Dans la foulée de la violation massive des données personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook, le PDG Mark Zuckerberg a répondu aux questions des politiciens américains pendant deux jours devant le Sénat américain puis devant la Chambre des Représentants. Ces questions portaient principalement sur la relation étroite entre le modèle commercial de Facebook, qui consiste à vendre des publicités ciblées, et la nécessité de capturer puis d’exploiter de grandes quantités d’informations personnelles de ses utilisateurs.
Si c’est gratuit, c’est vous le produit
L’équation fondamentale entre vente de publicités affichées aux utilisateurs et accès à leurs données personnelles sous-tend le commerce économique des services gratuits. Mark Zuckerberg a admis que les publicités n’étaient pas populaires.
« Même si certaines personnes n’aiment pas les publicités, les gens n’aiment pas vraiment les publicités qui ne sont pas pertinentes. »
Dire que les gens n’aiment pas les publicités est un euphémisme. Pertinentes ou non, les annonces ne sont pas appréciées par grand-monde. Dans un sondage mené par le cabinet-conseil Deloitte en 2017, entre 75 % et 80 % des répondants ont utilisé au moins un type de technologie de blocage des publicités. Il ne s’agissait pas seulement d’utiliser un bloqueur de publicité sur un navigateur Web, un ordinateur ou un téléphone portable, mais aussi d’utiliser des magnétoscopes numériques ou des téléviseurs connectés pour sauter des publicités à la télévision, ou encore de payer pour la musique et la diffusion en continu de films spécifiquement pour éviter les publicités.
Malgré tout, et même si le PDG de Facebook n’a pas exclu la possibilité de mettre en place un accès payant à sa plateforme, qui permettrait à l’utilisateur de s’affranchir de la publicité, il est apparu clairement durant les auditions que le très efficace modèle d’affaires de Facebook ne sera pas remplacé de sitôt. L’exploitation des données personnelles à des fins publicitaires va donc durer.
Quelle efficacité pour ces publicités ?
Même si les publicités parviennent jusqu’aux utilisateurs sur les médias sociaux, leur efficacité est loin d’être prouvée. Son évaluation est en effet complexe, car la publicité est utilisée pour atteindre des objectifs très différents. Certaines publicités ont pour but d’accroître la reconnaissance de la marque d’une entreprise (et de ses produits) par les consommateurs. D’autres peuvent viser un objectif spécifique, par exemple faire en sorte que les gens cliquent sur un lien vers un site Web et y achètent un produit particulier (ou décident d’aller dans un magasin physique pour y faire la même chose). La mesure de l’efficacité des publicités sera différente selon leur objectif.
Un autre facteur de difficulté pour évaluer l’efficacité d’une publicité sur les médias sociaux est que celle-ci s’inscrit généralement dans le cadre d’une campagne plus globale, qui implique d’autres canaux (vidéos sur YouTube, annonces dans les moteurs de recherche, presse écrite, radio, télévision…). Dans ce contexte, il est difficile d’analyser les bénéfices découlant d’une composante particulière.
Pour Facebook et Google, les indicateurs clés sont le nombre de personnes qui ont cliqué sur une annonce, et ce qui s’est passé après qu’un utilisateur a cliqué sur l’annonce : a-il fini par acheter le produit ? Par créer un compte ? De 1 à 2 % des utilisateurs qui voient une annonce sur Facebook cliquent dessus. Parmi ces internautes, environ 9 % concrétiseront leur clic par une action. Cela signifie que si l’annonce était montrée à 1 000 utilisateurs sur Facebook, 10 personnes cliqueraient sur elle, et une seule finirait par exécuter l’acte attendu. Compte-tenu de ces chiffres, au final, cet acte coûterait 19 dollars en moyenne.
Un retour sur investissement négligeable pour les annonceurs
Parmi les plus de 5 millions d’annonceurs qui utilisent Facebook, il est absolument certain qu’un grand nombre d’entre eux ne tirent aucun bénéfice des publicités qu’ils payent et diffusent.
Étant donné que les revenus publicitaires de Facebook pour 2017 s’élevaient à 40 milliards de dollars US, leurs investissements représentent une somme massive d’argent, sans aucun avantage. Certaines entreprises se sont d’ailleurs rendu compte que la publicité sur Facebook n’apporte que des retours minimes. Dans un sondage mené auprès de petites entreprises, 62 % des répondants ont déclaré que les publicités payées sur Facebook « manquaient la cible » et n’atteignaient pas les utilisateurs qui comptaient pour leur activité.
Facebook a rencontré d’autres problèmes avec ses annonceurs. L’un des plus gros d’entre eux, Procter & Gamble a réduit les budgets publicitaires de 750 millions de dollars au cours des trois dernières années. Cela a été en partie une réponse à ce que Procter & Gamble considère comme des problèmes avec la publicité numérique, qui n’est contrôlée exclusivement que par deux entreprises : Google et Facebook. Ensemble, ces deux sociétés contrôlent plus de 70 % de la publicité numérique américaine aux États-Unis.
Par le passé, Facebook et Google ont déjà agacé les annonceurs pour un certain nombre de raisons. Facebook a été poursuivi pour avoir, pendant plus de deux ans, surévalué de 60 à 80 % le temps passé devant des vidéos par ses millions d’utilisateurs. L’an dernier, Google a vu les principaux annonceurs cesser de faire de la publicité sur sa plateforme YouTube, après qu’ils aient découvert que certaines de leurs annonces étaient diffusées en même temps que des contenus extrémistes et des discours haineux.
Le magazine américain New Republic a récemment publié un article de David Dayen soutenant l’interdiction de la publicité ciblée. Selon lui,
« L’économie de la surveillance devrait mourir. Cette façon de faire de la publicité ne sert pas le public et il n’est même pas certain qu’elle serve les annonceurs. Elle facilite le monopole, car ceux qui ont les plus gros volumes de données reçoivent tous les dollars publicitaires. »
Il est difficile, compte tenu de toutes les preuves accumulées et du comportement antérieur de Google et de Facebook, de ne pas être d’accord avec cet argument…
Vers une prise de conscience ?
La majorité des utilisateurs n’aiment pas les annonces et feront tous les efforts pour éviter de les voir. En parallèle, de nombreux annonceurs dépensent de l’argent pour des publicités qui ne profitent pas à leur entreprise. Et enfin, pendant ce temps, l’augmentation de l’engouement pour les publicités personnalisées entraîne un besoin croissant de collecte de données personnelles…
Ce n’est qu’une question de temps avant que les gouvernements commencent à s’attaquer au problème du monopole de Google et Facebook sur la publicité. Outre leur mainmise sur la publicité numérique, les deux entreprises contrôlent déjà 25 % de toute la publicité à l’échelle mondiale !
Cette situation devient un énorme problème. Au mieux, les entreprises dépensent des milliards de dollars pour des activités qui ne profitent qu’à Google et Facebook et non à elles-mêmes ou aux économies dans lesquelles elles opèrent. Au pire, la publicité, ciblée à l’aide de données personnelles, influe sur les croyances et les actions économiques, sociales et politiques. Dans leur insatiable quête de profit, Google et Facebook ne s’arrêteront devant rien pour exploiter les données personnelles de chaque être humain.
David Glance, Director of UWA Centre for Software Practice, University of Western Australia
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation, partenaire éditorial de UP’ Magazine
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