Adopte ta rivière – S’émerveiller pour alerter, d’Erik Orsenna de l’Académie française – Illustrations de Delphine Balme – Éditions L’iconoclaste, 28 août 2025 – 120 pages
Dès les premières pages, Adopte ta rivière déploie la magie du conte : « Un jour, Valentine, 10 ans, se promène avec son chien au bord de l’eau lorsqu’elle entend une voix : » Au secours ! Je suis malade. J’ai besoin de ton aide. «
Valentine regarde partout. Personne ! Soudain, plus de doute : c’est la rivière qui vient de lui parler. Ainsi commence l’histoire incroyable d’une classe de CM2.
Ce moment d’étonnement déclenche chez Valentine une aventure douce, mêlée de sensibilité, qui va la conduire, avec sa classe, à prendre conscience de la fragilité de la nature, de l’eau, et à s’engager pour la protéger. Par la narration, Orsenna ne cherche pas simplement à informer : il vise à susciter de l’émerveillement, de l’émotion, pour éveiller chez le jeune lecteur le désir de prendre soin des rivières — et plus largement de l’environnement.
Le propos est clair : on alerte, mais non par la peur ou l’angoisse, plutôt par la beauté, par la relation intime entre une enfant et un milieu naturel. Ce chemin narratif porte un double enjeu. D’un côté, il éduque : la rivière malade devient un personnage, ce qui permet de donner une visibilité concrète aux problèmes environnementaux — pollution, disparition de la faune aquatique, altérations du cours d’eau. De l’autre, il encourage l’action collective : la classe de Valentine, ses camarades, leurs projets, tout cela est une invitation à ne pas rester passif, à adopter une portion de rivière, à en devenir gardien ou ambassadrice. C’est une pédagogie de l’engagement, mais douce, sans moralisme pesant.
Le style d’Orsenna, dans ce livre, est à l’image de ses précédents récits engagés : incarné, poétique, souvent contemplatif. L’écriture, alliée aux illustrations de Delphine Balme, joue sur les sensations — le murmure de l’eau, les reflets, la vie qui s’y tapit — et sur la métaphore. La rivière qui parle, qui « respire » presque, rapproche l’enfant lecteur de la nature non comme un décor, mais comme un être vivant avec lequel on peut entrer en dialogue. Cette approche sensible est efficace pour toucher le jeune public, notamment les enfants de fin de primaire, et aussi leurs éducateurs, parents ou enseignants.
Parmi les thèmes majeurs, plusieurs ressortent avec force. D’abord, l’idée de responsabilité : même pour une enfant, même pour une classe, il est possible d’agir, de changer, de réparer, même modestement. Ensuite, le lien entre l’émerveillement et l’alerte : Orsenna montre que pour éveiller une conscience écologique, il faut d’abord susciter la curiosité, le respect, le goût du beau, de la vie. Ce n’est pas en assénant des chiffres ou des catastrophes qu’on provoque un engagement durable, mais en donnant à voir ce qui peut encore être sauvé et ce qu’on risque de perdre. Par ailleurs, le livre met en lumière la fragilité des écosystèmes aquatiques, souvent méconnue, et rappelle que l’eau est un bien commun vulnérable, soumis aux effets de la pollution, des usages humains, du réchauffement climatique.
Les forces du livre résident précisément dans cette alliance entre poésie et pédagogie, entre récit proche et portée universelle. Le livre sait rendre la nature vivante, éveiller l’attention, favoriser l’échange entre générations — Valentine, ses camarades, les adultes qu’elle rencontre. Les illustrations participent largement à cette douceur, à cette immersion. On ressort de la lecture avec une empathie pour la rivière, un désir de la protéger, ce qui est sans doute l’objectif principal de l’auteur.
Mais il y a aussi des limites. Parce que le propos est porté par le conte, certaines informations scientifiques restent assez superficielles : la maladie de la rivière est évoquée, les causes sont suggérées, mais le traitement des réalités techniques ou des enjeux politiques peut manquer de profondeur pour les lecteurs déjà avertis ou plus âgés. De même, le récit adopte une vision assez bienveillante : on sent que les responsables — les humains — sont critiqués, mais de manière implicite, pas toujours avec la radicalité que certains pourraient souhaiter. Le danger est que l’action soit vue comme un geste individuel ou de classe, admirable certes, mais insuffisant face aux grands enjeux structurels de pollution, d’aménagements industriels, de politiques publiques.
En outre, bien que le livre invite à l’engagement, il n’explicite pas la suite : après l’adoption d’une rivière, quels gestes concrets, durables, comment mobiliser au-delà de l’école ? Le livre s’arrête là où commence le boulot collectif, politique. C’est peut-être nécessaire : un récit pour les enfants ne peut pas tout faire, mais cela limite ce qu’il permet de penser.
Adopte ta rivière est une œuvre réussie parce qu’elle touche là où il faut : dans le regard, dans le lien sensible que chacun peut avoir avec le vivant. Erik Orsenna parvient à faire ce qu’il annonce dans le sous-titre — s’émerveiller pour alerter —, et ce de manière juste, accessible, jamais pesante. Ce livre a sa place dans les classes, dans les foyers, pour tous ceux qui croient que le récit, la poésie, l’émotion ont un rôle essentiel dans l’éducation écologique. Il ne remplace pas les analyses scientifiques ou politiques, mais il les complète, en réveillant le cœur, en suscitant l’attention, en donnant envie, à travers le dialogue avec une rivière (et par extension la nature), de devenir acteur plutôt que spectateur.
Avec Adopte ta rivière, Erik Orsenna, académicien français, mais surtout prof dans l’âme, retrouve, vingt-cinq ans après, la magie du conte, celle de La grammaire est une chanson douce, pour notre plus grand plaisir. Il explique :
« J’ai écrit ce petit conte pour appeler au secours. Quand j’ai lancé l’alerte, il y a à peu près vingt ans avec mon livre L’avenir de l’eau, tout le monde a rigolé. Aujourd’hui, c’est une autre chanson ! Les déserts espagnols avancent. Des inondations dévastent Valence et tuent en Allemagne. Vers Perpignan, on livre de l’eau par camion. Alors oui, l’eau est NÉCESSAIRE. L’eau est rare. Il faut la partager et les conflits se multiplient. Et l’eau est polluée et peut être dangereuse. Vous avez vu le véritable état de nos eaux minérales, que nous croyions si pures ? Comme le répétait Louis Pasteur, dont j’ai l’immense honneur d’occuper le siège à l’Académie française, nous buvons 80 % de nos maladies. Voilà pourquoi j’ai écrit ce conte. Pour qu’on sache QUI est un cours d’eau. Et qu’il mérite autant d’attention et de respect que tous les autres êtres vivants. Adopter la rivière la plus proche de son école, c’est adopter la Vie ! Pour toujours. Et chemin faisant, apprendre beaucoup, beaucoup, sur l’histoire, la géographie, la botanique, la biologie, … »
Erik Orsenna est amoureux de notre planète. Depuis l’enfance, il voyage sans cesse et s’émerveille des trésors que, chaque fois, il découvre. Mais ces derniers sont fragiles et il a à cœur de nous les faire connaître et de nous les raconter, pour mieux les protéger. Il a créé une association, Initiatives pour l’Avenir des Grands Fleuves, afin de venir en aide aux rivières partout menacées. Académicien français, mais surtout professeur dans l’âme, il invite aujourd’hui ses jeunes lecteurs à un voyage initiatique salutaire pour notre avenir.
Voir sa bibliographie






