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Des pommes pour régénérer du cartilage humain : l’étonnante prouesse du laboratoire Bioconnect

Et si la solution pour réparer nos cartilages se trouvait… dans une pomme ? Des chercheurs normands viennent de le démontrer : il est possible de reconstruire du cartilage humain en utilisant des pommes décellularisées comme support cellulaire. Une idée à la fois simple, verte et révolutionnaire, qui pourrait bien faire entrer les fruits dans le panthéon de la bio-ingénierie. Une première mondiale publiée dans le Journal of Biological Engineering, qui pourrait révolutionner la chirurgie reconstructrice et réduire le recours à l’expérimentation animale.

Le cartilage, ce tissu élastique qui tapisse nos articulations, nos oreilles ou notre nez, ne se répare pas facilement. Une blessure, une maladie comme l’arthrose, ou même le vieillissement peuvent le dégrader… et la médecine peine encore à le reconstruire durablement. L’arthrose affecte plus de 10 millions de personnes en France et représente environ 15 % des dépenses de la Sécurité sociale. L’âge est considéré comme la 1ʳᵉ cause de cette maladie douloureuse et invalidante. Il n’existe actuellement aucun traitement efficace contre cette pathologie : les médicaments utilisés (anti-inflammatoires stéroïdiens ou non stéroïdiens) visent seulement à réduire l’inflammation et la douleur et sont incapables de freiner le processus de dégradation du cartilage. À terme, l’usure du cartilage est telle qu’il faut remplacer l’articulation par des prothèses. 
Le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques permettant de ralentir le processus de dégradation du cartilage observée au cours de cette pathologie articulaire est donc un enjeu majeur de santé publique et pourrait être facilité par une meilleure connaissance de la structure du cartilage articulaire et du système régulant son homéostasie, notamment au cours du vieillissement.
Les greffes actuelles sont souvent coûteuses, nécessitent des tissus humains ou animaux, et posent parfois des problèmes de compatibilité. C’est pourquoi les chercheurs explorent de nouveaux matériaux capables d’accueillir des cellules humaines et de reformer du cartilage en laboratoire.

L’équipe du laboratoire Bioconnect (UR 7451 BioConnect) de l’Université de Caen Normandie (1), dirigée par les professeurs Karim Boumédiene et Catherine Baugé, a eu une idée pour le moins originale : utiliser une pomme comme base. Une fois débarrassée de ses cellules, la pomme conserve une structure naturelle faite de fibres de cellulose, un peu comme une éponge végétale. Cette structure peut alors servir de “maison” à des cellules humaines capables de se transformer en cartilage.

Cette avancée qui repose donc sur une technique innovante consistant à retirer les cellules d’un tissu pour ne conserver que sa structure, est ensuite ensemencée avec des cellules souches humaines. Si cette méthode est déjà utilisée avec des tissus humains, l’utilisation de matrices végétales — ici des pommes — constitue une première mondiale dans la reconstruction de cartilage.

Une pomme devenue échafaudage biologique

Concrètement, les chercheurs ont utilisé des pommes Granny Smith qu’ils ont soigneusement “nettoyées” pour ne garder que leur structure interne. Ce procédé, appelé décellularisation, consiste à enlever toutes les cellules du végétal, tout en préservant son architecture en trois dimensions.

Cette “matrice végétale” a ensuite été ensemencée avec plusieurs types de cellules humaines, notamment des cellules souches et des cellules issues du cartilage du nez ou de l’oreille. Ces cellules ont été cultivées dans un environnement contrôlé, un peu comme dans une mini-serre biologique, pour leur permettre de se multiplier et de se transformer en tissu cartilagineux.

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L’idée était simple : voir si ces cellules pouvaient coloniser la pomme et y produire les composants typiques du cartilage — notamment le collagène et les glycosaminoglycanes, des molécules qui assurent élasticité et résistance.

Des résultats prometteurs

Après quelques semaines de culture, les résultats ont été au rendez-vous. Les cellules humaines se sont bien accrochées à la matrice de pomme et ont commencé à produire les éléments nécessaires à la formation de cartilage. À l’œil nu, certains disques de pomme prenaient même une teinte blanchâtre, signe de la création d’un nouveau tissu.

Les analyses en laboratoire ont montré que certaines cellules, notamment celles provenant du périchondre de l’oreille, étaient particulièrement efficaces pour fabriquer du cartilage. Ces cellules ont produit beaucoup de collagène de type II — le composant clé du cartilage — tout en limitant la production de collagène de type I, moins souhaitable dans ce contexte.

Autre observation intéressante : les chercheurs ont comparé les résultats obtenus avec la pomme à ceux d’une méthode plus classique utilisant des billes d’alginate (une substance dérivée des algues). Verdict : les pommes se sont montrées aussi, voire plus performantes pour stimuler la formation d’un tissu de type cartilagineux.

Enfin, les tests ont confirmé que la matrice végétale était bien tolérée par les cellules humaines et permettait leur survie pendant toute la durée de l’expérience.

Pourquoi la pomme ?

La pomme n’a pas été choisie par hasard. Sa structure naturelle, composée de cellulose, présente une porosité et une rigidité idéales pour imiter le support d’un tissu humain. De plus, les végétaux sont abondants, peu coûteux et ne posent aucun problème éthique, contrairement aux tissus animaux. En d’autres termes, c’est un matériau écologique, économique et biocompatible. Et la variété du monde végétal offre un immense terrain d’exploration : feuilles, tiges, fruits, racines… chacun pourrait offrir une architecture adaptée à un type de tissu humain. 

Les avantages sont donc nombreux : abondance des végétaux, faible coût, biocompatibilité et réduction du recours aux tissus animaux. Cette approche ouvre la voie à de nouvelles applications en chirurgie reconstructrice, notamment pour réparer le cartilage articulaire, nasal ou auriculaire.

Au-delà des greffes, ces tissus cultivés en laboratoire pourraient également servir à modéliser des maladies et tester des traitements dans des systèmes organoïdes, réduisant ainsi le besoin d’expérimentation animale.

Et après ?

Les chercheurs du laboratoire Bioconnect poursuivent leurs travaux. Les prochaines étapes consisteront à tester ces tissus “à la pomme” sur des modèles animaux, puis, à terme, lors d’essais cliniques sur l’humain. Si les résultats se confirmaient, cette approche pourrait un jour être utilisée pour réparer des lésions du cartilage articulaire, nasal ou auriculaire. Mais aussi pour modéliser des maladies et tester des traitements dans des systèmes en laboratoire, sans recourir à l’expérimentation animale.

Comme le résume le Pr Karim Boumédiene « Cette étude représente une ouverture importante dans le domaine de l’ingénierie tissulaire pour confectionner des greffons pour la chirurgie reconstructrice, mais également pour limiter le recours aux animaux d’expérimentation. En effet, les tissus ainsi construits en laboratoire peuvent aussi avantageusement être employés pour modéliser plus efficacement les maladies in vitro et tester des traitements dans des modèles dits « organoïdes », permettant ainsi de réduire voire remplacer les tests in vivo. De plus, les tissus décellularisés issus de plantes sont tout à fait biocompatibles et au vu de la diversité du monde végétal, il serait intéressant d’investiguer d’autres végétaux pour reconstruire des tissus humains. C’est ce que nous faisons actuellement avec d’autres végétaux ! » »

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À travers cette étude inédite, l’équipe normande démontre qu’un fruit aussi banal qu’une pomme peut devenir un matériau d’avenir pour la médecine régénérative. Cette approche, à la croisée de la biologie et de la bio-ingénierie, pourrait bien transformer la façon dont nous reconstruisons les tissus humains. Ce travail du laboratoire Bioconnect ouvre une voie audacieuse : celle des biomatériaux végétaux « transformés » pour réparer, reconstruire ou modéliser des tissus humains. Une belle promesse pour la médecine de demain.

(1) L’UR 7451 BioConnect est une unité de recherche de l’université de Caen Normandie, co-dirigée par les Pr Karim Boumédiene et Catherine Baugé. Ce laboratoire développe des projets de recherche fondamentale et clinique. Les techniques utilisées sont très variées telles que biologie cellulaire, biochimie, biologie moléculaire et génétique, séquençage à haut débit, transcriptomique, modèles « petit animal ». Les thèmes de recherche s’intéressent principalement à la physiopathologie du cartilage (arthrose, douleur, tumeurs osseuses) et l’ingénierie tissulaire du cartilage. https://bioconnect.unicaen.fr/ 

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