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ELSA : la muse d’une Europe qui veut redevenir puissance

Tribune libre

Face à la résurgence des conflits de haute intensité et au désengagement progressif des États-Unis du théâtre européen, l’Union européenne n’a plus le luxe de la dispersion. L’initiative ELSA (European Long-Range Strike Approach), portée par la France et soutenue par plusieurs partenaires du continent, incarne cette volonté de souveraineté retrouvée. Dans un monde où la dissuasion conventionnelle redevient un pilier stratégique, l’Europe tente enfin de se doter d’une puissance de frappe à la hauteur des menaces qui l’entourent.

Depuis plus de trois ans, la guerre fait rage aux portes de l’Union européenne. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022, a marqué le retour brutal d’un conflit de haute intensité sur le continent et rappelé aux Européens la fragilité de leur sécurité collective. Dans un environnement stratégique bouleversé — où Moscou défie ouvertement l’ordre international, où les tensions s’exacerbent au Moyen-Orient et où Washington réoriente son attention vers l’Indo-Pacifique —, l’Europe se voit contrainte d’assumer seule une part croissante de sa défense. Et c’est une brutale prise de conscience : sans puissance militaire crédible, il n’y a pas de sécurité durable. 
C’est dans ce contexte d’insécurité mondiale et de recomposition géopolitique qu’a émergé en 2024 l’initiative European Long-Range Strike Approach (ELSA), lancée par la France. Son objectif : rationaliser et renforcer les capacités de frappe en profondeur des armées européennes, tout en fédérant les industriels du continent autour d’une vision commune. Plus qu’un simple projet technologique, ELSA s’impose comme un symbole politique d’autonomie stratégique et de cohésion au sein d’une Europe qui cherche encore sa place entre Washington et Moscou.
Reste à savoir si les États membres auront la volonté et la constance nécessaires pour transformer cette muse de la Base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne en véritable pilier de puissance collective.

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L’Europe n’a plus le choix : elle doit rationaliser le développement de son industrie de Défense pour faire face aux menaces extérieures. En 2024, la France a lancé l’initiative European Long-Range Strike Approach (ELSA), ralliée par ses principaux partenaires européens. Un élan à soutenir dans la durée, pour que ces projets stratégiques aboutissent.

La Défense européenne a ses talons d’Achille, mais aussi quelques atouts maîtres et autres secteurs ambitieux, comme l’a montré la 33e édition du Salon international de l’industrie de la défense (MSPO) qui s’est tenue à Kielce (Pologne) début septembre. Parmi ces secteurs, l’industrie des missiles est aujourd’hui en mesure de jouer à plein son rôle dans le réarmement de l’Europe. C’est dans cette optique que l’initiative European Long-Range Strike Approach (ELSA) apporte une réponse concrète au désengagement américain et à l’injonction de l’OTAN de voir ses membres allouer jusqu’à 5 % de leur PIB à l’effort de guerre.

Les principaux pays du Vieux continent sont tous impliqués autour d’ELSA : la France bien sûr, mais aussi l’Allemagne, l’Italie, la Pologne, le Royaume-Uni ou encore la Suède, les pays membres proposant des solutions purement nationales, ou le plus souvent des projets en coopération. Fin août par exemple, en clôture du Conseil franco-allemand de Défense et de sécurité, la France et l’Allemagne ont manifestement explicitement démontré leur intention de poursuivre leur coopération dans le domaine des capacités de frappe de précision en profondeur.

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ELSA, un élément de dissuasion

Sur le papier, l’initiative ELSA – lancée en juillet 2024 sous l’impulsion de la France – a pour but d’inciter les pays européens à approfondir et à rationaliser leur coopération technique et le partage des coûts. « Ce qui est très intéressant dans le projet ELSA, c’est qu’il s’agit d’une coalition d’États souverains, et qu’il a été réalisé sans s’enliser dans les lourdeurs administratives que l’on rencontre souvent dans des formes de coopération plus bureaucratiques. Il y a une réelle volonté d’efficacité », remarque Jean-Louis Thiériot, député et rapporteur auprès de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale.

En pratique, le champ d’action d’ELSA est vaste, et répond aux besoins opérationnels des armées européennes en matière de frappes dans la profondeur, allant de quelques dizaines à plusieurs milliers de kilomètres. Pour cette raison, ELSA serait (pas d’information publique à ce sujet) organisée en 13 piliers de développement, chacun étant confié à un acteur industriel de premier plan selon le principe du « meilleur compétent ». En France, plusieurs entreprises sont sur les rangs, comme MBDA, ou Turgis-Gaillard, en fonction des projets. Cela concerne aussi bien des lance-roquettes et des missiles destinés à appuyer la manœuvre d’une force terrestre, que des missiles à vocation opérative ou stratégique.

Pour ces derniers d’ailleurs, ELSA prend tout son sens. « Une poignée d’alliés européens possèdent actuellement des systèmes terrestres de tir de précision à longue portée, tandis que dans le domaine maritime, seuls la France et le Royaume-Uni possèdent des missiles de croisière navals d’attaque terrestre d’une portée de 1000 km, souligne l’International Institute for Strategic Studies (IISS). Le projet ELSA est potentiellement l’effort européen le plus important pour étendre sa capacité d’attaque terrestre conventionnelle jusqu’à 2000 km et peut-être au-delà. » À la lumière des retours d’expérience les plus récents, déployer des missiles capables d’atteindre les lignes ennemies en profondeur – et donc d’infliger des dégâts et de dissuader l’adversaire de mener une campagne offensive – s’est imposé aux États-majors européens.

Parmi les projets en cours, MBDA propose le LCM (Land Cruise Missile), variante terrestre du missile de croisière naval (MdCN), unique en son genre en Europe et déjà utilisé en opération. Le LCM affiche une portée de plus de 1000 km, ce qui faisait de lui, dès juin 2024, « une possible contribution à court terme pour ELSA », selon Sébastien Lecornu, le nouveau locataire de Matignon, alors ministre des Armées. Outre l’atout opérationnel qu’il représente, « le LCM peut favoriser une coopération européenne, car il y a un gros potentiel d’évolution autour du système et du missile, avance MBDA. Il peut être la première brique d’une suite d’effecteurs dotés de portées supérieures ou d’autres technologies. » Ce système pourrait intéresser la Pologne, en première ligne face à la Russie et à ce titre partenaire stratégique de la France. Au point, d’ailleurs, qu’un nouveau partenariat stratégique soit conclu, en mai dernier, entre les chefs des exécutifs, notamment concrétisé, en juillet, par une lettre d’intention au sujet d’un futur missile de croisière terrestre.

Des enjeux industriels et de souveraineté

Les projets affluent, mais tous n’ont pas le degré de maturité technique du LCM, ce qui peut expliquer l’absence de choix, à ce jour, parmi les solutions présentées. Cet attentisme peut aussi être mis au passif des gouvernements concernés, dont la communication politique tarde à se concrétiser par des choix capacitaires décisifs. Cet attentisme ne semble pas en phase avec l’urgence pourtant claironnée du moment stratégique que nous vivons, qui nécessiterait de simplifier les cycles décisionnels, pour le bien des armées et des acteurs de la BITD. À la Direction générale de l’armement (DGA), le délégué général Emmanuel Chiva ne cache pourtant pas son ambition en la matière : « Il faut simplifier nos procédures d’achat, les décentraliser, et surtout introduire un critère nouveau : la capacité à produire vite et en masse, ce qui va nous pousser à faire alliance avec des industries civiles pour concevoir des chaînes de production plus massives que ce que savent faire les professionnels de l’armement. »

Cette perspective ne peut que séduire tous les acteurs du secteur, et devrait logiquement se traduire par une nouvelle impulsion côté ELSA, d’autant que la France n’y manque pas d’atouts. À défaut, on peut craindre que l’élan s’essouffle, et que les partenaires les moins motivés se tournent vers des solutions extra-européennes… À l’instar de l’Allemagne, qui lorgne du côté de Washington pour son approvisionnement, notamment pour les missiles. Que ce soit par des livraisons directes d’équipements tels que le système Typhon, ou par des joint-ventures germano-américaines chargées de produire en Europe du matériel américain, comme celle constituée par Rheinmetall et Anduril Industries. Berlin avance comme argument une potentielle rapidité de livraison pour justifier ses choix d’approvisionnement ; Paris voit là une faille dans la nécessaire mise en place de la souveraineté européenne. D’autant que Washington est en train de réorienter son industrie vers la satisfaction prioritaire des besoins de ses armées, focalisées vers l’Extrême-Orient : les Européens feront donc la queue, comme tout le monde…

« L’immobilisme ou le relativisme ne seront pas acceptés », prévient le général Fabien Mandon, nouveau chef d’état-major des armées. Si les dirigeants européens veulent donner toutes ses chances à l’initiative ELSA d’atteindre ses objectifs, ils devront donc afficher une volonté politique sans faille, pour continuer sur la trajectoire initiée en juillet 2024. Car les industriels français – et européens en général – ont toutes les cartes en main sur le plan technologique. Moyennant une direction politique ferme, l’initiative ELSA a donc tout pour devenir une architecture – technique et financière – sur laquelle les fabricants européens pourront s’appuyer pour accélérer la mise à disposition des armées européennes des solutions technico-opérationnelles les plus adaptées.

Alice Moreau, Chroniqueuse invitée UP’ Magazine

Photo d’en-tête : Missiles de l’entreprise MBDA

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