Ce 23 septembre à New York, Donald Trump a fait de la tribune onusienne son ring préféré : celui de la provocation. Face aux chefs d’État du monde entier, il a affirmé que le changement climatique n’était rien d’autre qu’une « arnaque », que la transition énergétique relevait d’une « escroquerie verte » et que l’avenir devait passer par l’exploitation massive des énergies fossiles. L’ONU transformée en mégaphone climatosceptique : le symbole est lourd, mais les conséquences le sont encore davantage.
Donald Trump a fait du Trump : provocateur, clivant, adepte du slogan. Mais cette fois, la cible était le climat. Si ce n’était pas si grave, nous pourrions en sourire. Question d’habitude avec cet homme. Depuis la tribune de l’Assemblée générale, il a affirmé que le changement climatique n’était rien d’autre que la « plus grande escroquerie jamais menée contre le monde », et que la transition énergétique était une « escroquerie verte » qui détruirait les économies et mettrait en péril la survie des nations. Derrière ces formules, il y a moins une analyse qu’une offensive politique — et une désinformation assumée.
Ce que Trump dit, ce qu’il omet, ce qu’il instrumente
Sur le fond, Trump récuse la légitimité scientifique du changement climatique : le qualifier d’« arnaque » ou de « plus grande escroquerie » revient à rejeter les travaux de milliers de scientifiques, les rapports du GIEC, les données sur l’élévation des températures, la fonte des glaces, l’intensification des événements climatiques extrêmes. Il transforme une question objectivement multiforme – climat, biodiversité, émissions carbone, dégâts humains et matériels – en un problème idéologique : selon lui, l’écologie serait une machine à imposer des contraintes inutiles, coûteuses, et dangereuses pour la prospérité.
Ce qu’il omet est tout aussi significatif : il ne présente aucun élément concret qui invaliderait les preuves scientifiques ou qui montrerait que les politiques climatiques mises en place jusqu’à aujourd’hui ont causé plus de mal que de bien. Il ignore les coûts des catastrophes climatiques, les pertes de vies, de récoltes, les migrations climatiques, les conséquences sur la santé publique. Il néglige aussi l’urgence : chaque année de retard dans la réduction des émissions rend les objectifs de limitation du réchauffement plus coûteux, moins probables. Enfin, il occulte les effets positifs (quand ils existent) des énergies renouvelables : innovations, création d’emplois, diminution progressive de dépendance aux énergies fossiles.
Mais Trump n’agit pas seulement en commentateur : il instrumente. En diabolisant l’« écolo », en opposant l’écologie aux emplois, à la souveraineté, à la croissance, il creuse les peurs. Il construit un adversaire : ceux qui militent pour la transition énergétique seraient des idéologues globalistes, des prédateurs économiques, voire des ennemis de la liberté. En stigmatisant les « organisations mondialistes », il inscrit son discours dans la lignée populiste : le climat n’est plus un défi collectif, mais un motif de discorde, un terrain pour raviver le conflit Nord-Sud, industrie vs environnement, pays riches vs pays moins avancés.
La réalité que Trump balaie d’un revers de main
Qualifier le réchauffement de « scam » revient à effacer d’un trait des décennies de données scientifiques. 2024 a été l’année la plus chaude jamais mesurée : +1,55 °C par rapport à l’ère préindustrielle, avec des records décennaux désormais ininterrompus. La fonte accélérée des glaciers, la montée du niveau des mers et les dérèglements hydriques massifs sont des faits établis, consignés par l’Organisation météorologique mondiale et confirmés par des jeux de données indépendants. Ce ne sont ni des « opinions », ni des « dogmes » écologistes : ce sont des mesures physiques, irréfutables.
Le GIEC, dans son rapport de synthèse, est sans ambiguïté : l’origine humaine du réchauffement est établie. Les émissions de gaz à effet de serre, principalement issues des énergies fossiles, en sont la cause majeure. Chaque dixième de degré supplémentaire intensifie les risques : sécheresses, vagues de chaleur, pertes agricoles, crises de santé publique. Trump, en niant cette causalité, ne contredit pas des militants, il contredit la science.
Le faux procès fait aux énergies renouvelables
Trump a martelé que les politiques climatiques, notamment l’éolien et le solaire, « ruinent » les nations. Or, là encore, les faits économiques racontent l’inverse. Selon IRENA et les analyses de Lazard, les coûts moyens de l’électricité solaire et éolienne en 2024-2025 sont inférieurs à ceux du charbon ou du gaz pour de nouvelles installations. Le solaire tourne autour de 0,043 $/kWh, l’éolien terrestre à 0,034 $/kWh, quand une centrale fossile neuve revient plus cher (0,073 $ pour le charbon, 0,085 $ pour le gaz). En clair : là où l’on construit du neuf, le kilowattheure renouvelable est généralement moins coûteux et plus rapide à déployer.
Certes, il existe des freins : goulets de raccordement, tensions sur les chaînes d’approvisionnement, lenteur des permis. Mais la tendance structurelle reste favorable au renouvelable, qui attire investissements et emplois, et qui, surtout, réduit la dépendance aux combustibles fossiles exposés aux chocs géopolitiques. Parler « d’arnaque » revient à inverser le réel.
Les coûts de l’inaction, la facture ignorée
En réduisant la question climatique à un problème de dépenses, Trump occulte le coût colossal de l’inaction. 2024 a illustré la brutalité de ce bilan : sécheresses historiques, mégainondations, pertes agricoles massives, milliers de morts et milliards de dollars de dégâts. L’Organisation météorologique mondiale (WMO) a recensé que seuls un tiers des grands bassins hydriques ont connu une situation « normale » ; tous les autres oscillaient entre excès et déficit. Les catastrophes climatiques ne sont pas une « escroquerie » : elles vident déjà les caisses publiques, détruisent des infrastructures et déstabilisent des régions entières.
La stratégie de la peur et du clivage
Trump n’est pas seulement dans l’erreur factuelle : il est dans la mise en scène. Sa rhétorique oppose l’écologie à la prospérité, les « mondialistes » aux nations souveraines, les militants aux travailleurs. Il transforme la transition énergétique en ennemi intérieur, en idéologie menaçante, au lieu de la traiter comme ce qu’elle est : une question de survie collective et de justice intergénérationnelle.
Les conséquences concrètes d’un tel discours
Ce type de discours a des effets. D’abord, à l’échelle nationale : il légitime des reculs dans les réglementations environnementales, des réductions des investissements dans les énergies propres, un abandon des engagements internationaux comme ceux de Paris. Ensuite, à l’échelle internationale : il renforce les positionnements qui diluent les engagements climatiques, affaiblit les coalitions, rend plus difficile pour les autres pays de s’engager fermement quand le poids d’un géant comme les États-Unis est contre eux. Cela peut aussi encourager les puissants lobbys fossiles à pousser pour des mesures dépolitisées ou purement symboliques qui n’enrayeront pas le dérèglement.
Sur le plan moral et politique, ce discours désinforme une partie de l’opinion publique. Il entretient le doute non sur des incertitudes légitimes, mais sur les évidences. Il place la responsabilité des choix climatiques sur les politiques publiques – légitimement –, mais minimise celle des grandes entreprises ou des émissions historiques. Et il confond souvent « coût » à court terme et « investissements nécessaires », ou bien « sacrifices imposés » et « transformation bénéfique ».
Au-delà du clash : ce que le monde doit faire entendre
Le contraste entre le discours alarmiste de Trump et le consensus scientifique est criant. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas de débats — sur le calendrier, les priorités, la justice climatique, la transition énergétique — mais il y a un socle : la science alerte, l’urgence ne fait que s’accentuer. Les pays, les citoyens, les institutions doivent exiger transparence, rigueur, analyse coûts-bénéfices réels, et refuser que l’écologie devienne un slogan vidé de sens.
Face à l’attaque idéologique, il semble vital de renforcer l’éducation, l’information indépendante, de soutenir les acteurs – ONG, chercheurs – qui documentent les effets concrets du dérèglement climatique. Il paraît aussi nécessaire que les gouvernements qui croient à la transition montrent l’exemple : en réduisant les émissions, en subventionnant les innovations, en protégeant les populations vulnérables. Enfin, le monde doit rappeler que la responsabilité environnementale est un héritage intergénérationnel : tous les calculs de coût doivent intégrer le long terme, les externalités, les vies perdues ou menacées.
Ce discours de Donald Trump ne doit pas être vu comme un simple échange de rhétorique. Il incarne une vision du monde — celle où l’écologie est un luxe, un frein — et met en garde contre le fait que derrière ce discours il y a des intérêts, des puissances, et des choix. Ce qui est en jeu, c’est non seulement la vérité des faits climatiques, mais la capacité d’agir avant qu’il soit trop tard.
Trump a voulu faire de l’écologie une caricature
Trump a voulu faire de l’écologie une caricature, mais les faits sont têtus : le climat change, les catastrophes s’aggravent, et chaque année perdue est une dette creusée pour les générations à venir.
Si ce discours a une portée immédiate aux États-Unis, il ne faut pas sous-estimer ses répercussions internationales, notamment en Europe. Car en qualifiant la transition énergétique « d’arnaque », Trump alimente et légitime les mouvements climatosceptiques européens déjà en embuscade. De l’AfD en Allemagne au Rassemblement national en France, en passant par les droites radicales d’Europe centrale, nombreux sont les partis qui se nourrissent de ce narratif : l’écologie comme nouvelle forme de domination, la transition comme cheval de Troie de Bruxelles, les taxes carbone comme arme contre les classes populaires. En d’autres termes, Trump ne parle pas seulement aux Américains : il tend un micro planétaire aux forces politiques qui, sur le Vieux Continent, rêvent de détricoter le Pacte vert européen et de réduire l’écologie à un slogan élitiste.
Or céder à ce discours, c’est condamner l’Europe à la dépendance énergétique, au retard industriel et à l’impuissance diplomatique. Car la transition n’est pas qu’une affaire de climat : c’est une question de souveraineté. Celui qui mise sur le gaz et le pétrole s’attache aux soubresauts des autocraties et aux marchés fossiles ; celui qui investit dans le solaire, l’éolien, l’hydrogène et le stockage bâtit une indépendance énergétique, une base industrielle compétitive, et une influence géopolitique durable.
Le monde n’a donc pas besoin des vaticinations et des slogans incendiaires d’un président américain en quête de clivage. Il a besoin d’une Europe lucide, ferme, capable de défendre son modèle de transition contre les sirènes du populisme fossile. Répondre à Trump, ce n’est pas seulement défendre le climat : c’est défendre un projet politique d’autonomie, de justice sociale et de progrès. La bataille du climat est aussi une bataille culturelle et démocratique. Et il serait fatal de la perdre au profit de ceux qui, au nom d’une « arnaque », veulent transformer l’avenir en impasse.
Alors, que reste-t-il, au fond, de ce numéro de scène ? Une démonstration d’égo, un mépris de la science et une provocation adressée au monde entier. Oser qualifier de « scam » l’un des plus grands défis de notre époque, devant les chefs d’État rassemblés, relève d’un mélange d’aveuglement et de cynisme. Mais qui peut réellement y croire ? Comment ne pas voir que ce discours, loin d’impressionner, confine au ridicule ? Car enfin, imaginer qu’en répétant « arnaque » comme un slogan de télé-achat, Trump efface d’un coup de menton la réalité des glaciers qui fondent, des récoltes qui brûlent, des mers qui montent et les migrations qui en découlent. À force de vouloir transformer la science en spectacle et l’ONU en cabaret personnel, il ne réussit qu’une chose : se mettre en scène comme un bateleur de foire devant les chefs d’État du monde entier. Le problème, c’est que derrière le grotesque, il y a des vies, un climat qui se dérègle et un avenir qui se joue. En définitive, ce discours s’est voulu une démonstration de puissance et de souveraineté américaine. Mais derrière les grandes déclarations de principe, nul n’est vraiment dupe : le message essentiel tenait moins à la diplomatie qu’au commerce. En filigrane, il s’agissait surtout de rappeler au monde que l’Amérique a du pétrole… et qu’elle serait ravie de nous le vendre…
Mais l’Histoire retiendra moins ces slogans martelés que la gravité d’un discours qui, face à l’urgence climatique, a préféré trahir les faits et sacrifier les générations futures plutôt que d’assumer la responsabilité de son temps.
Charles-Elie Guzman, Editorialiste UP’ Magazine
Image d’en-tête : Reuters







