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Les graines des plantes ont, en elles, une mémoire du climat

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Pendant la saison froide, les graines des plantes dorment. Dès que les conditions climatiques deviennent optimales, le miracle du Printemps les réveille et elles se mettent à germer. Une horloge interne extraordinaire qui rythme le cycle des végétaux, observée par tous les jardiniers depuis la nuit des temps. Ce que l’on savait moins, c’est que la programmation du réveil des plantes est un mécanisme transmis par la plante mère aux graines, et que cette horloge tient compte des changements climatiques qui ont eu lieu pendant la vie de la mère. Ce sont ces mécanisme épigénétiques inédits qu’ont découvert des chercheurs de l’Université de Genève. Une découverte capitale dans ces temps de dérèglement du climat.
 
Les graines restent dans un état de dormance – un blocage temporaire de leur croissance – tant que les conditions environnementales ne sont pas idéales pour germer. La profondeur de ce sommeil, qui est influencée par différents facteurs, est héritée de leur mère, comme l’ont montré des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE).
Ils révèlent dans la revue scientifique eLife comment cette empreinte maternelle est transmise grâce à de petits fragments d’ARN dits ‘interférents’, qui inactivent certains gènes. Les biologistes dévoilent également qu’un mécanisme similaire permet de transmettre une autre empreinte, celle des températures présentes au cours du développement de la graine. Plus cette température est basse, plus le niveau de dormance de la graine est élevé. Ce mécanisme permet à la graine d’optimiser le moment de sa germination. L’information est ensuite effacée dans l’embryon germé, pour que la génération suivante puisse stocker de nouvelles données sur son environnement.
 
La dormance est mise en œuvre pendant le développement des graines dans la plante mère. Cette propriété permet aux graines de germer pendant la bonne saison, d’éviter que tous les rejetons d’une plante se développent au même endroit et entrent en compétition pour des ressources limitées, et favorise la dispersion des plantes. Les graines perdent également leur dormance à des échéances variables. « Des sous-espèces d’une même plante peuvent avoir différents niveaux de dormance selon les latitudes sous lesquelles elles sont produites, et nous voulions comprendre pourquoi », explique Luis Lopez-Molina, professeur au Département de botanique et biologie végétale de la Faculté des sciences de l’UNIGE.
 

Le gène paternel est réduit au silence

Comme tous les organismes ayant une reproduction sexuée, la graine reçoit deux versions de chaque gène, un allèle maternel et un allèle paternel, qui peuvent avoir des niveaux d’expressions différents. Les biologistes de l’UNIGE avaient montré en 2016 que les niveaux de dormance d’Arabidopsis thaliana (l’Arabette des Dames), un organisme-modèle utilisé en laboratoire, sont hérités de la mère. En effet, chez la graine, le niveau d’expression d’un gène régulateur de dormance appelé allantoinase (ALN) est le même que celui de l’allèle maternel. Ceci implique que c’est l’allèle maternel d’ALN qui est principalement exprimé, au détriment de l’allèle paternel.
 
Dans leur étude, les chercheurs montrent que cette empreinte maternelle est transmise par un mécanisme épigénétique, qui influence l’expression de certains gènes sans en modifier la séquence. L’allèle paternel d’ALN est ‘réduit au silence’ par des modifications biochimiques appelées méthylations, qui sont effectuées dans la région promotrice du gène afin de l’inactiver.
 
« Ces méthylations sont elles-mêmes le résultat d’un processus dans lequel sont impliqués différents complexes d’enzymes et de facteurs, ainsi que de petits fragments d’ARN dits ‘interférents’. Il s’agit d’un exemple inédit d’empreinte génomique, car elle se fait en l’absence de l’enzyme habituellement responsable de la méthylation », détaille Mayumi Iwasaki, chercheuse au sein du groupe genevois et première auteure de l’article.
 

L’empreinte du froid passé empêche l’éveil de la graine

Les conditions environnementales présentes pendant la formation de la graine laissent aussi leur empreinte, car son niveau de dormance augmente avec une baisse des températures. « Nous avons découvert que, dans ce cas, les deux allèles du gène ALN sont fortement réprimés dans la graine. Ceci est dû à un mécanisme épigénétique semblable, mais dont les acteurs ne sont pas tous identiques à ceux qui opèrent pour réduire l’allèle paternel au silence », expose  Luis Lopez-Molina.
 
Cette empreinte du froid permet à la graine de conserver des informations sur les températures passées pour les inclure dans le choix du moment optimal de germination. Après la germination, le gène ALN est à nouveau réactivé dans l’embryon. La mémoire du froid sera ainsi effacée, ce qui permet de remettre les compteurs à zéro pour la génération suivante.
 
« Étudier comment les facteurs maternels et environnementaux provoquent l’éveil des graines dormantes est d’une importance cruciale pour l’agriculture, notamment pour prévenir une germination précoce dans un environnement soumis aux changements climatiques », conclut Mayumi Iwasaki.
L’enjeu au niveau écologique est, lui aussi, majeur, car l’augmentation des températures pourrait diminuer la dormance de la banque de semences et modifier ainsi la répartition des espèces végétales sous une latitude donnée. Ceci entraînerait de multiples conséquences, directes et indirectes, pour les espèces animales et végétales indigènes.
Source : Université de Genève / EurekAlert
 
Image d’en-tête : Graine d’Arabidopsis thaliana au début de la germination. © UNIGE / Sylvain Loubéry
Première publication 27/03/2019

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