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Le Fil de la vie

L’information est la force immatérielle du vivant. À propos du livre « Le Fil de la vie »

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Il est rare de rencontrer des scientifiques de sciences « dures » parler d’immatériel. Ils s’en étonnent eux-mêmes : ce n’est pas de religion ou d’esprit dont il s’agit, répètent-ils. Ce dont veulent nous parler Pierre-Henri Gouyon, Jean-Louis Dessalles et Cédric Gaucherel, c’est de l’information. Non pas celle des nouvelles des journaux ou des flux de la TV. Non, celle qui est cachée au cœur des organismes vivants et de leurs projections, leurs constructions culturelles. Ces informations forment le Fil de la vie, titre de leur nouveau livre qu’il faut saluer comme une incursion rare et courageuse dans un monde encore mystérieux.
 
Trois scientifiques de talents, venus d’horizons différents se sont rencontrés pour tâcher de démêler l’écheveau complexe du vivant. Ils y ont découvert la force de l’information. Pierre-Henri Gouyon est professeur au Museum d’Histoire naturelle. C’est un biologiste, généticien, spécialiste de l’évolution, reconnu et prolixe. Il est l’auteur d’une quantité impressionnante de livres et d’articles sur le vivant. Il est aussi un combattant qui œuvre pour défendre la biodiversité et nous alerter sur les dangers des manipulations génétiques incontrôlées.  Jean-Louis Dessalles est Maître de conférence à l’université de Paris Saclay. C’est à la fois un spécialiste du langage et de l’intelligence artificielle. Son ouvrage Aux origines du langage fait figure de référence. Cédric Gaucherel est universitaire lui aussi, spécialiste des écosystèmes et de leurs interactions avec la vie animale et humaine. Il est notamment chargé de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA).
 
Le pitch du livre recueilli lors de la rencontre-débat avec les auteurs, organisée par UP’Magazine le 3 mai 2016,
à L’Hôtel de l’industrie (partenariat UP’ / SEIN) Place Saint Germain des Prés à Paris
 
« Et si certaines entités vivantes n’étaient pas matérielles ? » C’est par ces mots que les auteurs décrivent, dans leur quatrième de couverture, l’intention première de leur livre.  Existerait-il des entités vivantes immatérielles, en lutte pour leur survie, capables d’évoluer ? Pour les auteurs, ces entités immatérielles sont des informations. « Elles existent à travers nous, dans nos gènes, dans notre culture, dans nos écosystèmes ».
 

Des informations d’une autre nature

 
Pour des biologistes, l’information est ce qui se réplique et constitue la trame de tous les organismes vivants. Le gène porte l’information et la transmet d’individu à individu. Sous un certain angle, le gène utilise les organismes vivants comme des véhicules pour se reproduire. Est-ce à dire que tout être est seulement déterminé par ses gènes ? Non répondent les auteurs qui observent que des informations d’une autre nature que biologique forment les organismes et se transmettent non seulement d’individu à individu mais de génération à génération.
Ces informations font le fil de la vie, « qui bien que non matériel, possède sa propre existence, qui dépasse celle des individus ». En s’attachant à décrypter ce fil de la vie, les auteurs savent qu’ils entrent sur un terrain instable, qui pourrait les amener à découvrir une « nouvelle logique de la nature ». Certes la notion d’information est de nature scientifique et leurs argumentations n’ont rien d’irrationnelles. Les auteurs sont des scientifiques qui ont besoin de matérialité. Mais en avançant sur le terrain de l’information, ils ont conscience du risque de quitter le monde du matériel. Ils s’apprêtent à franchir un pas, le même que celui que Newton franchit en parlant des forces gravitationnelles. « Sommes-nous prêts à dire que la vie dépend d’un substrat immatériel, l’information ? » se demandent-ils.
 
Cette hésitation, ce trouble, on le retrouve presque à chaque page. En observant la réinsertion des loups dans le parc de Yellowstone aux États-Unis, ils décrivent comment chaque composante de l’écosystème est affecté. La démonstration est captivante. Tout se tient et est interdépendant, comme si l’écosystème possédait des composantes structurelles, subsistant bien au-delà des unités qui le constituent. Une sorte de mémoire de l’écosystème, tissu d’informations immatérielles.
Pour les auteurs, il apparaît évident que les êtres humains sont bien davantage que ce qui est inscrit dans leur ADN. Certes l’ADN compte pour beaucoup s’empressent-ils de dire, en bons biologistes ; mais il y a autre chose… L’information.
 
Il faudra attendre le troisième chapitre pour définir ce concept apparemment étrange. Les auteurs sont des scientifiques. Ils vont donc reprendre la définition la plus solide pour eux, celle de Shannon. On regrettera cette limite qu’ils se donnent en restreignant l‘information à une donnée (data) qui transite à travers des tuyaux, qui est codée et nécessite un décodeur. Depuis Shannon, d’autres pistes ont été empruntées, notamment par les neuroscientifiques grâce aux progrès faits dans la connaissance du cerveau. Mais ce qui intéresse les auteurs, c’est l’aspect « choquant pour le biologiste ». En effet, l’information possède une apparence, elle possède une réalité. Pourtant, à l’envers de toutes les habitudes, « son apparence est concrète tandis que sa réalité ne l’est pas ».  Ils sont contraints de s’y résoudre : « l’information, malgré son caractère immatériel, « vit » ». S’ils s’étaient détaché de la théorie de Shannon, ils auraient sans doute accepté d’affirmer que l’information n’est pas qu’un signe comme ils le démontrent en détail dans leur livre. L’information fait signe. Elle déclenche un feu d’artifice de connexions neuronales dans les cerveaux ; c’est sans nul doute aussi pourquoi les auteurs affirment qu’ « elle vit ».
 

Homo sapiens est un spécialiste de l’information

 
Elle vit dans les organismes vivants et plus particulièrement chez les humains. « Homo sapiens est un spécialiste de l’information » affirment-ils. La particularité que les hommes possèdent, plus que toute autre espèce, est le langage. Nombreux ont été les scientifiques qui se sont penchés sur cette fonction si élaborée. Certains ont même imaginé que l’apparition du langage avait transformé radicalement la nature de l’homme. Son cerveau a grossi, il a pu transmettre à ses congénères des instructions, inventer le feu et de ce fait, dormir plus profondément, en meilleure sécurité. Il put ainsi rêver, assimiler les connaissances des périodes de veille, augmenter ses capacités et son intelligence. Cette histoire, pour Pierre-Henri Guyon, est certes probable mais, nous n’en avons aucune preuve, aucune trace. C’est vrai. Ce qui apparaît plus évident pour les auteurs et notamment Jean-Louis Dessalles, le spécialiste du langage, c’est que cette fonction est à rapprocher … de l’épouillage chez les singes. Le langage sert à la conversation.  La preuve ? Regardez ce que nos contemporains font sur le web ou Twitter : ils papotent, ils propagent des nouvelles et des rumeurs. Et cela, « ils adorent le faire ». Ce sont certainement les pages les plus discutables du livre. La thèse consistant à dire que le langage sert à démontrer notre capacité à acquérir des informations pour gagner du prestige et conquérir un statut social obtenu ainsi par un autre moyen que la force physique, cette thèse restreint l’importance du langage et laisse de côté son rôle dans la conquête d’un avantage compétitif considérable dans l’évolution de l’espèce. Un avantage permettant justement aux informations non biologiques de se propager pour sculpter l’humain mais aussi toutes ses projections techniques ou civilisationnelles.
 
« L’information constitue le fil d’Ariane de l’évolution ». L’information est ce qui unit les organismes dans le temps. Les auteurs, naturalistes éminents, observent que l’information possède la caractéristique de voyager d’organisme en organisme, d’y être stockée, transmise et ainsi de traverser le temps, au-delà de la limite temporelle des organismes eux-mêmes. « Ce qui se maintient tout au long des lignées phylogénétiques, c’est exclusivement l’information qui les traverse, presque sans les voir » affirment-ils.
L’information codée dans les gènes, qui se réplique de génération en génération est bien connue des biologises. Mais il y a d’autres informations, non biologiques, non génétiques, qui sont capables de se répliquer elles-aussi et de se transmettre d’individu à individu dans toute la lignée des générations et des cultures. Ces informations non biologiques, qu’il faut appeler « culturelles », Gouyon, Dessalles et Gaucherel semblent les aborder avec d’infinies précaution.  Il faudra attendre la page 135 de leur livre pour que la notion de mème, inventée par Richard Dawkins [Le gène égoïste, Odile Jacob, 1976] soit abordée.
 

Le rôle des mèmes

 
Les auteurs reprennent la définition initiale de Dawkins : le mème est une unité d’information culturelle qui se propage de cerveau en cerveau. Le livre ignore les définitions ultérieures apportées au concept de mème, définitions directement induites des travaux des neuroscientifiques. C’est le cas notamment de Robert Aunger [The Electric Meme, The Free Press, 2002] ou de Susan Blackmore [La théorie des mèmes, Max Milo, 2006]. Ils ont observé que le mème n’est pas seulement une unité d’information qui se propage, c’est avant tout un déclencheur de sens, un « instigateur », qui se réplique de cerveau en cerveau et active une organisation complexe de cartes neuronales, dont on sait aujourd’hui qu’elles se situent dans de multiples zones du cerveau.

LIRE DANS UP : Des chercheurs créent une carte 3D du cerveau pour visualiser comment nous comprenons le langage

L’intérêt principal du livre de Gouyon, Dessalles et Gaucherel est de nous montrer, avec de nombreux exemples tirés de l’observation de la nature, que les gènes et les mèmes participent ensemble du fil de l’évolution. Dans certains cas, ce sont les gènes qui prennent le dessus, dans d’autres, ce sont les mèmes, ces unités d’information non-biologiques, qui sculptent le vivant. Les auteurs reprennent l’exemple significatif à cet égard de la tolérance au lactose qui est apparu quand l’homme a appris à se sédentariser et pratiquer l’élevage. Une mutation biologique (l’apparition de la lactase, cette enzyme qui permet la tolérance au lait) aurait ainsi accompagné une innovation culturelle (en l’occurrence l’élevage) pour mieux permettre à cette dernière de se projeter, de se propager.
Cette histoire donne envie de savoir, au-delà de ce que l’on sait sur les gènes, comment fonctionnent ces informations « culturelles » qui sautent de cerveau en cerveau, de génération en génération ; comment s’articulent-elles avec les structures génétiques. Qui du mème ou du gène tient l’autre en laisse ? On reste sur sa faim car la réponse donnée par les auteurs du Fil de la vie n’est pas aboutie.  De la même façon, en admettant que le gène soit « égoïste » et qu’il se réplique en utilisant l’organisme vivant comme d’un « véhicule », peut-on admettre aussi que le mème soit « égoïste » et qu’il se réplique pour former quelque chose de plus grand que l’organisme vivant.  Ici encore on regrettera le silence des auteurs qui n’abordent de surcroît que très rapidement la révolution numérique apparue il y a quelques années, dont nombreux sont ceux qui s’accordent à penser qu’elle est un formidable moteur d’expansion des mèmes.
 
Malgré ces silences ou ces oublis, le livre Le Fil de la vie est d’une grande importance. Il établit de façon indiscutable le rôle des informations biologiques et culturelles dans le vivant. En 1944, l’inventeur de la mécanique quantique, Erwan Schrödinger a écrit un petit livre remarquable : Qu’est-ce que la vie ? Il répondait que les fondements de la chimie et de la physique de la vie s’articulent autour d’une notion capitale, longtemps ignorée : l’information. Or selon lui, c’est l’information qui fait la spécificité de la vie. Pierre-Henri Gouyon, Jean Louis Dessalles et Cédric Gaucherel affirment, à la fin de leur périple à travers les arcanes du vivant, que « l’information est ce qui vit ». Il n’y a qu’un pas, qu’ils hésitent à franchir, mais qui pourrait constituer un pas de géant ; avancer que l’information, c’est la vie.
 
 
 
Pierre-Henri Gouyon, Jean-Louis Dessalles, Cédric Gaucherel, Le Fil de la vie. La face immatérielle du vivant, Odile Jacob, 2016, 240 p. 24.90 €
 
Photo : Le Rêve, huile sur toile d’Henri Rousseau (1910), New-York, Museum of Modern Art, © Akg Images
 

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