Amnesty International accuse les labos pharmaceutiques d’empêcher un accès équitable au vaccin Covid-19. Selon un rapport publié mercredi 22 septembre par l’ONG, moins de 1 % de la population est entièrement vaccinée dans les pays à faible revenu, contre 55 % dans les pays riches. Le blocage intentionnel des transferts de technologie par les Big Pharma et leurs manœuvres commerciales à l’avantage des pays riches ont créé une pénurie de vaccins hautement prévisible et extrêmement dévastatrice.
Six entreprises aux manettes du déploiement des vaccins contre le COVID-19 alimentent une crise des droits humains sans précédent en refusant de renoncer à leurs droits de propriété intellectuelle et de partager leur technologie, la plupart d’entre elles s’abstenant en outre de livrer des vaccins aux pays pauvres, a déclaré Amnesty International mercredi 22 septembre 2021.
Dans un nouveau rapport intitulé « Une double dose d’inégalité. Les laboratoires pharmaceutiques et la crise des vaccins contre le COVID-19 », l’organisation a évalué six des sociétés qui tiennent le sort de milliards de personnes entre leurs mains : AstraZeneca plc, BioNTech SE, Johnson & Johnson, Moderna Inc., Novavax Inc. et Pfizer Inc. Elle dresse le tableau affligeant d’un secteur qui manque cruellement à son obligation de respecter les droits humains.
Une crise des droits humains sans précédent
Entre le refus de renoncer à leurs droits de propriété intellectuelle et l’absence de livraison de vaccins aux pays en voie de développement, les laboratoires pharmaceutiques délivrant le vaccin contre la Covid-19 engendrent « une crise des droits humains sans précédent », alerte Amnesty International dans son rapport. « Honteusement pour eux et malheureusement pour nous, le blocage intentionnel des transferts de technologie par Big Pharma et ses manœuvres commerciales à l’avantage des pays riches ont créé une pénurie de vaccins hautement prévisible et extrêmement dévastatrice pour tant d’autres personnes », déclare Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
Dans de nombreux pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie, les hôpitaux et le personnel soignant manquent cruellement de moyens et peinent à se fournir en vaccins. L’arrivée de nouveaux variants comme le variant Delta affaiblissent encore plus un le système de santé publique qui menace déjà de s’effondrer. « Dans beaucoup de pays à faible revenu, même les soignants et les personnes à risque ne sont pas vaccinés. », déplore Mme Callamard.
À titre d’exemple, en Bolivie, 26,4 % de la population sont complètement vaccinés. Au Venezuela, ils sont seulement 15 %. Sur le continent africain, la situation est encore plus catastrophique : au Niger, à peine 0,4 % de la population a un schéma vaccinal complet, au Tchad, ce chiffre est de 0,2 %. Seul le Maroc tire son épingle du jeu avec 17,4 millions de personnes vaccinées, soit 47,8 % de l’ensemble de la population.
En comparaison, la France a vacciné 64,2 % de sa population, l’Espagne 76 % et le Portugal 81 %.
Mi-avril, Tedros Adhanom Ghebreyesus, patron de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) révélait que si une personne sur quatre est vaccinée dans certains pays riches, dans certains pays pauvres ce chiffre est d’une personne sur cinq cents. « C’est inacceptable », avait alors déclaré Emmanuel Macron, avant d’ajouter : « Le temps est venu de partager ».
BioNTech, Moderna et Pfizer : 130 milliards de recettes fin 2022
Amnesty International reproche aux laboratoires pharmaceutiques l’absence de solidarité au profit de leurs bénéfices, et cite plusieurs exemples, à l’image du laboratoire Moderna qui n’a pas encore livré de doses de vaccin à un seul pays à faible revenu, et a alloué seulement 12 % de sa production à des pays à revenu intermédiaire. Moderna « n’honorera pas la grande majorité de ses commandes destinées à COVAX avant 2022 », tacle le rapport.
Quant à AstraZeneca, si le laboratoire est celui qui a livré le plus de doses de vaccin à des pays à faible revenu, Amnesty International note qu’ « il a refusé de partager ouvertement son savoir-faire et sa technologie avec les initiatives mises en place par l’Organisation mondiale de la santé ».
L’association est d’autant plus révoltée que les bénéfices engrangés par ces géants de l’industrie pharmaceutique se comptent en centaines de milliards de dollars américains. Les données du rapport révèlent que les entreprises BioNTech, Moderna et Pfizer s’apprêtent à engranger à elles trois 130 milliards de recettes d’ici à la fin 2022. « Le profit ne devrait jamais passer avant les vies humaines », assène Agnès Callamard.
L’Europe et Covax
Le mécanisme Covax, dirigé par l’OMS, est censé assurer une répartition équitable des doses de vaccin aux pays à faibles revenus. L’Europe, l’un des principaux contributeurs, a annoncé en février dernier doubler sa contribution au dispositif, la portant ainsi à 1 milliard d’euros. « Par ce nouveau coup de fouet financier, nous souhaitons nous assurer que des vaccins seront bientôt livrés aux pays à revenu faible ou intermédiaire. Car nous ne serons en sécurité que si le monde entier l’est », avait déclaré Ursula von der Leyen.
Si de nombreux eurodéputés ont félicité l’engagement financier de l’UE pour venir en aide aux pays les plus pauvres, ils ont cependant souligné des retards dans la livraison des vaccins. « Covax est un échec total. On devait fournir 660 millions de doses et il n’y a même pas 100 millions de doses qui ont atterri dans les pays en voie de développement », a déclaré Michèle Rivasi, membre des Verts/ALE, lors d’une conférence de presse sur l’Union européenne de la santé le 10 septembre dernier. Mais pour l’heure, les 27 gardent le cap et maintiennent leur objectif : faire don, d’ici fin 2021, de 1,3 milliard de doses à 92 pays en voie de développement, ce qui représenterait un taux de 20 % de personnes vaccinées dans chacun de ces pays.
Biden s’engage
Face à cette inégalité vaccinale dangereuse pour le monde entier car laissant libre cours à la circulation du virus et à la prolifération de variants dangereux, les Etats-Unis vont doubler leurs dons de vaccins contre le Covid-19 et tâcher de rallier la communauté internationale autour d’un objectif très ambitieux, à savoir atteindre 70% de la population de chaque pays du monde vaccinée d’ici un an, ont indiqué mercredi 22 septembre de hauts responsables de l’administration américaine.
Washington va acheter « à prix coûtant » et distribuer via le mécanisme international Covax aux pays en développement 500 millions de doses supplémentaires du vaccin Pfizer/BioNTech. Cela double quasiment, à plus de 1,1 milliards, le nombre de doses que les Etats-Unis ont à ce jour promis de donner, ont indiqué mercredi à l’AFP ces sources, qui ont requis l’anonymat. « C’est un immense engagement des Etats-Unis. Pour chaque dose que nous avons administrée dans ce pays, nous en donnons trois à d’autres pays », ont-elles insisté.
L’annonce doit être faite officiellement mercredi par le président américain Joe Biden lors d’un sommet virtuel qu’il organise avec des responsables de plus de 100 pays sur la lutte contre la pandémie. Joe Biden veut, lors de cet événement, « un objectif ambitieux », à savoir que chaque pays, y compris parmi les plus pauvres, « atteigne 70% de vaccinations », avant la prochaine Assemblée générale des Nations Unies, c’est-à-dire dans un an. Selon le décompte de OurWorldInData par exemple, à l’heure actuelle 43,5% de la population internationale a reçu au moins une dose de vaccin. Mais ce chiffre, tiré vers le haut par la course à la vaccination des pays développés, cache des inégalités gigantesques puisque la proportion tombe à 2% seulement dans les pays les plus pauvres. L’organisation mondiale de la santé n’a de cesse d’exhorter les pays riches à distribuer davantage de vaccins aux populations vulnérables des pays les plus pauvres, plutôt que de fournir des rappels (doses « boosters ») à leurs propres ressortissants
« Ce sommet a pour ambition de décréter le début de la fin de la pandémie », selon les sources américaines, « cela va demander beaucoup de travail. » Le Covid-19 a fait plus de 4,7 millions de morts dans le monde depuis fin décembre 2019, selon un bilan établi par l’AFP. Il a désormais tué davantage d’Américains que la grippe espagnole en 1918-19, selon les données publiées lundi par l’université Johns Hopkins, qui fait référence en la matière. Plus de 678.000 personnes contaminées par le nouveau coronavirus sont décédées aux Etats-Unis, selon ce dernier bilan.
Avec Euractiv, AFP