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Confiance : ou comment rendre l’incertitude tolérable

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La confiance est une donnée élémentaire de la vie en société, elle est aussi la forme la plus efficace de réduction de la complexité. La confiance établit une relation très singulière au temps : en accordant confiance, nous anticipons l’avenir ; nous agissons comme si nous étions certains de l’avenir ; nous absorbons ainsi son incertitude et pouvons dès lors coopérer avec les autres, avec l’espoir d’en tirer un intérêt accru.

Dans la logique des systèmes complexes, la confiance est dépourvue de toute dimension morale. La confiance s’inscrit dans un processus décisionnel ; elle est un facteur permettant de mettre en œuvre un choix. En ce sens elle diffère du simple espoir qui se situe dans une logique de pari sur l’avenir dénué de tout fondement rationnel. La confiance se rapporte à un choix qui consiste à évaluer si le dommage résultant d’un bris de confiance est supérieur à l’avantage à attendre du respect de la confiance. Celui qui fait confiance sait que l’autre possède sa liberté et sa marge d’action propres, mais il se positionne par rapport à elles pour réduire l’incertitude. Alors que celui qui espère se donne simplement une assurance contre l’incertitude.

La confiance ne s’établit pas pour autant en soupesant exclusivement de façon rationnelle les éléments du choix. Elle peut en effet être routinière et ne pas nécessiter un exercice compliqué de conscience. La plupart de nos contemporains sortent sans armes dans la rue pour se défendre contre une éventuelle agression ; leur confiance dans leur sécurité est intégrée tout naturellement à leur comportement sociétal.

La confiance est ainsi établie comme une attente non consciente et a pour fonction de structurer et de réduire les facteurs de complexité de la vie en société. Dans cette situation, on comprend aisément que la confiance ouvre des possibilités d’action qui sans elle, ne seraient ni attractives ni même concevables. Si la confiance dans la sécurité de chaque individu qui circule dans la rue était rompue, et qu’il faille, par exemple, s’armer pour vivre dans la société des autres, notre monde serait particulièrement invivable ou très différent de celui que nous connaissons.
Pourtant, dans nos sociétés complexes, chacun a le souci légitime de sa sécurité. La confiance, qui résulte d’un choix entre s’armer ou faire confiance dans l’autre ou dans les institutions, s’analyse alors non seulement comme une réduction de la complexité mais aussi, d’une certaine façon, comme une tension vers l’indifférence (1) . En effet, nous savons certes qu’il y a un risque et une incertitude qui ne peuvent être éliminés, mais il n’en demeure pas moins qu’ils ne doivent pas perturber l’action, en l’occurrence la vie de tous les jours.

● Cependant, qu’elle soit implicite ou explicite, la confiance n’est pas une donnée naturelle ; elle doit être apprise, elle fait l’objet d’un apprentissage qui, chez les individus, commence dès la petite enfance ; apprentissage dont les organisations complexes ne sont pas dispensées. La confiance est le fruit d’un apprentissage et les systèmes sociaux doivent aussi apprendre à faire confiance. L’apprentissage à la confiance est de même nature pour les individus et pour les organisations. Dans les deux cas, qu’il s’agisse d’un enfant dans le cadre de sa famille ou d’un système fonctionnel dans le cadre de la société, l’apprentissage est fondé sur les expériences que l’apprenant fait sur lui-même. En effet, celui qui apprend la confiance part de lui-même pour généraliser son expérience aux autres. C’est parce qu’on lui fait confiance, qu’il peut être amené à faire confiance aux autres. C’est la raison pour laquelle la confiance est de nature fragile car elle est toujours projetée, en retour, sur un environnement .

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Les personnes ou les institutions à qui l’on accorde confiance acquièrent ainsi un statut relativement précaire, très sensible aux moindres perturbations, chaque événement étant jugé à l’aune de la confiance donnée. Tout ce qui arrive est dès lors perçu comme un symptôme et se voit accorder une importance particulière. Le moindre événement isolé prend une importance déterminante, comme s’il s’agissait d’un test. Le mensonge, la maladresse de présentation, le moindre défaut inhabituel prennent une acuité implacable remettant en cause l’ensemble de l’édifice de la relation de confiance.
C’est ainsi que naissent les crises : la crise financière de 2008 est symptomatique d’une crise de confiance. Il est important de préciser toutefois que la construction de la confiance n’est pas ébranlée, voire détruite, par n’importe quelle information. En effet, la personne ou l’organisation à qui l’on fait confiance jouit d’un certain capital de crédit qui amortit les informations défavorables à la lumière de l’expérience.
Dans le mécanisme de confiance, il existe un degré plus ou moins grand d’absorption des informations. On peut, en cela, parler de l’existence de seuils qui relativisent les expériences et permettent à la confiance d’agir comme réducteur de complexité. La méfiance absolue étant à cet égard un facteur important de complexité et d’inconfort.

● La confiance suppose ainsi une élasticité dans la tolérance qui n’est rendue possible que par l’existence de seuils, c’est-à-dire de modalités de comportements symboliques qui soient suffisamment clairs et définis. Dans ce cas, la perte de confiance, quand elle advient, ne repose pas sur le jugement par rapport à une réalité bien trop complexe, mais sur une construction symbolique qui n’a pas à être expliquée. Elle opère sans discussion ni justification et peut prendre des tournures catastrophiques, au sens mathématique du terme : effondrement brutal d’un système.

L’escroquerie de Bernard Madoff, ce célèbre financier de Wall Street, a été échafaudée pendant des années sur le mécanisme de la confiance, à l’encontre d’une population d’investisseurs internationaux pourtant aguerris en matière de suspicion. À partir du moment où, à la fin de l’année 2008, en pleine crise financière, la supercherie apparut au grand jour, le montage subtilement élaboré s’effondra comme un château de cartes, entraînant dans sa chute des conséquences « catastrophiques » évaluées à plus de 50 milliards de dollars.

La confiance est donc indissociablement liée au contrôle, mais à un contrôle qui ne repose pas nécessairement sur des faits vérifiables et tangibles, validés réellement, mais sur un appareillage grossièrement simplifié d’indices qui renvoient constamment des informations servant à déterminer s’il est légitime ou non d’accorder sa confiance.

Toutefois, plus un système social se complexifie, plus les modalités de contrôle se diluent, immunisant ainsi le système des risques des déceptions individuelles et lui faisant faire l’économie de fournir sans cesse les preuves que la confiance reçue n’est pas violée. En outre, dans la mesure où le monde lui-même se complexifie à l’extrême, l’exigence de réduction de complexité fait de la confiance un présupposé de la conduite normale et rationnelle de l’existence sociale. L’apprentissage de la confiance en société conduit de ce fait à adapter son comportement non plus en fonction de la confiance individuelle que l’on apporte soi-même, mais en fonction de la confiance apportée par d’autres acteurs, par exemple, les experts.

Il ne peut en être autrement dans les sociétés complexes sauf à remettre en question leur fonctionnement même. De ce point de vue, le contrôle de la confiance est ainsi non seulement délégué à d’autres acteurs qui possèdent la compétence, mais il l’est aussi à l’intérieur des sphères fonctionnelles qui réclament la confiance. Encore faut-il que les mécanismes de contrôle et de sanction y soient explicites, organisés et équilibrés, ce qui est un véritable enjeu de société.

(1) Niklas LUHMANN, La confiance.

 

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