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Démocratie collaborative : à la recherche d’un monde commun

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Le chantier de la démocratie collaborative ouvre un immense espace au sein duquel les citoyens ne sont pas de simples porteurs d’intérêts catégoriels mais les constructeurs identifiés et actifs d’un échange continu. Il s’agit là d’un processus d’apprentissage réciproque, de traduction de savoirs et non d’agrégation massive ou de délégation de pouvoirs à des « spécialistes », experts ou politiciens.

À l’opposé des décisions tranchées par une majorité, par des héros politiques ou par des experts, il s’agit ici d’une construction mesurée, prudente et concertée, une démarche active et ouverte, toujours révisable en fonction des incertitudes et des aléas du monde. La démocratie collaborative est plus qu’une simple « contre-démocratie » (1) qui serait mise en œuvre par des processus de vigilance, de contrôle voire de résistances qui, dans tous les cas, ne peuvent intervenir qu’a posteriori, comme exercice, en négatif, de la souveraineté.

● Cette démocratie requiert un cadre de contraintes nouvelles pour l’action. Au cœur de l’idée de démocratie collaborative réside l’obligation que soient exprimées, de façon publique les raisons qui justifient les décisions (lois, règlements, normes) du politique et des autres sphères fonctionnelles*. Autrement dit, que soient explicitement organisés les moyens qu’ont les citoyens, dans leur pluralité, de réguler leur vie commune. Cet idéal démocratique va beaucoup plus loin que l’idéal représentationnel classique. En effet, l’idéal démocratique métamorphosé affirme comme principe l’exercice du jugement critique et la pratique de l’initiative. Ces deux modes d’action impliquent la mise en œuvre d’un travail collaboratif, c’est-à-dire d’un ensemble de possibilités d’enquêtes (2) concernant l’impact sur la démocratie des différents phénomènes sociaux modernes. Ces phénomènes sont de différentes natures et leur liste n’est pas limitative : poids de la bureaucratie, influence des experts, des médias, usage des nouveaux moyens de communication, différenciations des sphères fonctionnelles, mesures environnementales, axes de développement, etc. Cet exercice du jugement critique implique que les acteurs sociaux, au premier titre desquels figurent les citoyens, soient informés et autonomes.

● Dans nos sociétés, ce vœu exige que du savoir soit distribué parmi les participants de la société. Mais ce savoir n’est pas uniquement théorique ; il est orienté vers l’action ; il est essentiellement pratique, c’est-à-dire qu’il concerne l’aptitude à créer des normes sociales et à les utiliser. Il s’agit d’une praxis orientée non seulement sur des faits, sur des moteurs décisionnels comme la confiance*, mais aussi sur des idéaux démocratiques telles que la liberté* ou la justice. Cette forme de démocratie implique aussi que l’initiative appartienne aux acteurs sociaux. Hannah Arendt a bien montré qu’avoir l’initiative était « le privilège humain suprême »(3) . Le philosophe britannique Philip Petit exprime la même idée : « Être admis au rang de personne, c’est posséder une voix que l’on ne peut ignorer, une voix qui s’exprime, avec une certaine autorité, sur des problèmes soulevés en commun avec d’autres ; qui s’exprime en tout cas avec une autorité suffisante pour donner aux autres des raisons de suspendre leur jugement et de réfléchir. Être traité comme une personne, c’est s’exprimer d’une voix qui ne peut être écartée sans raison indépendante ; c’est être considéré, en d’autres termes comme une personne qui vaut la peine d’être entendue. » (4)

Cela signifie que les citoyens et les acteurs sociaux ne peuvent se contenter d’être simplement consultés. Le paradigme délibératif est un minimum démocratique nécessaire mais insuffisant dans les sociétés contemporaines. Le pouvoir d’initiative devient désormais le nouveau minimum démocratique.

● Ces contraintes nouvelles de la pratique politique doivent être comprises non comme des obstacles encombrant l’action, mais comme des « faits institutionnels » profondément implantés au sein de la société et générateurs de faits sociaux originaux. Cette démocratie collaborative, active et responsable, participe ainsi de l’implantation historique d’institutions et de leurs acteurs concernés. Ceux-ci, en engendrant de nouveaux faits sociaux, s’implanteront à leur tour, en une spirale dynamique, dans de nouvelles institutions, pour réinventer la République.

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(1) ccf. Pierre ROSANVALLON, La contre-démocratie, op.cit
(2) James BOHMAN, Realizing Deliberative Democracy as a Mode of Inquiry : A Pragmatic Account of Social Facts and Democratic Norms, in Journal of Speculative Philosophy, n° 18, 2004
(3) Hannah ARENDT, Les origines du totalitarisme (1951) suivi de Eichmann à Jérusalem (1963), Gallimard, 2002
(4) Philip PETTIT, Républicanisme, op.cit.

Gérard AYACHE

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