Les 27 et 28 septembre 2012 se tenait à Marseille la quatrième édition de Lift France organisé par la Fing et Lift. Une session de Lift était consacrée au tout nouveau champ de la « Do It Yourself Biology » (Diybio, la biologie à faire soi-même). Pour Thomas Landrain, président du premier biohacklab français la Paillasse, nous entrons véritablement dans l’ère de la « biologie 2.0 », révolution profonde, tant au plan scientifique que social.
La biologie moderne est née en 1953, lorsque fut découverte la structure en « double hélice » de l’ADN, la molécule qui code l’ensemble de notre patrimoine génétique dans chacune de nos cellules. Mais à cette époque, on ne pouvait soupçonner l’ampleur des changements technologiques qui allaient découler de cette trouvaille. Aujourd’hui, on peut par exemple se livrer à la génomique personnelle, qui nous permet d’accéder à une véritable description de notre « moi génétique », ce qui nous définit en tant qu’organisme.
La baisse des prix a joué un grand rôle dans l’avènement de cette nouvelle technologie, estime Thomas Landrain. Le séquençage du premier génome a demandé dix ans et trois milliards d’euros. Aujourd’hui, on peut effectuer la même opération en quelques jours, pour environ 2 ou 3000 euros – voire beaucoup moins : 23andMe propose de séquencer votre génome pour 300 $, et demain proposera des applications utilisant vos données génétiques.
En dehors de la génomique personnelle, une autre tendance se fait jour actuellement : elle consiste à adopter une approche « ingénierie » de la biologie. Elle consiste à utiliser la matière vivante pour effectuer des tâches utiles. C’est le tout nouveau champ de la biologie synthétique que Thomas Landrain surnomme « le vivant en kit ». Il s’agit de diviser les composants du vivant (autrement dit, les différentes portions de l’ADN) et de caractériser leurs fonctions. Du coup, on n’a plus besoin de comprendre le mécanisme complexe de chaque composant pour créer un système vivant. Et on peut le concevoir à l’aide d’un simple ordinateur. Le principe consiste à effectuer une réduction de la complexité inhérente au vivant.
Le concept permet par exemple au MIT d’organiser chaque année une compétition de biologie synthétique (la fameuse compétition IGEM lancée en 2004) à laquelle participent des étudiants du monde entier (y compris des lycéens). Chaque équipe dispose en tout et pour tout de trois mois pour réaliser son prototype en laboratoire, le tester et le présenter. Parmi les systèmes biologiques réalisés au cours de l’IGEM, on peut mentionner une bactérie capable de détecter la présence d’arsenic dans des eaux polluées, une autre produisant de l’hémoglobine (en vue de créer un jour du sang artificiel ?), du yaourt ou de la bière créés à partir de micro-organismes leur ajoutant des vitamines ou compléments alimentaires ; ou encore une bactérie dégradant le gluten, un composant qu’on trouve dans de nombreuses céréales comme le blé, et qui est la source de divers problèmes de santé.
On trouve aussi des réalisations plus « exotiques », comme l’insertion d’un gène dans une bactérie pour lui permettre d’émettre de la lumière, ou d’autres bactéries pouvant être utilisées comme films photo, susceptibles d’exprimer différents colorants.
La biologie pour les geeks
Malgré tout, on reste avec l’IGEM dans les milieux de la recherche universitaire. Ce qui est encore plus nouveau, c’est la possibilité de donner à chaque citoyen les moyens de participer à l’effort de recherche. Thomas Landrain a cité à ce propos le célèbre Foldit, le jeu pour plier des protéines dont nous avons souvent parlé.
Mais il est possible d’aller encore plus loin en se livrant à ses propres expérimentations grâce au mouvement Diybio, créé en 2008 par Mackenzie Cowell et Jason Bobe. Dans les « biohacklabs » (le réseau Diybio en recense 29 groupes dans 14 pays), des amateurs biologistes peuvent se réunir pour créer des projets, que ce soit simplement pour s’amuser, mais aussi pour améliorer leurs connaissances, entreprendre, etc. « Un tel mouvement fait indéniablement penser aux débuts de la microinformatique », souligne Thomas Landrain. Dans les années 70, en effet, les composants des ordinateurs sont devenus peu onéreux, et des standards se sont créés. « Le 21e siècle verra les geeks faire de la biologie », s’enthousiasme Thomas Landrain.
Ce qui est intéressant c’est que la baisse du prix du matériel (on peut aujourd’hui presque gratuitement acquérir de l’équipement obsolète) permet à ces labos « amateurs » de rejoindre, en terme d’équipement et expertise, le niveau des laboratoires académiques, estime Thomas Landrain, par ailleurs chercheur à l’Institut de biologie systémique et synthétique d’Evry. « D’ailleurs, lorsqu’on se rend dans l’un des plus importants « biohacklab », Genspace à New York, on a vraiment l’impression de se retrouver dans un labo de recherche universitaire. »
Thomas Landrain a découvert le mouvement Diybio en 2009. A l’époque il travaillait déjà en milieu universitaire, mais, a-t-il expliqué, dans un contexte académique, on est contraint par une ligne de recherche. De fait, les biohacklabs, financés par leurs membres, ont plus de liberté. On peut également y organiser des débats, poursuivre une réflexion… Du reste, ils ne sont pas constitués exclusivement de biologistes, loin de là : à la Paillasse, les biologistes sont en minorité, souligne le chercheur. La Paillasse est un « vrai » labo accolé à un hackerspace (le /tmp/lab). Les premières activités ont commencé récemment. Elles consistent par exemple à faire du « DNA barcoding » c’est-à-dire essayer d’identifier l’ADN d’une espèce. Le DNA barcoding permet aussi de se poser des questions comme : « est-ce je peux posséder le gène résistant à l’HIV ? », « Pourquoi j’aime pas les brocolis ? », etc.
Autre exemple des travaux de la Paillasse, un projet qui utilise le kombucha. Cette boisson asiatique produit en effet de la cellulose, un matériau dont jusqu’ici on se débarrassait. Mais on peut la récupérer et la faire sécher. Des designers s’intéressent à ce matériau pour réaliser des objets de culture biologiques, voire des vêtements. Suzanne Lee, une designer britannique a d’ailleurs créé une ligne de vêtements utilisant cette matière.
L’un des aspects majeurs de la Diybio est que lorsqu’on ne possède pas l’équipement adéquat, on le fabrique soi-même et on diffuse les spécifications en open source. En ce moment les membres de la Paillasse conçoivent un transilluminateur (qui aide à observer l’ADN) pour 10 euros environ.
Inspirés par les idées Diybio, des entrepreneurs imaginent des outils à bas prix, comme Amplino, qui permet de détecter la malaria dans le sang pour moins de 60 euros. Un tel outil, dans sa version classique, coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros. Mais, a précisé Landrain en réponse à une question de Nicolas Nova, il n’existe pas à ce jour de collaboration entre les biohacklabs et les grands groupes industriels… Le domaine est encore bien trop nouveau.
Vers l’impression des organes et les « GeneStores »
La révolution Diybio est soutenue par les innovations dans d’autres domaines, notamment celui de la fabrication personnelle. Il y a quelque temps déjà, des chercheurs ont envisagé la possibilité « d’imprimer » des tissus vivants et des organes. Mais aujourd’hui, il existe déjà des discussions dans les milieux Diybio sur de possibles mises en oeuvre de ces technologies par les laboratoires communautaires. Ici encore, l’amateurisme a rattrapé les efforts de recherche.
Tout cela pose bien sûr des questions d’ordre éthique. Ce sont bien souvent d’elles dont on entend parler quand on parle de biologie amateure… Pourtant, ces questions sont prises en compte avec beaucoup de sérieux par la communauté, a insisté Landrain. « Chaque année on se réunit ensemble pour discuter des potentialités et des peurs probables entourant notre activité, ceci afin de la sécuriser. On a mis au point un code éthique dont le premier point est la transparence : tout doit être open source. Mettre en ligne et documenter tous nos projets est la manière la plus sûre de montrer à tous qu’ils ne sont pas dangereux ».
Thomas Landrain s’est ensuite livré à une réflexion sur l’avenir des sciences biologiques. Récemment, on a réussi à produire la première cellule synthétique. Dans dix ans environ, estime-t-il, on arrivera à réaliser artificiellement des génomes de la taille de celui des êtres humains. On pourra dans le futur « télécharger » des programmes génétiques et les synthétiser sur place, on aura des GeneStores en lieu et place des AppStores. On pourra par exemple insérer dans les bactéries lactiques un programme génétique qui s’exécutera lors de la fabrication du yaourt, produisant des goûts naturels, des couleurs, un effet fluo, des vitamines…
« La biologie est trop importante pour se retrouver seulement aux mains des seuls professionnels », a conclu Thomas Landrain. Une affirmation qui va à l’encontre des idées reçues et qui nous invite finalement, nous tous, en tant que citoyens, à mettre les mains dans notre avenir.
Article réalisé par Rémi Sussan / InternetActu Blog– 19 oct 2012. InternetActu est un blog animé par la rédaction d’InternetActu.net, le média de la Fondation internet nouvelle génération, et Place de la Toile, l’émission de France Culture diffusée tous les samedi à 18h. Hubert Guillaud, Xavier de la Porte et Rémi Sussan explorent l’impact des technologies sur la société.
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