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Les librairies, étendards de la résistance

TRIBUNE LIBRE

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Les librairies, comme les cinémas et salles de spectacle, lieux propices à l’évasion, ne font pas partie de la liste des commerces dits « essentiels » devant rester ouverts pendant la période de ce second confinement, selon le Gouvernement. Les temps sont durs pour les livres. Pour les libraires, les auteurs, les éditeurs. Beaucoup ont déjà écrit sur le sujet ou signé des pétitions. Mais la colère ne retombe pas et il faut continuer à la nourrir pour rester mobiliser. Pour l’écrivain Laurent Gaudé, il faut rouvrir ces lieux, car le livre n’est pas un objet de consommation comme les autres et que les laisser fermés, ce serait renier soixante-dix ans de politique culturelle française. 

Les librairies sont fermées. Encore et toujours. Jusqu’à présent, face à la colère qui monte et à ceux qui demandent leur réouverture, le Président de la République, le Premier ministre et son gouvernement s’en tiennent à une position d’autorité, martiale : « Dura lex, sed lex », considérant visiblement que leur devoir est d’incarner une ferme intransigeance, que la beauté du pouvoir est de rester droit dans ses bottes face à la tempête… Cela pourrait être noble, sauf que cette position est une cécité. Et un formidable gâchis politique.[/wpdiscuz-feedback]

Il faut rouvrir les librairies parce que c’est notre plus bel étendard. La France traverse une double épreuve : celle de la pandémie et du terrorisme. Or le livre est le visage de la résistance face à ces deux fléaux. Il aide à déjouer l’asphyxie du confinement et nargue l’obscurantisme. Brandir le livre aujourd’hui serait une belle façon de donner un visage à nos combats, de répondre avec force à la sauvagerie des décapitations : « Voici qui nous sommes, qui nous voulons être : un peuple qui tient, un peuple qui lit. »

Avec volonté et fierté

Au lieu de cela, on laisse cette polémique s’enfermer dans une concurrence de secteurs : Pourquoi rouvrir les librairies alors que les restaurants restent fermés ? … Une librairie vaut-elle mieux qu’un salon de coiffure ? … Qu’est-ce qui est le plus « essentiel » : un livre, des fleurs, une bouteille de vin, un grille-pain ? … Et pour qui ? …

Si on accepte que le débat se pose en ces termes, il est déjà mort. Répondre au monde de la culture en faisant semblant de penser qu’il ne s’agit que de la demande d’un secteur inquiet sur son sort, c’est rater l’Histoire. Pour un pays, la culture ne se résume pas à un secteur d’activité économique, c’est un peu de son âme.

Il faut rouvrir les libraires parce que ne pas le faire, c’est renier plus de soixante-dix ans de politique culturelle française. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, avec Malraux puis tant d’autres, la culture en France a créé de nouveaux outils et s’est dotée de nouvelles missions. Le Théâtre national populaire de Villeurbanne est né de cela. L’art pour tous. La décentralisation. Vilar, Vitez. Nous sommes les enfants de ce souci de démocratisation. Chaque génération doit prendre soin, lorsque vient son tour, de cet esprit de partage sans lequel la culture n’est plus qu’un marqueur de l’entre-soi social.

Il faut rouvrir au plus vite les librairies, non pas du bout des lèvres, comme une exception consentie qu’on accorderait par mansuétude, mais avec volonté et fierté. Haut et fort. Accompagner cette réouverture d’un discours politique sur l’importance du service public, de l’art pour tous, du désir de culture comme projet politique. Il n’y a que comme cela que cette réouverture aura un sens.

Un livre ne se résume pas à un produit dans un rayon

Il faut rouvrir les librairies parce que le livre n’est pas un objet de consommation comme les autres. Il ne l’a jamais été et ne doit jamais l’être. Cela, le pouvoir politique l’a compris et validé depuis des décennies, notamment, avec la loi Lang qui établit le prix unique du livre. Un livre ne se résume pas à un produit dans un rayon, c’est un territoire d’instruction, de libération, d’apprentissage, de divertissement, de partage, de plaisir, de savoir, d’éducation, de réflexion, d’empoignade, bref un lieu d’intelligence, de débat et de curiosité.

Il faut rouvrir les librairies parce que tant qu’elles sont fermées, l’exception culturelle française est dans le coma. Or nous refusons de capituler face à la Toute-puissance de l’algorithme. Les lecteurs ne seront jamais rien d’autre, sur internet, que des consommateurs. Dans une librairie, ils sont citoyens.

Le président de la République, le Premier ministre et son gouvernement doivent affirmer haut et fort que face aux deux fléaux du moment, la pandémie et l’obscurantisme, il faut invoquer ce qui a toujours été à nos côtés dans les épreuves de l’histoire : la culture. C’est elle qui porte le mieux nos valeurs. C’est elle que nos ennemis détestent en nous. Il faut rouvrir les librairies et proclamer qu’elles le resteront aussi longtemps que les boulangeries, parce qu’en France, depuis Rabelais, l’humanisme a toujours mis à sa table, côte à côte, le pain et les livres !

Laurent Gaudé, Ecrivain – Auteur du Prix Goncourt « Le Soleil des Scorta », Edition Actes sud, 2004
Dernier livre paru : « Paris, milles vies » – Edition Actes Sud, octobre 2020.
Publication avec l’aimable autorisation de l’auteur
L’original de cette tribune est paru dans Libération du 6/11/2020 

A NOTER :

  • La librairie des Abbesses, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, a lancé l’initiative « Rallumez les feux de nos librairies » : chaque jour à 15h, des écrivains viennent en signe de résistance et de solidarité dans une librairie pour rallumer symboliquement ses lumières. Le 2 novembre dernier, c’est Sylvain Tesson qui a inauguré l’initiative avec Anne Hidalgo, maire de Paris, qui déclarait alors à la presse « Je le dis vraiment aux Parisiennes et aux Parisiens : n’achetez pas sur Amazon. Amazon c’est la mort de nos librairies et de notre vie de quartier […] La culture est essentielle, c’est une erreur de la sacrifier« .
  • Lancement du projet « click and collect«  par les librairies de quartier : commander sur internet et aller chercher sa commande sur rendez-vous.

  • Les éditions du Rocher lancent leurs webinaires à partir du 10 novembre, tous les Mardis de 21h à 22h30 : Découvrir leurs auteurs et leur poser des questions en direct (Si vous possédez le livre de l’auteur intervenant, ce webinaire est gratuit, sinon une participation aux frais techniques de 5€ est demandée par webinaire) : 1 livre acheté = 1 Webinaire + un accès au replay.

  • Lire l‘article dans le New York Times (en français) sur la disparition des bouquinistes parisiens.

2 Commentaires
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docteur.riviere***
3 années

Les livres… et tout ce qui va avec: bibliothèques, foires du livre (Ah! Brive!), dédicaces… Dans les pays totalitaires -y serions-nous déjà?- on commence toujours par interdire les livres.
D Rivière
Dernier livre paru: « Quand surveiller, c’est punir » L’Harmattan 2019

allotoxconsulting***
3 années

D’accord sur toute les valeurs décrites par l’auteur, mais que veut dire « entrer en résistance » ? Contre qui ? Contre le gouvernement qui comme dans tous les autres pays essaye de limiter la casse? C’est idiot !! Gardez vos forces pour « entrer en résistance » contre ce virus insidieux qui menace votre santé et votre vie! Voulez vous risquer votre santé et votre vie pour un bouquin ?? Permettre l’achat dans les librairies: Oui ! Par la méthode du « commander-retirer ». Mais organiser des rassemblements contaminants : Non! Un lecteur frustré vivant est plus utile à la culture et à la littérature… Lire la suite »

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