Dans le cadre de la réforme de la Politique Agricole Commune, la Commission européenne a lancé une consultation publique à l’échelle de l’Europe et appelle les citoyens à s’exprimer.
WWF est une ONG qui défend l’environnement, et appelle à agir pour orienter la nouvelle PAC.
Entretien avec Pascal Canfin, directeur général du WWF France.
UP’ : En quoi l’agriculture est-elle un danger pour l’environnement aujourd’hui ?
Pascal Canfin : L’agriculture EN SOI n’est pas un danger pour l’environnement ; en tout cas elle ne devrait pas l’être. Les pratiques agricoles telles qu’une production biologique ou la permaculture (1) sont respectueuses de l’environnement et doivent d’ailleurs être encouragées. Ce que nous dénonçons est l’agriculture industrielle.
Depuis les années 60, notre modèle agricole s’est industrialisé avec des conséquences néfastes pour la nature et la biodiversité. Nos sols ont ainsi été totalement appauvris par l’usage massif de pesticides et d’engrais de synthèse et la monoculture. Par ailleurs, de nombreuses espèces sont affectées soit par l’usage des pesticides ou par la destruction de leur habitat. Ainsi, plus de 400 millions d’oiseaux des champs ont disparu des campagnes européennes ces trente dernières années et les insectes pollinisateurs (abeilles, papillons, etc.) sont fortement en déclin.
C’est pour ces raisons que le WWF a organisé avec plus de 600 ONG en Europe, une vaste campagne de mobilisation qui a permis à plus de 258 000 européens de participer à la consultation lancée par la Commission européenne et de défendre une PAC plus juste, plus respectueuse de l’environnement et plus saine. Cette consultation s’est clôturée le 2 mai. C’est la première fois qu’autant de citoyens répondent présents et font entendre leur voix au tout début du processus de réforme de la PAC.
UP’ : Pourquoi la PAC n’a pas su s’adapter aux changements du monde ?
PC : La PAC a été prévue dans le cadre du traité de Rome en 1957, dans un contexte très différent où l’Europe cherchait à garantir son autonomie alimentaire. Historiquement, l’objectif premier de cette politique a été d’accroître la productivité. Cette politique a donc conduit à l’industrialisation de l’agriculture européenne et cet objectif de productivité en est resté, notamment sous le poids des lobbies de l’agro-industrie, l’alpha et l’omega. Malgré des velléités de “verdir” la PAC et quelques adaptations récentes, celles-ci restent largement insuffisantes. Il est donc urgent que la PAC s’adapte “aux changements du monde”, comme vous le formulez, en prenant en compte les enjeux environnement et climat, mais aussi le fait que le modèle actuel est une faillite économique pour l’immense majorité des agriculteurs même si certains, les plus gros, s’en tirent bien.
UP’ : La PAC est-elle toujours légitime aujourd’hui face aux défis climatiques, énergétiques, environnementaux,… ?
Sans la PAC, le revenu moyen d’un agriculteur est proche de… zéro euros, donc oui, la PAC est encore légitime aujourd’hui car elle permet tout simplement la survie économique de nos agriculteurs. En revanche, force est de constater avec ce chiffre, que le modèle agricole actuel, dont la PAC est un élément clé, a conduit nos agriculteurs dans une impasse. L’agriculture industrielle affecte non seulement la nature et la biodiversité mais, on le voit également, elle affecte aussi les revenus et les emplois, l’UE ayant perdu 20% de ses emplois agricoles entre 2007 et 2013.
Il est donc indispensable de repenser cette politique pour qu’elle réponde aux vraies urgences : l’emploi pour nos agriculteurs, le défi climatique et environnemental, mais aussi la nécessité pour tous d’avoir une alimentation saine et des modes de production qui n’affectent pas la santé des agriculteurs et de leur entourage.
UP’ : Cette nouvelle réforme est-elle risquée pour la PAC ?
PC : Nous connaissons le poids des lobbies. Ce sont des rouleaux compresseurs qui mobilisent des moyens colossaux pour orienter les termes du débat, bien sûr à travers des rendez-vous avec les décideurs, mais aussi à travers l’organisation de nombreuses conférences, le financement d’études, l’achat d’espace publicitaire, etc. Cette nouvelle réforme ne devrait pas y échapper alors que la légitimité de cette politique tend à s’effriter car elle ne répond plus aux attentes. C’est donc peut être la réforme de la dernière chance, dans un contexte où une PAC refondée peut contribuer à redonner du sens au projet européen.
Par ailleurs, en l’absence d’une plus grande légitimité de la PAC, il sera très difficile pour les dirigeants politiques européens de défendre le fait que près de 40% du budget de l’UE (370 milliards d’Euros sur 7 ans) lui soient consacrés. Le risque est donc important de voir les subventions diminuer pour des agriculteurs déjà en difficulté financière, sans que des alternatives ne leur soient proposées.
UP’ : Vous voulez changer notre modèle d’agriculture ? Pourquoi ?
PC : Parce que notre modèle est en faillite, à la fois d’un point de vue économique, environnemental et sanitaire.
La course à la productivité a mis une pression énorme sur les agriculteurs qui ont dû, par exemple, assumer de lourdes dépenses pour s’équiper de machines ou financer des engrais et pesticides. Leur endettement moyen est ainsi passé de 57 900 euros en 1980 à 159 700 euros en 2010 (en euros constants).
C’est également une aberration environnementale. Rendez-vous compte, par exemple, que des scientifiques considèrent certains sols purement et simplement morts car plus aucune vie n’y est présente !
Il est aussi consternant de constater que la course à la productivité combinée à des politiques aberrantes ont conduit l’agriculture européenne à une véritable dépendance pour des matières premières telles que le soja. Avec 5 millions de tonnes de soja importées chaque année du Brésil pour nourrir les animaux d’élevage, nous sommes loin de l’autonomie alimentaire vantée par les défenseurs de la PAC actuelle, et pour un coût environnemental désastreux puisque le soja est l’une des premières causes de déforestation au monde.
Enfin, sur le volet sanitaire, nous nous alarmons au quotidien des effets des pesticides sur notre santé.
UP’ : Les agriculteurs peuvent-ils inventer un nouveau modèle ? Comment ? En ont-ils la volonté et les moyens ?
PC : Oui, et d’ailleurs ils sont de plus en plus nombreux à le prouver. Le taux d’exploitants agricoles convertis au bio en France a ainsi progressé de 12 % en un an, pour atteindre le nombre de plus de 32 000, fin 2016. Un élan puissant mais qui se heurte à la question des moyens puisque, selon les chiffres de la Fédération nationale de l’agriculture biologique, « 80 % des fermes bio » n’ont ainsi pas reçu toutes les aides à la conversion et au maintien qui leur sont dues. Elles arrivent avec plusieurs années de retard ce qui est totalement contraire aux objectifs politique fixés devant favoriser ces conversions !
Au-delà du bio, nous sommes persuadés que le changement de modèle agricole sera bénéfique pour les agriculteurs. Aujourd’hui ce sont les premières victimes du système. Ils sont pris à la gorge par un endettement trop élevé, des fournisseurs d’intrants qui ne cessent de grignoter leurs marges et la pression constante de l’aval pour des prix d’achat toujours plus bas. Il faut refonder le pacte entre les agriculteurs et la société et le WWF entend jouer tout son rôle dans ce grand défi.
UP’ : Comment se coordonnent-ils avec les organisations agricoles ? Par exemple avec la FNSEA ?
PC : La FNSEA est depuis longtemps l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Or cette co-gestion est totalement contre-productive. Nous avons été indigné de voir que dans le guide de réponses que la FNSEA adressait à ses membres pour nourrir la consultation de la commission européenne, qui a fuité dans Mediapart, le syndicat appelait à nier tous les enjeux environnement et climat ! J’espère que la nouvelle présidente de la FNSEA va ouvrir une nouvelle page. Nous sommes de notre côté ouverts au dialogue.
Pour ouvrir cette nouvelle page, il faut mettre tout le monde autour de la table, les agriculteurs dans leur diversité, mais aussi les consommateurs, les acteurs économiques comme l’industrie agroalimentaire, la grande distribution ou les banques, les élus locaux, les associations de protection de l’environnement, les professionnels de santé, etc. C’est pour cette raison que l’idée d’un Grenelle de l’alimentation nous paraît intéressante si elle permet d’ouvrir les fenêtres et trouver les nouveaux compromis pour la décennie à venir.
UP’ : Quel est le poids des lobbies ?
PC : Ce poids est énorme car le secteur de l’agro-industrie a des moyens totalement disproportionnés par rapport à ceux des représentants des consommateurs ou des associations environnementales par exemple. Notre campagne a eu ce rôle, faire entendre la voix des citoyens et rappeler à la Commission européenne pour qui elle élabore les politiques publiques !
UP’ : Quels messages voulez-vous faire passer au nouveau président de la République sur les enjeux de l’agriculture ?
PC : Je suis persuadé que les questions agricoles et alimentaires seront un élément clé du quinquennat qui s’ouvre. Le modèle actuel est en faillite, les règles du jeu doivent changer. Les consommateurs et les agriculteurs sont de plus en plus nombreux à montrer le chemin à suivre : plus de qualité, plus de bio, plus de valeur ajoutée…
Le rôle du prochain président sera de s’appuyer sur ces évolutions pour les changer d’échelle et en faire la nouvelle norme. Il aura alors inventé l’agriculture du XXIème siècle et ce sera à mettre à son crédit !
Propos recueillis par Fabienne Marion
(1) Voir le livre « Permaéconomie » d’Emmanuel Delannoy – 2016
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