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Détricotage massif du droit de l’environnement industriel

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Dans les décrets d’application de la loi Industrie verte publiés entre les deux tours des législatives, le gouvernement opère un détricotage massif et systématique du droit de l’environnement industriel, qui augmente significativement les risques de catastrophes industrielles. Notre Affaire à Tous, Zero Waste France et leurs antennes locales alertent sur les risques pour l’environnement et la santé des populations déjà impactées.

Alors que le gouvernement a pris, dans l’entre-deux-tours des législatives, plusieurs décrets (1) liés à la loi Industrie verte promulguée en octobre 2023, Notre Affaire à Tous, Zero Waste France et leurs antennes locales ont déposé vendredi 6 septembre des recours gracieux demandant leur annulation.

Ces décrets visent à simplifier la procédure d’autorisation environnementale, pour faciliter l’implantation de nouvelles usines. Le décret n° 2024-704 du 5 juillet 2024 permet d’accélérer certaines procédures d’urbanisme ou certaines procédures environnementales pour des projets industriels stratégiques. En clair, il veut modifier les codes de l’urbanisme et de l’environnement en vue de favoriser l’implantation des installations industrielles.
Quant au décret n° 2024-742 du 6 juillet 2024, il concerne la réduction des délais d’implantation et la libération de fonciers industriels « portant diverses dispositions d’application de la loi Industrie verte et de simplification en matière d’environnement ».

Or, pour les associations, ces textes sont illégaux et opèrent un détricotage massif et systématique des garde-fous mis en place ces dernières décennies pour prévenir les risques industriels et protéger l’environnement et les populations. Démonstration.

Un affaiblissement du principe du pollueur-payeur

En premier lieu, à l’encontre des préconisations des instances nationales et européennes (2), les décrets pris cet été minent le principe fondamental du pollueur-payeur, selon les deux ONG. Après l’explosion de l’usine AZF (3), le champ des garanties financières applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) avait été étendu afin de contraindre les entreprises à prendre en charge les frais de dépollution résultant de catastrophes industrielles (4). Or le gouvernement a décidé de supprimer les garanties financières pour les ICPE soumises à autorisation (5), pourtant les plus dangereuses.

En supprimant ces garanties, le gouvernement accroît le risque qu’en cas de pollution ou de catastrophe industrielle, les frais pour couvrir la dépollution incombent exclusivement à l’Etat, ou pire, que celle-ci ne soit pas réalisée faute de moyens”, alerte Adeline Paradeise, juriste de Notre Affaire à Tous.

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La protection des espèces fragilisée

En second lieu, la loi Industrie Verte introduit la possibilité de reconnaître de manière anticipée l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) en matière de dérogation à la réglementation sur les espèces protégées (6). Concrètement, cette initiative permet à l’entreprise de déroger plus facilement au droit des espèces protégées, et complexifie au contraire la tâche des associations de défense de l’environnement (7). Cette procédure s’applique à un très large éventail de projets industriels, et en particulier, à ceux bénéficiant de la qualification de “projet d’intérêt national majeur”. C’est le cas de la future usine de recyclage chimique des plastiques Eastman à Saint-Jean-de-Folleville (Seine-Maritime – 76) à qui le gouvernement (8) a attribué cette qualification le 5 juillet 2024, alors qu’une enquête publique était encore en cours (9).

A travers la reconnaissance anticipée de la RIIPM, la loi Industrie Verte vient acter une baisse généralisée du niveau de protection des espèces végétales et animales concernées, contraire au droit européen, qui plus est au profit de projets industriels dont l’intérêt pour la transition écologique n’est pas contrôlé”, commente Bénédicte Kjaer Kahlat, responsable juridique de Zero Waste France. “Pire, à travers cette procédure, le gouvernement prive pour une large part les collectivités territoriales et les associations environnementales de leur droit de regard et de leurs moyens d’action”.

La future usine Eastman pourrait devenir le plus grand projet au monde de recyclage chimique par solvolyse, c’est-à-dire de traitement des déchets plastiques par recours à un solvant, en l’occurrence du méthanol. Alors qu’il existe plusieurs études défavorables à ce type de technologies (10), l’installation a bénéficié de près de 100 millions d’euros de financements publics de l’ADEME et de la Région Normandie. Le projet aurait des impacts significatifs sur la biodiversité et la qualité de l’air, et comporte par ailleurs un risque élevé de dispersion de microplastiques dans l’environnement.

La décision du gouvernement, en pleine crise institutionnelle, de qualifier le projet Eastman “d’intérêt national majeur” est lourde de conséquences pour les écosystèmes et la santé humaine”, résume Bénédicte Kjaer Kahlat. “Il s’agit aussi d’une question démocratique. Les citoyen·nes et les associations doivent pouvoir participer à chaque étape de la construction des politiques publiques et y être réellement entendu·es”.

Un allègement des procédures périlleux pour les écosystèmes et la santé humaine

Enfin, les décrets dénoncés par Notre Affaire à Tous et Zero Waste France méconnaissent le principe de non-régression en matière environnementale, en allégeant les procédures et en permettant de nombreuses dérogations en matière de gestion des pollutions industrielles (11).

Le gouvernement souhaite rassurer les marchés, les investisseurs et les nouveaux exploitants par l’allègement de nombreuses mesures et procédures”, analyse Jérémie Suissa, délégué général de Notre Affaire à Tous. “Mais cela ne doit pas se faire au détriment de la protection du vivant et des milieux sujets à une forte pollution, surtout dans le contexte actuel, où les risques, en particulier industriels, pour la santé environnementale sont de plus en plus inquiétants, à l’instar du scandale des “polluants éternels””.

Cette loi Industrie verte devait permettre d’engager une réindustrialisation en France afin de développer notre souveraineté et répondre aux besoins de la transition écologique, avec pour objectif d’accompagner la décarbonation de l’industrie française et de faire de l’Hexagone le leader européen des technologies vertes. Or, selon d’autres associations (FNE, LPO, WWF, Réseau Action Climat, Humanité et Biodiversité, Surfrider, Les Amis de la Terre, la Fondation pour la Nature et l’Homme et l’UFC-Que choisir), la consultation auprès de la société civile a été bâclée. Même le Conseil d’Etat dans son avis sur le projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables rendu en septembre avait jugé sévèrement la procédure utilisée par le gouvernement : « Les consultations préalables obligatoires ont été effectuées. Les organismes consultés n’ont toutefois disposé que de très brefs délais pour rendre leurs avis et le Gouvernement comme le Conseil d’Etat n’ont disposé que de délais encore plus brefs pour les prendre en compte. La régularité formelle des consultations a été certes assurée mais l’esprit qui préside à l’obligation de consulter ne peut être considéré, dans ces conditions, comme respecté. » 

(1) Décrets n° 2024-704 du 5 juillet 2024, n° 2024-708 du 5 juillet 2024 et n° 2024-742 du 6 juillet 2024.
(2) Cour des comptes de l’UE (juillet 2021) ; Commission d’enquête sénatoriale sur les sols pollués (septembre 2020).
(3) L’explosion en 2001 à Toulouse de cette usine de fabrication d’engrais, appartenant à une filiale du groupe Total-Fina-Elf, a causé le décès de 30 personnes et plus de 8 000 personnes ont été blessées.
(4) Loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages.  
(5) Articles 57, 58, 62 et 64 du Décret n° 2024-742 du 6 juillet 2024 portant diverses dispositions d’application de la loi industrie verte et de simplification en matière d’environnement.
(6) Articles L. 300-6 du Code de l’urbanisme et L. 411-2-1 du Code de l’environnement.
(7) Plastique : en Normandie, le projet de recyclage chimique Eastman suscite l’inquiétude | Zero Waste France 
(8) Décret n° 2024-708 du 5 juillet 2024 qualifiant de projet d’intérêt national majeur l’usine de recyclage moléculaire des plastiques de la société Eastman à Saint-Jean-de-Folleville.
(9) Registre Numérique EASTMAN/CEN ST JEAN FOLLE VILLE SEINE MARITIME.
(10) Rollinson, A., Oladejo, J. (2020). Chemical Recycling: Status, Sustainability, and Environmental Impacts. Global Alliance for Incinerator Alternatives. doi:10.46556/ONLS4535 ; Greenpeace, Deception by the Numbers, septembre 2020 ; Peter Quicker, Status, potentials and risks of Chemical recycling of waste plastics – Study on the evaluation of approaches for the feedstock recycling of plastic waste – RWTH Publications.
(11) Articles 39 et 42 du Décret n° 2024-742 du 6 juillet 2024 portant diverses dispositions d’application de la loi industrie verte et de simplification en matière d’environnement.

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