À l’occasion de la COP30 et dix ans après l’Accord de Paris, l’ADEME publie ce 13 novembre 2025 la 26ᵉ édition de son baromètre « Les représentations sociales du changement climatique ». Si les Français restent massivement conscients des enjeux climatiques et soutiennent des actions fortes, leur confiance dans la capacité collective d’y répondre s’érode. Entre inquiétudes croissantes, attentes renforcées envers l’action publique et premiers signes d’essoufflement dans les changements de pratiques, ce nouveau baromètre dresse un panorama contrasté de l’opinion française.
Dix ans après l’Accord de Paris, un soutien toujours affirmé… mais un pessimisme grandissant
À l’heure où la communauté internationale se réunit au Brésil pour la COP30, l’ADEME profite du 10ᵉ anniversaire de l’Accord de Paris pour publier un bilan approfondi de l’évolution des perceptions climatiques en France. L’enquête 2025 montre une opinion publique toujours largement convaincue de l’urgence climatique et prête à agir, mais de plus en plus sceptique quant à la capacité collective de faire face aux dérèglements en cours.
« Depuis l’Accord de Paris, nos concitoyens ont fait évoluer leurs habitudes, qu’il s’agisse de consommation, de mobilité ou d’usage de l’énergie. Les Français déclarent avoir fait leur part pour le climat », souligne Sylvain Waserman, Président-Directeur général de l’ADEME. « Mais ils expriment aussi une attente forte : celle d’une accélération de l’action publique pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. »
Un niveau d’inquiétude élevé, nourri par l’expérience directe des impacts
Les Français placent la protection de l’environnement parmi leurs préoccupations majeures, même si d’autres enjeux conjoncturels — inflation, dette, sécurité — s’imposent en priorité. Le changement climatique demeure cependant le problème environnemental le plus inquiétant (49 %), loin devant la biodiversité ou la pollution.
Le rapport révèle surtout une évolution marquante : plus d’un Français sur deux (52 %) déclare avoir déjà subi les effets du réchauffement climatique dans son lieu de vie, contre seulement 24 % en 2015. Cette expérience directe contribue à une forte anxiété : 72 % se disent inquiets, dont 27 % très inquiets.
En dix ans, le pessimisme s’est nettement installé :
- 66 % pensent que le réchauffement ne sera pas limité à des niveaux raisonnables d’ici à la fin du siècle (+10 points depuis 2016) ;
- 65 % anticipent des conditions de vie extrêmement pénibles à cause du dérèglement ;
- seuls 30 % croient encore à une capacité d’adaptation « sans trop de mal » (contre 40 % en 2016).
Une demande forte d’action publique
Face à ces constats, les Français expriment des attentes accrues envers l’État et l’ensemble des institutions publiques. Plus de six sur dix jugent que les mesures prises depuis 2015 ne sont pas à la hauteur des ambitions climatiques. Une large majorité (76 %) souhaite un renforcement de la réglementation environnementale.
Les pouvoirs publics sont perçus comme des acteurs clés dans la lutte contre le changement climatique : 49 % estiment que les États sont les plus efficaces — mais seulement 26 % jugent qu’ils figurent parmi ceux qui agissent réellement. L’écart entre attentes et perception des actions menées se creuse donc.
Des pratiques en progression, mais un essoufflement perceptible
Sur la décennie écoulée, les comportements individuels ont sensiblement évolué :
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- baisse de la température du logement en hiver : +19 points (67 %) ;
- réduction de la consommation globale : +19 points (56 %) ;
- baisse de la consommation de viande : +14 points (53 %) ;
- achats de légumes de saison : +13 points (71 %).
Cependant, une résistance croissante aux changements trop radicaux apparaît. La proportion de personnes acceptant les modifications « seulement si elles restent modérées » augmente de 12 % à 19 % depuis 2016.
- 82% considèrent comme souhaitable le développement des énergies renouvelables ;
- 77% sont favorables à l’interdiction de la publicité pour les produits à fort impact environnemental ;
- 70% se prononcent en faveur d’une obligation des propriétaires à rénover et à isoler les logements lors d’une vente ou d’une location ;
- 67% se déclarent favorables à obliger la restauration collective publique à proposer plus de menus végétariens, biologiques et/ou de saison ;
- 62% sont pour taxer davantage le transport aérien au profit du train.
Les jeunes, un paradoxe entre sensibilisation et démobilisation
Le baromètre interpelle également sur l’engagement des 18-24 ans. Moins enclins que leurs aînés à adopter certaines pratiques écologiques du quotidien — tri des déchets, baisse de chauffage, achats de saison, réduction de la viande — ils se montrent également moins disposés à accepter des transformations profondes de leur mode de vie. Seuls 19 % affirment « faire leur maximum », contre 31 % de l’ensemble de la population. 27 % ne sont pas prêts à accepter des changements radicaux, soit huit points de plus que la moyenne nationale.
Cette moindre mobilisation des 18-24 ans s’explique par une combinaison de facteurs sociétaux, économiques et psychologiques. D’abord, les jeunes évoluent dans un contexte d’incertitude marqué par la précarité étudiante, la difficulté d’accès au logement ou encore les tensions sur l’emploi. Ces préoccupations quotidiennes, souvent perçues comme plus urgentes, peuvent reléguer les enjeux environnementaux au second plan. S’ajoute à cela une forme de fatigue psychologique : élevés avec des discours d’alerte permanente, confrontés à des images alarmantes et à une accumulation de crises, certains jeunes développent un sentiment d’impuissance ou de lassitude face à l’ampleur des défis climatiques.
Pour renforcer leur engagement, il apparaît essentiel d’adopter une approche plus inclusive et moins culpabilisante. Plutôt que de leur demander de « faire plus » individuellement, il s’agit de valoriser leur rôle dans des actions collectives, locales et visibles : projets étudiants, initiatives territoriales, mobilités durables, associations, défis participatifs… Les jeunes sont particulièrement sensibles aux démarches concrètes, aux innovations et aux espaces où ils peuvent peser sur les décisions. Offrir des opportunités d’expression, de co-construction et de participation aux politiques locales de transition peut contribuer à redonner du sens et de la motivation.
Enfin, les politiques climatiques actuelles ne semblent pas toujours répondre pleinement à leurs attentes. Si cette génération se montre très consciente des enjeux environnementaux, elle souhaite des solutions qui prennent aussi en compte ses contraintes présentes : accessibilité financière des transports durables, accompagnement à la rénovation des logements étudiants, offre alimentaire responsable et abordable, ou encore perspectives professionnelles dans les secteurs de la transition. Pour convaincre durablement les jeunes, les politiques climatiques doivent ainsi articuler ambition environnementale, justice sociale et amélioration concrète des conditions de vie.
Pourquoi le scepticisme s’installe malgré une mobilisation croissante ?
Cet ensemble de données offre une vision nuancée : un soutien massif à l’action climatique, des comportements en nette amélioration, mais aussi une inquiétude grandissante, un scepticisme renforcé envers la capacité collective d’action et une mobilisation qui semble atteindre ses limites. À l’aube de la COP30, les Français envoient un message clair : ils veulent poursuivre l’effort, mais attendent désormais un engagement public à la hauteur des transformations à mener.
Plusieurs facteurs expliquent pourquoi le scepticisme progresse alors même que la conscience du changement climatique est désormais largement partagée :
- Une confrontation directe aux impacts climatiques : De plus en plus de Français déclarent vivre personnellement les effets du réchauffement (sécheresses, canicules, inondations, incendies). Cette expérience concrète transforme l’inquiétude abstraite en sentiment d’urgence… mais aussi d’impuissance, surtout lorsque ces événements se répètent ou s’intensifient.
- Une perception d’inadéquation entre enjeux et actions : Les citoyens ont le sentiment que les actions mises en place ne sont pas à la hauteur des objectifs affichés. Quand plus de six Français sur dix jugent l’action publique insuffisante, un fossé se creuse entre les ambitions climatiques et les politiques concrètes, générant frustration et scepticisme.
- Fatigue et limites des efforts individuels : Après une décennie d’ajustements personnels (consommation, alimentation, chauffage…), nombreux sont ceux qui estiment avoir fait leur part.
Cette impression de saturation, combinée à l’idée que les transformations individuelles ne suffisent pas, renforce l’idée que la solution se joue surtout au niveau collectif — là où les progrès semblent trop lents. - Une accumulation d’annonces alarmantes : Les rapports scientifiques, les alertes d’experts et les messages médiatiques insistent — à raison — sur la gravité de la situation. Mais la succession de signaux d’alerte peut entraîner : un sentiment de catastrophisme ambiant, une difficulté à percevoir les améliorations ou leviers d’action, une forme de lassitude ou d’anxiété climatique.
- Un horizon jugé lointain et incertain : La transition écologique demande des transformations profondes, longues et souvent complexes. Pour beaucoup, les résultats concrets restent invisibles à court terme, ce qui entretient l’idée que les efforts actuels ne produisent pas d’effets immédiats.
- Une gouvernance perçue comme fragmentée : Entre État, collectivités, entreprises et instances internationales, les responsabilités se superposent sans toujours sembler cohérentes.
Cette impression d’un manque de coordination et de vision globale nourrit le doute sur la capacité collective à agir efficacement.
En résumé : le sceptissisme augmente parce que les Français vivent physiquement les impacts, doutent des capacités d’action des institutions, ressentent les limites des efforts individuels et sont exposés à un discours d’alerte constant sans toujours percevoir les avancées.
Photo d’en-tête : Piste de ski en Savoie, 2024 © Maxppp
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