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Culture : les « mèmes » en héritage

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Chaque être humain possède un double héritage : un héritage génétique et un héritage « mémétique ». Le premier est largement connu, le deuxième beaucoup moins (1). L’héritage mémétique recouvre le monde de la culture, des idées, des connaissances. Cet héritage ne vient pas se superposer à l’héritage génétique ; il se combine avec lui, créant des stimulations ou des inhibitions qui ont pour conséquence de modeler chaque individu.

Les « mèmes » mettent en oeuvre un processus permanent de reconstruction, voire d’autoproduction. Il ne s’agit jamais d’une injection passive ou d’une simple reproduction, mais au contraire d’une intense activité cognitive.

● Toute culture imprègne profondément l’être humain dès son plus jeune âge : tabous, systèmes d’éducation, régimes alimentaires, déterminent l’actualisation de telle attitude, de tel trait psychologique ou affectif. Ces « imprintings précoces », comme les appelle Edgar Morin (2), font subir des pressions multiformes sur l’ensemble du fonctionnement cérébral d’un individu. Les mèmes reçus par un individu sont des instigateurs qui déclenchent dans son cerveau une série de réactions cognitives, très variables d’un être humain à l’autre.

● Les projections mémétiques les plus durables des hommes furent des moyens de communication, c’est-à-dire des simulacres permettant l’émergence, l’échange, la conservation et la transmission de traces. Parler est un moyen de se projeter ; la langue orale commanda aux premières grandes avancées de l’espèce humaine. Écrire fit faire à l’humain un bond prodigieux : en libérant les capacités de stockage de son cerveau, l’humain démultiplia par l’écriture puis par le livre ses facultés de projection sur les autres et sur le monde. On ne peut comprendre l’humain sans comprendre ses projections.

● Les hommes et leurs projections font partie du même monde, ils participent ensemble d’une écologie mémétique. L’homme seul n’est rien. Sa conscience, et dans une certaine mesure, son intelligence, dépendent d’un réseau complexe dans lequel interagissent des humains et des entités techniques et mémétiques. L’homme n’est intelligent que parce qu’il est membre d’un groupe humain dont il possède la langue, tout un ensemble de méthodes, de configurations cérébrales, de mèmes et de technologies.

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L’homme est une particule active d’une écologie mémétique qui le nourrit et qu’en retour il nourrit en s’y projetant. Mes neurones, mes cartes cognitives s’articulent avec des systèmes d’écriture, avec des livres, des ordinateurs, des médias de toutes sortes, des superstitions, des mythes, des arts, qui forment un réseau dans lequel je suis partie prenante.

Dans les réseaux de l’écologie mémétique, il n’y a pas de distinction entre les sujets pensants, les objets inanimés et les idées (3). Tous contribuent à former et informer le milieu dans lequel ils évoluent. Les mèmes inventés par les hommes sont acteurs à part entière, comme les humains, d’un collectif en redéfinition permanente, qui n’est rien d’autre que la culture et la civilisation. Sans l’écriture il n’y aurait pas eu les religions universalistes, sans Gutenberg, la science moderne n’aurait vraisemblablement pas vu le jour, sans la presse et les livres, la démocratie ne serait restée qu’un songe.

(1) Le premier à faire état du « mème » (et à créer le mot) est Richard DAWKINS dans son livre publié à Oxford, où il enseigne, en 1976, Le gène égoïste (Odile Jacob, 1996). Le mème est une unité d’information culturelle qui se réplique de cerveau en cerveau selon des modalités que j’ai décrites dans Homo Sapiens 2.0 (op. cit.). Le mème réside dans le cerveau humain, mais aussi dans toutes les extensions artificielles du cerveau, inventées par l’homme pour compléter et étendre sa mémoire : livres, ordinateurs, supports d’information, etc. Quelle que soit les modalités de ce stockage, un mème reste toujours un mème. Qu’il réside dans un cerveau ou dans une autre structure physique, il subit un processus évolutionniste.

(2) Cf. : Edgar MORIN, Le paradigme perdu : la nature humaine, Seuil, 1973

(3) Cf. : Pierre LEVY, Les technologies de l’intelligence, La découverte, 1990

 

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