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The neurons of morality

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Violence, agressivité, atteinte à l’ordre moral, criminalité, terrorisme… Tous ces comportements déviants auraient-ils leur origine dans le cerveau ? Pour le savoir, la méthode de choix serait-elle l’imagerie par IRM qui permet désormais de voir le cerveau en marche, sans avoir à ouvrir la boîte crânienne ? Certes les neurosciences apportent leur concours avec de nouveaux outils de diagnostic thérapeutique, notamment avec les interfaces cerveau ordinateur et les données de notre cerveau sont de plus en plus accessibles. Peut-on dépister des futurs criminels par IRM ? Comment mesurer les aptitudes morales ?
 

Dans une publication de la revue médicale « The Lancet » (Feuillet 2007), un cas exceptionnel a été décrit par des médecins français concernant un patient venu en consultation à l’hôpital de la Timone à Marseille. Cet homme de quarante-quatre ans, marié, père de deux enfants et menant une vie professionnelle normale, se plaignait d’une sciatique. L’imagerie cérébrale par IRM a révélé que son crâne était essentiellement rempli de liquide intracrânien (céphalorachidien) et que son cerveau formait une mince couche aplatie sur les parois du crâne. Il s’est avéré que ce patient souffrait d’hydrocéphalie à la naissance. Cette anomalie est classiquement soignée par la pose d’un drain qui permet d’évacuer le liquide en excès. Or le drain s’est bouché et progressivement la pression du liquide a fini par refouler le cerveau sur les parois de la boîte crânienne. Le tout s’est passé sans aucune conséquence dans la vie du patient qui ne s’est jamais douté de rien !
 
Dans l’état actuel de nos connaissances, les neurobiologistes sont bien en peine d’expliquer comment un cerveau largement déformé est capable d’assurer toutes les fonctions d’un cerveau normal. On est bien loin de la vision classique d’un cerveau divisé en territoires, chacun spécialisé dans une fonction.
Le cas du patient hydrocéphale est particulièrement révélateur de la « plasticité cérébrale » qui permet au cerveau humain de s’adapter aux évènements de l’environnement (May 2011, Vidal 2010, 2015). Il apporte aussi la démonstration que les capacités mentales ne dépendent pas directement de la forme du cerveau, ni de l’épaisseur du cortex. Il s’agit d’un résultat fondamental qui montre que la présence de particularités anatomiques dans le cerveau ne permet pas de prédire le devenir d’un sujet, qu’il soit jeune ou adulte. Nul doute que si les images du cerveau du patient hydrocéphale avaient été connues dans son enfance, il aurait reçu l’étiquette de futur handicapé mental avec les conséquences néfastes de stigmatisation que l’on peut imaginer (Giampino et Vidal 2009).
 

A la recherche des neurones du sens moral

La question des relations entre la structure et le fonctionnement du cerveau revêt une importance particulière dans le contexte actuel où les neurosciences sont de plus en plus convoquées pour expliquer les comportements humains et leurs « déviations ». La démarche n’est pas nouvelle. Au XIXe siècle, Cesare Lombroso fondait la criminologie scientifique. Il prétendait repérer les criminels à partir des traits anatomiques du visage et du crâne. La science venait au secours de la justice… (Gould 1997).
Où en est-on au XXIe siècle ? La même quête anime toujours certains chercheurs, en particulier aux Etats-Unis où la lutte contre la délinquance et le terrorisme est une priorité nationale. Certes, le vocabulaire et les méthodes ont changé. On ne parle plus de criminalité mais de psychopathie anti-sociale, tandis que l’imagerie cérébrale a remplacé l’analyse des faciès et des bosses du crâne.
 
Violence, agressivité, atteinte à l’ordre moral, criminalité, terrorisme… tous ces comportements déviants auraient-ils leur origine dans le cerveau ?
D’après les neuroscientifiques américains spécialistes du « syndrome antisocial », la réponse est oui. Leur conviction s’appuie sur des travaux consacrés à la recherche des zones cérébrales impliquées dans le jugement moral (Moll 2005). Le but est d’identifier les circuits de neurones qui sous-tendent l’évaluation du bien et du mal et de là, les attitudes pro- et antisociales. Pour ce faire, les chercheurs ont recours à l’imagerie cérébrale par IRM. Mais comment s’y prendre pratiquement pour mesurer les aptitudes morales ?
 
L’expérimentation en IRM impose en effet que le sujet reste strictement immobile dans la machine, avec la tête enserrée dans un casque muni d’un écran vidéo, le tout dans un environnement sonore proche du marteau piqueur… Joshua Greene, un leader dans le domaine, a développé des tests spécialement adaptés à l’IRM. Dans un article fameux publié dans la revue « Science » (Greene 2002), Greene nous décrit son expérience princeps sur le « Dilemme du Trolley ». Le sujet allongé dans la machine voit le film vidéo d’un trolley incontrôlé qui, s’il continue sa route, va écraser cinq personnes présentes en aval sur la voie de chemin de fer. Dans la situation A, le sujet peut virtuellement agir sur un aiguillage pour dévier le trolley sur une voie où se trouve une seule personne qui sera immanquablement écrasée. Dans la situation B, le sujet peut lui-même pousser une personne sur la voie pour stopper à temps le trolley et sauver les cinq autres situées en aval de la voie. Que se passe-t-il donc dans le cerveau du sujet soumis à un tel dilemme ? Pour la situation A, moralement acceptable, on voit s’activer les régions cérébrales impliquées dans le raisonnement cognitif. Mais s’agissant de la situation B, déclarée par le sujet contraire à sa morale, ce sont les zones de l’émotion qui s’activent davantage.
Greene conclue que son expérience (réalisée en tout sur 9 personnes) apporte la démonstration d’une base neuronale associant cognition et émotion dans le jugement moral. Pour lui, l’être humain serait doté d’un « instinct moral affectif qui aurait été sélectionnée au cours de l’évolution pour limiter la violence interpersonnelle ». Et si cette capacité cérébrale est défaillante (pour des raisons génétiques par exemple) le risque est sérieux de voir le sujet adopter un comportement antisocial, ouvrant la voie à la délinquance…
 

Agressivité, délinquance, violence : une affaire de cerveau ?

Greene est loin d’être seul à défendre ces conceptions. Jorge Moll, un autre spécialiste de la morale analysée par IRM, écrivait en 2005 dans la revue « Nature » (Moll 2005) : « Le comportement antisocial, l’insanité morale, la violation de l’ordre moral, la pédophilie, ne peuvent être réduits à des facteurs culturels car ils se sont toujours manifestés dans l’histoire et quelque soient les cultures. Les bases neurobiologiques du comportement antisocial sont attestées par les études d’imagerie par IRM (…) La science de la cognition morale permettra d’améliorer la détection, la prédiction et le traitement des troubles des conduites ».
 
Le nombre des publications sur ces thèmes explose, principalement aux Etats-Unis. De 70 articles publiés entre 1990 et 2000, on est passé à plus de 2000 entre 2000 et 2015 (Sources : Bases de données Medline / PubMed).
Des colloques internationaux consacrés à la « Neurobiologie des valeurs humaines » sont régulièrement organisés. Les sujets abordés ne manquent pas d’ambition : jugement moral, sens du bien et du mal, vérité et mensonge, comportement anti-social, empathie, etc.
 
Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas de l’utilisation croissante de l’imagerie cérébrale par IRM dans les cours de justice (Mobbs 2007). A ce jour, plus de 600 cas ont été répertoriés aux États-Unis pour lesquels des images IRM ont été introduites au niveau pénal comme élément de preuve pour évaluer la responsabilité et la dangerosité d’un prévenu. Le sujet des applications juridiques des neurosciences est devenu une thématique de recherche à part entière dénommée « Neuroloi » (Neurolaw). Elle est l’objet d’importants programmes de financement associant les universités et l’administration américaine.
 

MRI for better or for worse.

Force est de constater que le recours à l’IRM pour « lire dans les pensées » est de plus en plus présenté (par les médias et par les scientifiques eux-mêmes) comme un « fait » et non plus comme un fantasme (Charmak 2015, Choudhury 2009, Racine 2010). Or la réalité des connaissances sur le cerveau est toute autre. Un apport majeur de l’IRM est d’avoir révélé les propriétés de plasticité du cerveau qui se façonne en fonction de l’histoire vécue par chacun (May 2011, Vidal 2010, 2015). Au cours des apprentissages et des expériences, la structure intime du cerveau se modifie avec la fabrication de nouvelles connexions entre les neurones. Notre vision du cerveau est désormais celle d’un organe dynamique qui évolue tout au long de la vie.
 
Le concept de plasticité est fondamental à considérer pour l’interprétation les images par IRM. Voir s’activer des prétendus « circuits de la morale » ne signifie pas qu’ils sont inscrits dans le cerveau depuis la naissance, ni qu’ils y resteront gravés. En fait, L’IRM donne un cliché instantané de l’état du cerveau d’une personne à instant t et rien de plus. Elle n’apporte pas d’information sur son passé. Elle n’a pas non plus de valeur prédictive de futurs comportements. En réalité, les images du cerveau peuvent nous dire comment on pense, mais pas à quoi, et encore moins pourquoi.
 
Or, malgré l’avancée des connaissances sur la plasticité cérébrale, l’idée d’un déterminisme biologique des aptitudes et des comportements, qui seraient câblés à la naissance dans le cerveau et immuables est toujours bien vivace (Kahn 2007).
Cette idéologie qui évacue les déterminants psychologiques et sociologiques est bien commode pour permettre aux politiques de s’exonérer de la responsabilité du malaise des jeunes et de la violence sociale. Ainsi, les comportements « hors normes » des enfants ou des adultes seraient le reflet d’anomalies spécifiques de circuits neuronaux. L’IRM permettrait de les détecter, pour ensuite les corriger grâce à des traitements pharmacologiques… (voir Giampino et Vidal 2009).
 
C’est bien vite oublier que l’être humain, de la naissance à l’âge adulte, ne se réduit pas à une machine cérébrale programmée pour assurer des actions et des comportements (Jacob 1981). C’est dans la relation avec le monde et avec les autres humains que se forge la personnalité et que se structure la pensée. Rien n’est jamais figé ni dans le cerveau, ni dans les idées. Comme l’exprimait à sa façon le peintre Francis Picabia, « notre tête est ronde pour permettre à la pensée de changer de direction ».
 
 
Dernier livre de Catherine Vidal : « Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? » – Edition Belin, 2017
 
Références bibliographiques :
 
Charmak B et Moutaud B 2014  Neurosciences et Société, Paris, Armand Colin
Choudhury S, Nagel S and Slaby J 2009   « Critical neuroscience: Linking neuroscience and society through critical practice », in Biosocieties, 4 : 61-77.
Feuillet, H. Dufour and J. Pelletier – 2007 « Brain of a white-collar worker » Lancet, 307: 262
Giampino S et Vidal C – 2009  « Nos enfants sous haute surveillance », Evaluations, dépistages, médicaments – Paris, Ed. Albin Michel
Gould S J – 1997 La mal-mesure de l’homme, Paris, Odile Jacob, nouvelle édition.
Greene J et al – 2002 « An fMRI investigation of emotional engagement in moral judgment », Science, vol 293
Jacob  François – 1981 « Le jeu des possibles », Paris, Fayard
Kahn A 2007       L’homme, ce roseau pensant, Paris, Odile Jacob
May A – 2011 Experience-dependent structural plasticity in the adult human brain, Trends in Cognitive Sciences, 15: 475-82.
Mobbs D et al.,  – 2007 Law, responsibility and the brain, Plos Biology,  5 : 17-23
Moll J et al.  – 2005 « The neural basis of human moral cognition « Nature reviews Neuroscience, vol 6
Racine E, Waldman S, Rosenberg J  and  Illes J – 2010 Contemporary neuroscience in the media , Social Science & Medicine, 71 : 725-733.
Vidal C – 2010  Le cerveau évolue-t-il au cours de la vie ?,  Paris, Le Pommier
Vidal C – 2015  Nos cerveaux, tous pareils, tous différents ! Paris, Belin, collection Egale à Egal
 

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