Red Mirror : L’avenir s’écrit en Chine, de Simone Pieranni – C&F Editions, collection Société numérique, 10 février 2021 – Traduit de l’italien par Fausto Giudice, avec un cahier photo de Gilles Sabrié – 184 pages
La Chine a longtemps été considérée comme « l’usine du monde » fabriquant pour l’Occident les biens de consommation puis les objets technologiques conçus dans la Silicon Valley.
Cette période est révolue : en développant massivement recherche, éducation et investissements, la Chine est devenue leader dans le domaine des technologies. Intelligence artificielle, villes intelligentes, paiement via les smartphones, surveillance et reconnaissance faciale sont déjà des réalités de l’autre côté de la Grande muraille numérique.
L’avenir s’écrit dorénavant en Chine. Mais quel avenir ?
Au-delà de la description du secteur et des usages des technologies en Chine, l’auteur s’interroge sur les raisons de ce développement radical. Comment les pratiques et les cultures d’entreprises rejoignent d’une part la mentalité confucéenne qui favorise l’acceptation de la surveillance mutuelle, et d’autre part les stratégies géopolitiques du gouvernement de Xi Jinping, notamment les « Nouvelles routes de la soie » ?
Comment les investissements massifs dans l’éducation et la recherche ont bouleversé l’équilibre mondial des savoirs et des économies… tout en perpétuant les relations clientélistes et de prévarication qui sont emblématiques d’un régime autoritaire ?
Sans compter une répression féroce et une censure quotidienne, dont le Xinjiang, et le traitement réservé aux Ouïghours, constitue le laboratoire.
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Un tour d’horizon de la technologie en Chine
WeChat, pour tout, partout
Dans Red Mirror, Simone Pieranni regarde sous tous les angles le développement très rapide des technologies en Chine. Son ouvrage part des usages, notamment celui de WeChat, l’application reine que Facebook cherche à imiter en rapprochant ses divers services (Instagram, WhatsApp)… et en se préparant à lancer des modalités de paiement et sa propre monnaie Diem.
Le développement urbain numérisé
La construction des villes intelligences, la surveillance permanente, notamment au travers de la reconnaissance faciale, permettent aux industries chinoises de la technologie d’accumuler données et savoir-faire qu’elles sont dorénavant prêtes à exporter à bas coût dans le monde entier.
Les conditions de travail
Les conditions de travail indécentes des travailleurs et travailleuses des usines chinoises de fabrication se déportent vers le travail des ingénieur·es et des employé·es de la haute technologie. C’est le « modèle 996 » : de 9 heures à 21 heures, six jours par semaine.
C’est également « l’esprit du loup » : « Nous sommes au début des années 1990 et, comparant les multinationales de l’époque aux éléphants, Ren Zhengfei dit que Huawei, dont il est le fondateur, devrait plutôt développer “l’esprit du loup” : un grand flair, un instinct de compétition ainsi qu’un esprit de sacrifice et de coopération. »
Loin d’être une industrie désincarnée, l’intelligence artificielle a besoin d’une masse de travailleurs à la tâche, sous-payés, des « turcs mécaniques » ou des « étiqueteurs » dont le livre décrit le travail, et dont les premières révoltes laissent envisager une remise en cause profonde.
Le Système de crédit social
Fréquemment évoqué dans les médias, le Système de crédit social (SCS), qui est encore au stade expérimental, laisse envisager une « vie à points ». Un besoin d’évaluation sociale qui va plus loin encore que les notes attribuées partout en Occident (chauffeurs, livreurs, employés de guichet… sont notés et notent les clients). Avec le SCS, ce sont l’ensemble des activités qui sont évaluées et traduites en points entraînant des conséquences sur les possibilités de déplacement ou de vie sociale.
Simone Pieranni a vécu en Chine de 2006 à 2014 et y retourne régulièrement. Il a fondé en 2009 l’agence de presse China Files spécialisée sur l’Asie. Il est actuellement journaliste au sein du quotidien Il manifesto pour lequel il suit de près ce qui se passe à Pékin. Il est l’auteur de plusieurs essais et romans et anime le podcast Risciò consacré à la Chine.
Gilles Sabrié est photographe de presse et vit à Pékin. Ses photos sont apparues dans de nombreuses publications à travers le monde, entre autres, Le Monde, The New York Times, The Wall Street Journal, Time magazine, Geo, National Geographic, Der Spiegel, L’Espresso, The Observer, The Guardian…