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Vente à perte sur les carburants : les 8 erreurs de l’exécutif

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Le concours des fausses-bonnes idées pour juguler l’inflation n’a manifestement pas de limite : après les inefficaces paniers anti-inflation de Bruno Le Maire, la nouvelle trouvaille d’Elisabeth Borne consiste à autoriser la vente à perte des carburants. Voilà une mesure en trompe-l’œil injuste socialement, écologiquement discutable et favorable aux gros distributeurs pétroliers. Explications.

Face à la nouvelle hausse des prix des carburants, cédant à la panique avec une mesure aussi improvisée qu’inefficace, Elisabeth Borne a indiqué dans une interview au Parisien- Aujourd’hui en France que le gouvernement allait proposer au Parlement d’autoriser la vente à perte sur les carburants, pendant six mois. Objectif : que les distributeurs baissent leurs prix, et ainsi réduire l’inflation en obtenant des « résultats tangibles pour les Français, sans subventionner le carburant » et en « mettant à contribution les gros industriels ». La mesure sera visiblement présentée en conseil des ministres le mercredi 27 septembre, dans le projet de loi sur les négociations commerciales entre les industriels et les distributeurs.

Rappel initial : Qu’est-ce que la « vente à perte » ? Il s’agit de la revente d’un produit non transformé à un tarif inférieur au coût d’acquisition. Réglementée par les articles L.420-5 et L.442-5 du code de commerce, cette pratique est interdite depuis 1963 car elle est jugée illicite et déloyale envers les entreprises concurrentes, et nocive pour le bien-être des consommateurs à termes en cas d’exclusion du marché des concurrents incapables de riposter. Des exceptions existent et sont encadrées : péremption ou obsolescence d’un produit, soldes, cessation d’activités, etc.

Erreur n°1 : déroger à une règle visant à protéger les consommateurs sur le long terme

Voilà toute l’ironie de l’histoire. L’interdiction de la revente à perte a été instaurée en 1963, il y a exactement 60 ans, pour satisfaire une concurrence loyale entre les entreprises, éviter la concentration et satisfaire les intérêts du consommateur en garantissant les prix les plus bas possibles. Lever cette interdiction revient immanquablement à générer des « distorsions de concurrence » entre les entreprises. Quant aux consommateurs, rien ne garantit qu’ils seront gagnants, même en se focalisant sur le seul court-terme (voir plus bas).

Erreur n°2 : Une mesure favorable aux gros pétroliers et à la grande distribution

Réclamée depuis des semaines par les PDG des enseignes de distribution (Leclerc, Système U, etc.) qui ont fait des carburants des produits d’appel pour attirer les consommateurs, cette mesure va créer deux classes de distributeurs de carburants : ceux qui ont les reins assez solides pour pouvoir vendre à perte et ceux qui ne le peuvent pas au risque de générer des pertes significatives. Seuls les groupes qui pourront compenser par leurs marges sur l’amont – les groupes intégrés verticalement comme TotalEnergies – ou par leurs marges sur d’autres produits – les hyper et supermarchés – pourront jouer le jeu. Au risque, à termes, de voir une partie des distributeurs, notamment indépendants, déposer le bilan, et ainsi opérer une concentration du secteur au profit des plus grosses entreprises.

Erreur n°3 : Les consommateurs pourraient ne pas en profiter, victimes d’un trompe-l’œil

Le député Renaissance Pierre-Alexandre Anglade annonce que la mesure permettra d’économiser « jusqu’à 47 centimes » par litre de carburant. Il faudrait pour cela un rabais de 25 % par litre. On a le droit d’y croire. Ou d’être dubitatif : un tel rabais représente plusieurs milliards d’euros de pertes nettes pour les distributeurs. Le président du syndicat professionnel Mobilians (5800 stations-service traditionnelles, hors grandes surfaces, dont 3400 Totalénergies), indique déjà que la majorité des pompistes, dont la vente de carburants comptent pour 50 % ou plus de leurs chiffres d’affaires, ne pourront pas vendre à perte.

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Le plus probable est que certaines grosses enseignes de distribution consentent quelques centimes de rabais lors d’événements spéciaux, pour attirer plus de consommateurs dans leurs rayons de magasin, avec le risque que ce rabais soit plus que compensé par la majoration des marges sur les produits en rayon. Un magnifique trompe-l’œil en perspective.

Erreur n°4 : les marges de l’industrie pétrolière ne sont pas dans la distribution des carburants

La hausse des prix des carburants provient de celle des cours du pétrole brut sur les marchés internationaux, notamment suite aux décisions de l’Arabie Saoudite et de la Russie de restreindre leur production afin de faire remonter les prix. Ainsi que, de façon secondaire, de la relative faiblesse de l’euro face au dollar. Dans le secteur pétrolier, l’activité « distribution des carburants » (vendre les carburants au détail aux consommateurs dans les stations service) génère des marges assez faibles. Bien plus faibles que pour les activités d’extraction, d’acheminement et (en fonction des périodes) de raffinage. Si le gouvernement voulait réellement « mettre à contribution les gros industriels », il interviendrait pour capter une part de cette rente pétrolière qui conduit les pétroliers à empocher des profits faramineux en raison de l’inflation sans avoir levé le petit doigt.

Erreur n°5 : l’inflation n’est plus dans le coût de l’énergie mais dans les profits

Si les coûts de l’énergie frappent toujours les esprits, de nombreuses études montrent que l’essentiel de l’inflation est désormais tirée par les marges des entreprises, c’est-à-dire leurs profits. Les économistes parlent de « Profitflation ». Elle est « à l’origine de près de la moitié de la hausse de l’inflation des deux dernières années en Europe » selon une publication du FMI. Mieux, selon l’Insee, en moyenne, les entreprises répercutent 127% de la hausse des prix de l’énergie sur leurs prix, mais uniquement 58% de leur baisse, empochant la différence pour accroître leurs marges et leurs profits. C’est à cette boucle prix-profit que l’exécutif doit s’attaquer pour juguler l’inflation, comme le préconise l’étude du FMI citée.

Erreur n°6 : Une mesure inégalitaire

L’Insee a étudié qui avait profité de la ristourne sur le prix des carburants, jusqu’à 30 centimes par litres, organisée par l’exécutif en 2022. D’un coût total de 8 milliards d’euros, ce dispositif avait d’avantage favorisé les ménages les plus riches (64 à 115 euros de ristourne) au détriment des plus modestes (29 à 48 euros). Sous couvert d’une mesure sociale contre l’inflation, réduire les prix des carburants de façon indifférenciée est une mesure anti-redistributrice, injuste donc, en plus d’être coûteuse. Mieux vaut prolonger des aides sociales et ciblées pour aider les plus modestes à satisfaire leurs dépenses incompressibles en matière de transports.

Erreur n°7 : Une mesure anti-écologique et allant contre la planification écologique

L’exécutif parle de planification écologique, qui est un exercice visant à donner de la prévisibilité et un horizon clairement défini à l’ensemble de l’économie et fait tout l’inverse en inventant des mesures attendues comme peu efficaces qui génèrent de l’incertitude et de l’instabilité sur l’évolution à venir des prix de l’énergie. Que l’on soit convaincu que le signal-prix joue un rôle majeur dans la transition énergétique ou que l’on ne le soit pas vraiment – ce qui est plutôt mon cas – laisser penser qu’il faille à n’importe quel prix baisser les prix d’accès aux carburants n’est pas une mesure écologique, tant elle encourage les consommations superflues et insoutenables d’énergies fossiles des plus riches.

Erreur n°8 : L’inflation mérite mieux que de l’affichage politique

Deux ans après le retour de l’inflation en France et en Europe, l’exécutif fait à nouveau la démonstration qu’il ne prend pas au sérieux les conséquences sociales de l’inflation en ne répondant pas aux enjeux, se contentant d’appels incantatoires (« Bruno Le Maire demande… »), de discours infondés (« l’inflation est temporaire » ; « le pic est passé »), et d’une politique d’affichage dans laquelle on doit pouvoir ranger cette annonce sur l’autorisation de la vente à perte. Où est le cap ? Où sont les mesures structurelles ? Où est la réponse globale ?
Voici une série de propositions, parmi de nombreuses autres possibles : 

Proposition n°1 : pour stopper la spirale prix-inflation, introduire des formes de contrôle des prix (dont blocage) et des marges ;
Proposition n°2 : pour réduire les impacts sociaux négatifs, favoriser une hausse généralisée des salaires (et non des primes) et des prestations sociales ;
Proposition n°3 : pour réduire les effets de l’augmentation des prix des carburants, prolonger des aides sociales et ciblées pour aider les plus modestes à satisfaire leurs dépenses incompressibles en matière de transports ;
Proposition n°4 : pour désinciter les entreprises à privilégier les profits sur l’investissement et les salaires, taxer les superprofits ;
Proposition n°5 : pour réduire notre exposition collective aux hausses des produits pétroliers, le plus efficace consiste à se désintoxiquer du pétrole.

Maxime Combes, Economiste, travaillant sur les politiques climatiques, commerciales et d’investissement. Auteur de Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, 2015) et co-auteur de « Un pognon de dingue mais pour qui ? L’argent magique de la pandémie » (Seuil, 2022).

Source : 1ère publication sur le blog de Mediapart, 18/09/23

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