En marge de la COP30, des milliers de citoyens, d’autochtones et d’ONG se mobilisent à Belém. Entre le Sommet des peuples, les actions indigènes et les marches citoyennes, une même revendication s’impose : être entendus et associés aux décisions. Dans une Amazonie menacée, ces voix rappellent qu’aucune solution durable ne peut être construite sans celles et ceux qui protègent déjà les territoires.
À Belém, l’autre COP se joue dans la rue. Alors que les négociateurs internationaux débattent derrière les murs officiels de la conférence sur le climat, la ville amazonienne s’est transformée en un véritable forum citoyen. Depuis mercredi, le Sommet des peuples rassemble pacifiquement ONG, représentants autochtones et membres de la société civile venus de dizaines de pays. L’objectif : pousser les décideurs à revoir leurs ambitions à la hausse.
Dimanche, les organisateurs ont remis une déclaration exigeant « une transition juste, souveraine et populaire » et la fin de l’exploitation des énergies fossiles. « Nous exigeons la fin de l’exploitation des combustibles fossiles et appelons les gouvernements à garantir leur non-prolifération », ont affirmé les représentants dans ce texte.
Le président de la COP30, André Correa do Lago, est venu lui-même recevoir la déclaration. Il insiste : « Il faut toute la société pour faire face au changement climatique ». Une position également portée par le président brésilien Lula, qui a rappelé via sa ministre de l’Environnement : « Votre engagement est fondamental pour continuer cette lutte ».

« Il n’y a pas de solution à la crise climatique sans les peuples de la forêt«
Vendredi, l’appel à l’inclusion a pris une forme spectaculaire : une soixantaine de représentants autochtones ont bloqué pacifiquement l’entrée de la COP30. Leur message est direct.
« Ici, en Amazonie, nous sommes confrontés à des menaces, des attaques, des invasions de nos territoires », a dénoncé une porte-parole Munduruku. « Nous voulons que le monde entier sache ce qui se passe, parce que nous n’avons pas été autorisés à participer à la COP. »
Plusieurs projets majeurs — mines, barrages, routes, voies ferrées — sont en cours ou à l’étude en Amazonie. Parmi eux figure une voie ferrée destinée à transporter la production de céréales du centre du Brésil vers les ports du nord. Les peuples autochtones dénoncent :
- l’absence de consultation, alors que la Convention 169 de l’OIT impose un consentement libre, préalable et éclairé ;
- la destruction d’écosystèmes sensibles ;
- les risques d’invasion de leurs territoires par des exploitants illégaux ;
- les conséquences sociales et sanitaires, souvent ignorées dans les études d’impact.
Pour les Munduruku et d’autres peuples, ces projets ne menacent pas seulement l’environnement : ils menacent leur existence même.
Pour l’avocat spécialiste des droits humains, Marco Apolo Santana Leão, présent aux côtés des manifestants, « les Munduruku sont parmi les peuples les plus touchés par l’exploitation minière et forestière. Ils protègent l’Amazonie chaque jour, mais ne sont pas entendus comme ils le devraient ».
Face à la détermination des autochtones, le président de la COP est venu dialoguer. À l’issue de la rencontre, il a salué « un dialogue très positif » et affirmé : « Nous allons chercher à avancer sur toutes leurs préoccupations, qui sont très légitimes. »
Les demandes sont claires : des garanties sur la démarcation des terres, et l’abandon de projets lourds, comme une nouvelle voie ferrée traversant l’Amazonie. « Notre territoire n’est ni un laboratoire, ni une marchandise. Il est sacré !« , peut-on également lire dans un texte rédigé par les manifestants.
Au Brésil, la démarcation consiste à reconnaître officiellement qu’un territoire appartient à un peuple autochtone, conformément à la Constitution. Cette procédure est essentielle car elle :
- garantit aux communautés un droit d’usage collectif ;
- protège les territoires contre l’exploitation minière, l’agro-industrie ou la déforestation ;
- réduit les conflits violents liés à la terre.
Selon plusieurs travaux scientifiques, les zones légalement démarquées présentent des niveaux de déforestation bien plus faibles que les zones non protégées. C’est pourquoi les peuples comme les Munduruku en font une priorité absolue : la terre est à la fois un espace vital, culturel, spirituel et écologique.
“Ce projet n’apporte que la mort sur nos terres”
Parmi les voix qui se sont élevées à Belém, celle de Felipe Neto, membre du peuple tupinambá, résonne avec force. Originaire de la région du bas-Tapajós, au nord du Brésil, il dénonce fermement le projet de voie ferrée Ferrogrão, couplé à l’aménagement de nouvelles voies navigables.
« Ce projet n’apporte que la mort sur nos terres. Il n’a jamais été pensé pour nous. Il traverse nos territoires uniquement pour générer des profits », explique-t-il. Le fleuve qui fait vivre son peuple doit être dragé pour faciliter le transport des marchandises : « Ils veulent creuser notre rivière. Ils veulent la privatiser. Mais notre fleuve, c’est notre survie. »
Pour Felipe Neto, les menaces ne sont pas seulement écologiques. Elles sont aussi sociales. Il pointe la lente érosion des communautés autochtones, dont les jeunes quittent de plus en plus les villages faute de soutien : « Le gouvernement ne met en place aucune politique publique pour notre jeunesse. On leur vend l’illusion que la ville offre une vie meilleure. Mais une fois là-bas, ils découvrent une jungle de béton où tout se paie, où ils ne retrouvent rien de ce que la forêt leur offre. Beaucoup finissent par accepter des conditions de vie minimales. »
Trente ans après la première COP, la frustration est immense. « En trente ans, aucune amélioration réelle. À la COP28, ils avaient annoncé un fonds pour les peuples de l’Amazonie. Rien n’a été appliqué. Tout reste sur le papier. »
Cette année, à Belém, la présence massive des peuples autochtones est un acte politique en soi : « Nous sommes ici pour montrer que nous existons, que nous sommes organisés. Nous avons besoin d’une voix dans les négociations. Aujourd’hui, très peu de représentants autochtones sont présents, et souvent, ce ne sont même pas ceux que nous avons choisis. » (Source : Franceinfo)
Ce témoignage complète les multiples appels venus de la forêt : une demande de reconnaissance, de protection et de participation réelle aux décisions qui détermineront l’avenir de l’Amazonie — et celui de la planète.
La rue comme espace de pression et d’espoir
Le lendemain, la mobilisation s’est élargie. Des milliers de citoyens, militants et autochtones ont marché à Belém pour faire pression sur les négociateurs. Sous un soleil écrasant, un immense drapeau brésilien portait un message limpide : « Amazonie protégée ». D’autres pancartes réclamaient « Justice climatique maintenant », « Stop aux énergies fossiles » ou « Des terres, des droits, des vies ».
Une manifestante rencontrée par Franceinfo résume l’ambiance : « Nous sommes ici pour montrer que la société ne peut pas être laissée de côté. Le climat, ce n’est pas une affaire d’élites, c’est notre avenir à tous. » Un militant d’une organisation paysanne locale ajoute : « Les négociateurs doivent entendre que l’Amazonie n’est pas un décor. C’est une maison, un lieu de vie, un poumon pour la planète. »
Pour beaucoup, marcher est devenu un acte politique essentiel. Un participant le dit simplement : « Si nous ne faisons pas pression, rien ne changera. »
Pourquoi il est essentiel d’écouter les peuples
Ces actions révèlent une vérité souvent négligée dans les COP : les peuples autochtones et les acteurs de terrain sont des experts indispensables du climat. Ils ne demandent pas d’être consultés par symbolisme, mais par nécessité. Parce que :
- Les peuples autochtones protègent 80 % de la biodiversité mondiale sur leurs territoires.
- Là où leurs droits sont reconnus, les taux de déforestation sont significativement plus faibles.
- Leur connaissance fine des sols, des forêts, des cycles naturels offre des solutions que la science seule ne peut modéliser.
Ils sont en première ligne : « Nous vivons déjà la crise climatique. Nous n’en parlons pas depuis des bureaux climatisés », rappelle une militante autochtone brésilienne. Ne pas écouter ces voix, c’est créer des politiques déconnectées du réel, inefficaces sur le terrain et souvent destructrices pour les communautés qui protègent les écosystèmes les plus précieux.
À Belém, les mobilisations de cette semaine rappellent une évidence : la transition écologique ne se fera pas sans la société civile, ni contre les peuples, mais avec eux.
Parce que la lutte climatique ne peut être dissociée des droits humains :
- Sans protection des terres autochtones, l’Amazonie continuera de perdre ses forêts.
- Sans inclusion politique, les COP reproduisent des décisions verticales, souvent inadaptées au terrain.
- Sans consultation réelle, les projets “verts” eux-mêmes peuvent devenir destructeurs.
Comme l’a rappelé une représentante indigène lors des manifestations : « Parler du climat sans nous, c’est parler d’une forêt sans arbres. »
Photo d’en-tête : Peuple autochtone Waorani d’Équateur, samedi 15 novembre 2025. Photo AFP







