Débat télévisé, pétitions viennent rappeler que commettre des agressions verbales ou physiques contre des femmes est inacceptable, comme elle l’est contre toute personne.
Ce que ces témoignages permettent c’est de rendre le débat public et de dire « stop » est une bonne chose, mais à quoi ?
Lorsqu’un homme regarde une femme avec insistance et lui manifeste clairement son désir, sans que celle-ci ne soit nullement d’accord avec ce type d’interaction, ceci est évidemment insupportable. Et ce qui l’est plus encore c’est que cela puisse être considéré comme normal et que des mères minimisent les faits lorsque leurs filles leur crient leur sentiment d’injustice et leur désarroi.
Mais savons-nous nous regarder entre hommes et femmes autrement qu’en objet ? Combien de femmes s’apprêtent-elles pour séduire un homme, combien d’autres pensent au compte en banque du futur ami pour subvenir à leurs besoins et l’abandonnent lorsqu’il est au chômage ? Et combien d’hommes vers la cinquantaine ou à soixante ans fraient avec une jeune femme pour avoir de nouveaux enfants et s’illusionner dans une jeunesse, achetée, la plupart du temps ? Ou encore combien d’hommes sont convaincus que forcer une femme va la faire tomber amoureuse et que c’est normal [1] ?
Dans ces différents cas que nous pourrions multiplier à l’envi, quand sommes-nous des sujets qui rencontrons des sujets ? Nous cherchons, dans l’autre, un moyen pour obtenir quelque chose de lui ou à travers lui ou elle. Ou, lorsque nous voulons le posséder affectivement et/ou sexuellement, nous ne voyons que l’objet qui va satisfaire notre désir ou valoriser notre ego. Quand parvenons-nous à véritablement rencontrer la personne qui nous fait face, cet homme ou cette femme dans toute sa singularité et ses multiples facettes avant de le ou la réduire à un objet sexuel ou matériel ?
Car lorsqu’il y a rencontre véritable, chacun se dépose, en confiance, un lien ténu s’établit, un dialogue authentique se nourrit et comme dit l’adage « et plus si affinité », mais l’amitié est primordiale et permet une qualité de liens au-delà de l’instrumentalisation et de la sexualisation des relations. Rappelons-nous qu’Aristote, dans l’Ethique à Nicomaque, nommait philia l’affection qui définit le fait que nous aimons un être pour ce qu’il est et non pour ce qu’il peut nous apporter.
C’est à cette conscience de l’altérité que cette mise en exergue de violences nous invite.
Nous vivons des violences raciales, religieuses, liées à notre sexe ou à notre genre et aussi celles sociales et ethniques, nos seuils de tolérance sont exacerbés et nos capacités à accueillir l’autre largement diminuées.
Alors oui c’est une excellente chose qu’une grande majorité de femmes osent dire « stop », « ça suffit », nous ne sommes pas des objets de consommation. Oui c’est essentiel de vouloir faire cesser la violence et de prendre conscience qu’il nous faut manifester entre nous une communication (CNV) et une éducation bienveillante notamment pour les enfants, toutefois, regardons aussi comment nous sommes instrumentalisés par le marketing et la société de consommation. Ouvrons les yeux sur les représentations que nous avons sur le réel et combien elles déterminent nos interactions et conditionnent notre tolérance ou à l’inverse encouragent nos radicalismes.
Osons refuser la mode qui transforme les femmes en prostituées, osons ouvrir les yeux et voir dans une illusion de liberté que nous nous prêtons à entretenir un système qui nous rend objet de désir et que cela est énormalé. Rappelons-nous certaines campagnes de publicité notamment celle de Dolce et Gabana [2], combien d’entre nous s’habillent avec des vêtements de marque qui véhiculent une image particulière de la femme. De la même manière que certains ne s’habillent plus chez H&M ou Zara, les GAFA du textile, pour agir de manière responsable face à l’exploitation de celles et ceux qui fabriquent ces vêtements, décider comment nous nous habillons est également une manifestation de conscience et de décision de dignité personnelle. Ne confondons pas la liberté de pouvoir faire tout ce que l’on veut et de ce fait suivre toutes les modes et le libre arbitre, qui consiste, en conscience, à faire le tri de ce que la société nous propose, et de nous poser en Femme et Homme Libre et Debout.
Nombreux sont ceux qui ont connu et subi des violences liées à leurs identités, et pas que les femmes. La question est qu’en fait-on ?
Evidemment cela va déterminer notre identité. Une femme agressée, insultée, voire violée, va changer son rapport à l’homme soit en tombant dans le rôle de victime soit en se construisant en guerrière et copiant par là-même les modalités relationnelles agressives de cette facette masculine maléficiée comme dirait Charles-Rafaël Payeur. L’un réagira à la discrimination pour sa couleur de peau ou l’autre pour son origine religieuse, certains répondront par la haine, d’autres par le repli passif et soumis et quelques-uns décideront en homme ou femme libre que leur singularité n’est pas déterminée par autrui, ni en creux, par l’inhibition, ni par une mise en exergue excessive.
Chercher à obtenir réparation est la facette victime de notre fonctionnement psychique qui a besoin que l’injustice soit entendue et qu’une réponse publique, légale ou médiatique, soit apportée à la souffrance encore vibrante. Pour certains, étreints par la peur, c’est la résignation qui prime. Et puis, il y a celles et ceux qui trouvent une autre voie, celle du pardon à elles-mêmes d’abord, puis aux agresseurs, pas un pardon qui cautionne, un pardon qui transcende. C’est voir dans certains actes sexistes la part de limitation que vit l’agresseur à ne pas savoir entrer en relation avec autrui autrement. Et décider alors de lui sourire pour lui ouvrir la porte afin qu’autre chose devienne possible.
L’humour, le dialogue et la bonté face à l’agression, sexuelle notamment, portent très souvent leurs fruits. L’agresseur est déstabilisé, car en n’étant plus mûe par la peur, cette interaction inédite restaure l’altérité, en sortant de la proie et du prédateur, les mots viennent apporter une bribe de relation qui n’a peut-être jamais existé dans la construction de l’agresseur.
Evidemment, cela signifie pouvoir, en cas de danger ou de menace, savoir réagir autrement, une tierce voie et oui cela s’apprend. Et heureusement, nombreuses sont aujourd’hui les écoles qui prennent le chemin de ces apprentissages pour apporter aux plus jeunes les clés de l’altérité.
Décider de sortir de la construction identitaire réactive, ne plus vouloir être déterminé.e par les violences ou par des comportements réactifs c’est décider d’être un Homme ou une Femme Debout, qui n’a pas besoin de rester englué dans son vécu de victime ni de plonger dans celui de persécuteur en dénonçant, en relayant, en accentuant un phénomène qui clive les sexes et conduira inévitablement à davantage de violences.
Permettre que des faits répréhensibles soient reconnus est une chose, la justice est là pour s’en charger, et/ou déposer sa peine chez un psy pour se débarrasser des blessures et des schémas relationnels répétitifs, est une autre piste.
Et puis, décider de sortir de cette dynamique relationnelle et s’occuper de grandir en conscience, en présence à ce qui est et trouver dans chaque situation relationnelle une opportunité de croissance et de co-création en est une troisième. L’identité n’est alors plus déterminée par l’agression, la comparaison à autrui, mais par un choix délibéré de se construire, en conscience, vers un Soi qui est l’élaboration aboutie de notre chemin de vie.
Et pour cela il est essentiel de décider de sortir de nos conditionnements, aussi bien ceux des petites filles et des femmes que ceux des petits garçons et des hommes. Repenser ce qui est normal au regard ce qui va permettre la rencontre de deux sujets et non de deux objets est-il essentiel pour co-construire de nouvelles bases à notre altérité.
Que des femmes aient besoin de faire savoir que des pratiques abusives ont lieu dans certains milieux professionnels et qu’elles saisissent la justice pour obtenir réparation est une chose, utiliser les médias et les réseaux sociaux en est une autre et lancer une pétition avec un tel titre « Balance ton porc » ne fait qu’accentuer la violence. Cela ne résout rien et risque d’exacerber les oppositions homme/femme.
La colère est un moteur à l’action, mais sans être alchimisée, transcendée, brute, appelle la colère en retour, la haine et la spirale de la violence ne peuvent être interrompues.
Ce que le nom de cette pétition met en exergue c’est la puissance des mots et leur effet sur nos actions. Bien entendu, il est inadmissible que pour un même comportement, par exemple avoir plusieurs aventures amoureuses, un homme soit qualifié de Don Juan et une femme de pute ou de salope. Cette différence de traitement est totalement insupportable.
Pour autant, afin de sensibiliser autrui, n’existe-t-il que les insultes et la vulgarité pour réveiller les consciences ?
Chaque mot a une portée vibratoire et symbolique et choisir avec discernement à la fois ce que l’on cherche à exprimer comme l’impact que les mots auront sur autrui, et avec les réseaux sociaux, sur la société, est une marque de responsabilité individuelle et collective déterminante. Si « nous » voulons éveiller à la conscience, encore nous faut-il être le plus irréprochable possible, et tout le défi réside alors à utiliser des mots percutants sans qu’ils soient offensants ou incitants à la violence. La puissance du message ne réside pas dans l’effet choc ou buzz, c’est alors perpétuer le même système que l’on cherche précisément à dénoncer.
Il n’est pas non plus question de « politiquement correct », il est question de pouvoir parler de tout et d’une manière qui puisse faire grandir chacun.
Enfin, inciter à dénoncer l’homme (ou dans certains cas la femme) qui nous a agressé c’est oublié notre Histoire. Nous avons un devoir de mémoire face à nos aînés, à tous ceux qui ont vécu les horreurs de génocides et récemment de la Shoah, cautionner la dénonciation s’est renouer avec Vichy, avec notre passé de collaboration – oui nous ne sommes pas que des résistants – et surtout à pointer notre passivité face à la ségrégation qui a conduit aux trains de déportation et aux camps de la mort.
Si nous voulons faire cesser toute forme de violence, nous avons la responsabilité de sortir de la loi du talion, de tenter chaque jour de manifester un comportement impeccable, de faire en sorte que nos paroles et nos actions apportent résolution, apaisement et pardon. Alors nous permettrons de faire grandir en conscience nos relations et qui sait, la société.
Décider de repenser l’altérité, revisiter nos conditionnements pour modifier notre vivre et notre agir ensemble.
[1] Excellent article de David Wong sur le conditionnement masculin au travers des films ou séries télévisées. http://www.cracked.com/blog/how-men-are-trained-to-think-sexual-assault-no-big-deal/
[2] http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20070313.OBS6782/dolce-gabbana-cesse-toute-publicite-en-espagne.html ; http://www.jeanmarcmorandini.com/article-3781-la-pub-dolce-gabbana-retiree-dans-le-monde-mis-a-jour.html
Pour aller plus loin :
– Relire « Galanterie française » de Claude Habib – Edition Gallimard, 2006
– Livre « Délicate transition : De l’émergence à la convergence, une ode aux explorateurs de RenaiSens » de Christine Marsan, sous la direction de Didier Chambaretaud – Préfacer de Michel Bauwens – Edition Essais d’aujourd’hui, Juin 2017.
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