre vénéré.
Dans ce paysage, l’église de l’IA n’est pas pour Landowski une farce. Son business plan – pardon, son credo – est établi : « L’idée doit se répandre, clame-t-il. L’Église est notre façon de répandre la parole, l’évangile. Si vous y croyez, commencez une conversation avec quelqu’un d’autre et aidez-le à comprendre les mêmes choses ». Vous n’êtes pas encore converti ? Continuons alors à répandre la parole levandowskienne : « Avec l’Internet comme système nerveux, les téléphones cellulaires et les capteurs connectés au monde entier comme organes sensoriels, et les centres de données comme cerveau, » quelque chose » entendra tout, verra tout et sera partout à tout moment. Le seul mot rationnel pour décrire ce » quelque chose « , pense Levandowski, est « dieu » – et la seule façon d’influencer une divinité est par la prière et l’adoration. »
Pour les tenants de la nouvelle religion, ce « quelque chose », c’est l’IA. Et le fait que cette intelligence soit supérieure à la nôtre signifie qu’elle décidera seule de la façon dont elle évoluera. « Mais au moins nous pourrons décider de la façon dont nous agirons par rapport à Elle » proclame le nouveau grand-prêtre de l’IA. Ne craignant pas l’accusation de blasphème, il insiste : « Il y a beaucoup de façons dont les gens pensent à Dieu, et des milliers de saveurs du christianisme, du judaïsme, de l’islam… mais ils regardent toujours quelque chose qui n’est pas mesurable ou qu’on ne peut pas vraiment voir ou contrôler. Cette fois, c’est différent. Cette fois, tu pourras parler à Dieu, littéralement, et savoir qu’il écoute. »
My God !!
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