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La psychiatrie au temps du Covid : quelle considération et quels moyens ?

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Le confinement mais aussi les difficultés économiques et sociales ont augmenté dans la population les symptômes dépressifs, anxieux et les addictions, induisant de nouveaux besoins en santé mentale. Avec ce second confinement, un nouvel afflux de patients qui avaient renoncé à leurs soins pendant cette période, a révélé des pathologies souvent aggravées (20.000 appels étaient passés chaque jour au numéro vert d’aide psychologique mis en place par le gouvernement). La prise en charge hospitalière, tant au niveau des ressources financières qu’au niveau des ressources humaines n’a cependant pas été à la hauteur, selon le pédopsychiatre Yoann Loisel. Et malgré l’intervention la semaine dernière du ministre de la Santé qui reconnaissait que « l’impact psychologique de l’épidémie et, plus encore du confinement, est réel » et que « La santé mentale des Français s’est significativement dégradée entre fin septembre et début novembre », il y a urgence à réexaminer les modalités de financement de la psychiatrie, et retrouver empathie et bienveillance dans le soin à apporter à notre société toute entière.
Pour les gouvernements successifs depuis 1995, l’hôpital doit être « géré » comme une clinique privée à but lucratif. Il doit produire des « actes », des « séjours », des « durée moyenne de séjour ». Il ne soigne plus des patients mais des « files actives » …

Tandis que le ministre de la santé assure vouloir « éviter une troisième vague, qui serait une vague de la santé mentale pour les jeunes et pour les moins jeunes », suite à sa visite d’une plateforme d’écoute dévolue aux 12-25 ans, le 18 novembre dernier, la considération des moyens destinés aux soins psychiques semble plus que jamais nécessaire. Les professionnels, le public concerné aussi, peuvent cependant être inquiets, au vu de la prise en compte précédente des besoins et d’une définition étroite de la souffrance repliée dans le concept très pragmatique de « santé mentale ».

Le soin est un humanisme qui se développe en solidarité, pour ne pas dire en « solidarisme », une philosophie politique trop oubliée »
Cynthia Fleury (« Le soin est un humanisme » – Tract de crise, éditions Gallimard)

D’où partons-nous pour observer l’exacerbation du mal-être ? Légitimement, la diffusion pandémique et les risques de la Covid-19 ont imposé des mesures prophylactiques extrêmement contraignantes. Seulement, le discours politique qui les accompagne, parlant de « mesures barrières » beaucoup plus que de solidarité, entérinant la représentation d’une méfiance, voire d’une infantilisation de la population, peut être entendu non pas en fonction du caractère inédit de la situation mais, aussi, selon ce qu’il continue de recouvrir : l’importance, pour être soi, du lien à un autre suffisamment bienveillant.

Dans ce contexte, les très récentes réformes du budget de la psychiatrie renforcent malheureusement la conception technocratique du soin et de l’individu concerné (le soignant comme le soigné). Elles paraissent même exemplaires d’une entreprise de dévitalisation de l’esprit et du lien, telle que la lutte contre la Covid-19 ne l’impose pas tant, de manière neuve, qu’elle en révèle plutôt une vieille ambition, celle de l’homo economicus pur et dur, dont il faudrait, outre le combat antiviral, tâcher enfin de se défendre pour reconstituer une société autrement attentive.

De quoi s’agit-il ? Du volet « psychiatrie » de la nouvelle Loi de Financement de la Sécurité Sociale, votée en octobre 2019 et applicable à partir de janvier 2021, une loi précisément dont Olivier Véran, avant d’être ministre de la santé, fut le rapporteur. Le premier de ses principes est de poser une « enveloppe fermée » : pas d’augmentation du budget global (pour des structures qui, largement, ont fait état de leur paupérisation).
L’attribution des moyens, ensuite, est corrélée à la taille de population soignée – ce qui paraît être une bonne chose. Seulement, les critères d’évaluation ne se trouvent pas uniquement liés au « bassin de population » (le nombre d’habitants) mais à la « file active » (oui, le nombre « d’actes »). C’est donc le retour à une « tarification à l’acte », modèle de financement qui vient d’être décrié comme ayant provoqué la situation désastreuse de l’hôpital tel qu’il ne pouvait plus absorber une charge épidémique un peu forte (grippe, gastro… il y a un an, la colère des soignants ne parlait pas du Covid).

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Les unités de pédopsychiatrie sont directement menacées par un tel financement, puisqu’elles promeuvent un soin dans la durée nécessaireDans l’esprit de cette loi, l’offre de soin doit répondre aux critères médicaux, assez courts, de la « santé mentale ». Il s’agit beaucoup moins d’évaluer et de traiter une difficulté prenant impact et sens au niveau de la construction individuelle du sujet, avec le temps qu’il faut, mais d’expertiser des symptômes, conçus comme déficits ou carences, en orientant vers des thérapies médicamenteuses et/ou adaptatives détachables du secteur public (relai vers des structures privées diverses pour ceux qui pourront payer). Et au suivant… le circuit le plus court gonflera utilement la file active. Les unités de pédopsychiatrie sont directement menacées par un tel financement, puisqu’elles promeuvent un soin dans la durée nécessaire, et dans une relation qui ne se découpe pas en « saupoudrage » d’accueils partiels permettant de multiplier sans bornes les patients reçus (au détriment de tous).

La considération de la personne s’efface devant l’intérêt de maintenir le pays compétitif. Précisément, c’est là la raison, semble-t-il, du malaise actuel.Si l’instant paraît crucial, il conviendrait d’être ambitieux : définir la souffrance psychique, c’est définir l’humain. On entend pourtant, et singulièrement chez beaucoup d’enthousiastes de la « santé mentale », une plaidoirie mettant en avant combien les symptômes psychiques coûtent aux entreprises. Le plus généralement, ce discours n’est hélas pas tenu pour faire passer, en douce, une revalorisation du soin relationnel mais un positionnement, pile dans l’esprit de notre temps, où le psychiatre (souvent préoccupé de reconnaissance) s’accorde à l’objectif de réduire les handicaps économiques de la société. La considération de la personne s’efface devant l’intérêt de maintenir le pays compétitif. Précisément, c’est là la raison, semble-t-il, du malaise actuel.

Boucle vicieuse ? Avec les confinements, la part de l’esprit nourrie de l’autre s’est trouvée très invitée au racornissement tandis que cette privation, on le sait, fournit le terreau de quantités d’excitations – notamment chez l’enfant et chez l’adolescent – qui ne savent où les diriger, ni comment les contenir. Et donc, outre la dépression d’abord visible, la propension aux passages à l’acte, si facilement récupérés par diverses causes, nouvelles ou vieilles lunes renforçant la peur de l’altérité, de la discussion…. de la culture en bien singulier et trait d’union commun.
Tout ceci, il faut le rappeler, sur une « archipélisation » bien constituée des identités et des maux avec, depuis quelques années déjà, l’exacerbation des épuisements professionnels (quelque chose d’humain résiste à la flexibilité) et la montée des refus scolaires chez les adolescents (ils n’en peuvent plus d’une marche forcée inattentive à leurs besoins d’incertitude et de tâtonnements).  

Attendons-nous, eugéniquement, l’étranglement du sujet de culture pour, enfin, être débarrassé de ce qui semble entraver le pragmatisme froid d’un certain homo economicus ? Triste société alors… ce ne peut être, à la lumière des événements les plus récents, et de l’éloge à différents endroits de l’humanisme, la volonté de nos gouvernants.

Souhaitons donc qu’ils réexaminent les modalités de financement de la psychiatrie, et qu’ils nous parlent plus, pour tous, des bienfaits de la relation lorsqu’elle peut s’installer avec temps, empathie et bienveillance. Au fond, rénover la psychiatrie n’est pas seulement une question de moyens : elle est surtout celle d’une vision générale de l’humain et de la société qui l’abrite, devant viser à permettre à l’individu, s’y sentant reconnu, de continuer de construire cette société. 

Yoann Loisel, Pédopsychiatre-Psychanalyste à l’Institut Mutualiste Montsouris,Paris – Responsable d’une unité de soins pour adolescents 

Yoann Loisel est l’auteur de : « Le complexe traumatique – Fonctionnement limite et trauma : la réalité rejoint l’affliction » MJWFédition, 2018 / « La bobine de Louis Ferdinand – Louis-Ferdinand Céline, le négatif et le trait d’union », MJWFédition, 2018 / « Samuel Beckett – D’une langue à l’autre : l’outre-verbe », MJWFédition, 2020  

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