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Erwan Ruty et le travaillisme écologique : une écologie populaire en débat

Et si l’avenir de l’écologie passait par la reconquête des classes populaires ? C’est le pari d’Erwan Ruty dans Pour un travaillisme écologique, publié aux éditions de L’Aube. L’auteur signe un manifeste qui entend sortir l’écologie de son isolement élitaire. Face à la montée des populismes et à l’urgence climatique, il propose de refonder un projet politique centré sur les classes populaires, les territoires oubliés et la souveraineté industrielle. À rebours d’une écologie trop souvent métropolitaine et abstraite, il dessine les contours d’un projet politique qui veut replacer paysans, ouvriers et artisans au cœur de la transition. Une ambition qui résonne dans un contexte de crise sociale et de montée des extrêmes, mais qui n’échappe pas aux contradictions.

À l’heure où la crise écologique s’aggrave et où les fractures sociales se creusent, la question d’une écologie véritablement partagée par le plus grand nombre est devenue cruciale. Trop souvent perçue comme une affaire d’urbains diplômés ou de militants éloignés des préoccupations quotidiennes, elle peine à s’enraciner dans les classes populaires, celles pourtant qui subissent le plus durement les conséquences du dérèglement climatique et de la mondialisation économique. C’est à ce défi qu’Erwan Ruty s’attaque dans Pour un travaillisme écologique, en défendant une idée forte : la transition ne pourra réussir que si elle devient un projet social et industriel porté par celles et ceux qui produisent et qui vivent dans les territoires délaissés par la mondialisation.

Redonner au peuple un rôle central

Le livre se distingue d’abord par la clarté de sa proposition : il ne s’agit pas seulement de protéger la nature en invoquant « le vivant » de manière abstraite, mais de défendre simultanément les hommes et les territoires, en redonnant aux populations un rôle actif dans la construction de l’avenir. Ruty imagine ainsi l’émergence d’une classe sociale écologique manufacturière, socle d’une économie de crise capable de faire face aux bouleversements à venir. Cette classe s’appuierait sur les savoir-faire manuels, les métiers techniques, l’artisanat et les pratiques agricoles, autant de ressources souvent négligées par un discours écologiste trop centré sur les métropoles et les innovations technologiques.

Périphéries et alliances sociales

L’originalité de son approche réside aussi dans la valorisation des périphéries : campagnes, banlieues et petites villes deviennent des lieux stratégiques de la transition, non pas en marge du projet, mais au cœur de sa réussite. Ce renversement de perspective permet de dessiner de nouvelles alliances sociales entre les classes populaires et certaines franges créatives ou précarisées du monde urbain, rompant avec les clivages traditionnels. Il s’accompagne d’outils politiques concrets : relocalisation des productions essentielles, planification écologique, protectionnisme solidaire, réindustrialisation sélective et territorialisée.

Une doctrine plutôt qu’un simple constat

L’essai se distingue ainsi de nombreux discours écologistes en refusant la seule logique du constat ou de l’alerte. Il construit une doctrine, qui conjugue justice sociale et urgence écologique, en inscrivant l’écologie dans une perspective de long terme. Cette ambition est l’une des grandes forces de l’ouvrage : il permet d’imaginer une transition crédible, articulée autour des besoins concrets des populations, et donc susceptible de gagner en légitimité politique.

Ce projet n’est cependant pas sans contradictions lorsqu’on le confronte à d’autres penseurs de l’écologie contemporaine. Bruno Latour, par exemple, rappelait que la crise ne se résout pas seulement par la réorganisation sociale et industrielle, mais par une transformation radicale de notre rapport à la Terre et au vivant. Dans cette perspective, l’accent mis par Ruty sur la relocalisation et la planification pourrait sembler trop productiviste et insuffisamment attentif à la nécessité de repenser nos limites. De leur côté, des voix comme Aurélien Barrau ou Dominique Bourg insistent sur l’échelle globale de la crise : une écologie trop centrée sur les territoires risquerait de virer au repli national, alors que seule une coopération internationale peut répondre à l’urgence climatique. Les penseurs décroissants, tels Serge Latouche ou Timothée Parrique, vont encore plus loin en soulignant que l’idée même de créer une « classe manufacturière écologique » reste enfermée dans une logique industrielle ; pour eux, il faudrait plutôt accepter une décroissance matérielle et réduire la production au lieu de la réinventer. Enfin, l’« écologie-monde » d’Andreas Malm ou de Jason W. Moore rappelle que sans affrontement direct avec le capital fossile et financier, toute relocalisation risque de n’être qu’un aménagement du système existant, trop timide face à la brutalité des logiques globales.

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Les défis de mise en œuvre

Ces critiques éclairent les difficultés déjà présentes dans le projet. La relocalisation industrielle, aussi séduisante soit-elle, suppose des investissements massifs et une transformation profonde des institutions économiques et politiques. Elle risque de se heurter aux logiques globalisées des marchés, aux résistances des grandes entreprises et aux habitudes de consommation ancrées. Le recours à la notion de « peuple », s’il a une force mobilisatrice, demeure fragile : dans une époque traversée par le populisme, il peut facilement être récupéré ou détourné. Enfin, la temporalité de la transition pose question : alors que l’urgence écologique exige des mesures immédiates, la reconstruction d’un tissu productif territorial prend du temps, au risque de créer un décalage difficile à gérer.

Un horizon politique et démocratique

Malgré ces objections, le livre constitue une contribution précieuse au débat actuel. En redonnant aux classes populaires un rôle central, il trace une voie possible pour une gauche et une écologie en quête de nouvelles bases sociales. L’essai démontre que l’écologie ne doit pas être punitive ni culpabilisante, mais protectrice et inclusive, fondée sur la dignité du travail, la souveraineté des territoires et l’équité sociale. C’est un projet qui a le mérite de poser la question de l’acceptabilité sociale de la transition et de rappeler que sans l’adhésion du plus grand nombre, aucune transformation durable n’est possible.

Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution en temps de crise. » Bertolt Brecht

Si Pour un travaillisme écologique trace une voie possible pour réconcilier justice sociale et urgence environnementale, son intérêt principal est sans doute d’obliger à penser la transition dans un monde où les forces populistes, à gauche comme à droite, gagnent du terrain. L’ambition d’Erwan Ruty d’ancrer l’écologie dans les classes populaires est séduisante, mais elle s’écrit dans un monde dans lequel les logiques populistes redessinent sans cesse le paysage politique. Dans ce contexte, la transition n’est pas seulement un projet de société : elle devient un terrain de confrontation où s’affrontent des visions antagonistes. Car le risque est grand de voir l’appel à la protection des peuples se muer en justification d’une écologie identitaire, fermée et autoritaire, où la relocalisation se confondrait avec le repli et où la défense des territoires s’accompagnerait de l’exclusion de certains. La transition pourrait alors devenir un prétexte pour légitimer des politiques de contrôle, de restriction et de hiérarchisation entre les populations, trahissant son projet initial d’émancipation. Le livre de Ruty a le mérite d’ouvrir un espace de débat en posant la question de l’écologie populaire, mais il laisse en suspens un problème crucial : dans un monde de plus en plus fracturé, comment empêcher que la promesse d’une écologie protectrice ne se retourne contre elle-même et ne devienne l’instrument d’une nouvelle forme d’autoritarisme vert ? Comment construire une écologie populaire sans qu’elle bascule dans les pièges du populisme, comment la rendre universelle sans l’arracher à ses ancrages territoriaux, et surtout comment en faire une force politique suffisamment fédératrice pour résister aux fractures démocratiques qui s’annoncent ?

Et c’est précisément dans ce risque que réside l’urgence d’une écologie démocratique et offensive. Si la transition ne veut pas être confisquée par des forces identitaires ou autoritaires, elle doit être conçue comme un processus de réappropriation collective, reposant sur des institutions transparentes, une redistribution équitable et une capacité à faire dialoguer territoires, cultures et classes sociales. Autrement dit, une écologie qui protège sans exclure, qui planifie sans contraindre, qui relocalise sans se fermer au monde. Le défi est immense : il ne s’agit plus seulement de sauver le climat, mais de défendre l’idée même de démocratie dans une époque de crises. C’est dans ce combat que le travaillisme écologique pourra, ou non, trouver sa véritable légitimité.

Livre « Pour un travaillisme écologique. Comment la transition pourrait protéger les peuples » d’Erwan Ruty – Éditions de l’aube, 2 septembre 2025

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