Être, faire et avoir. Penser la sobriété matérielle par la justice sociale, de Valérie Guillard – Éditions Actes sud / Collection Système Terre (nouvelle collection *), 3 septembre 2025 – 64 pages
Que pouvons-nous faire ensemble pour cesser de détruire la Terre qui nous permet d’exister ? Si la sobriété des modes de vie est une, voire LA voie, avons-nous toutes et tous les possibilités concrètes d’agir dans ce sens ?
Dans ce bref essai de 94 pages, Valérie Guillard mobilise un cadre philosophico-politique, issu notamment des travaux d’Amartya Sen sur les capabilités, pour interroger comment une société peut accéder à une sobriété matérielle juste. Pour nourrir ses réflexions, elle a choisi de commenter un texte de la philosophe américaine, Debra Satz, qui discute les travaux de l’économiste et philosophe Amartya Sen.
Le titre met en lumière trois dimensions centrales :
- Être : position identitaire, valeurs, posture individuelle.
- Faire : les actions concrètes possibles.
- Avoir : la possession matérielle, les ressources à disposition.
Le propos est transversal : individus, territoires, entreprises, organisations politiques sont tous appelés à participer à cette réflexion collective.
Sobriété et justice sociale
Guillard insiste sur le fait que la sobriété ne peut pas être imposée uniformément : elle dépend des ressources physiques, symboliques, économiques, émotionnelles, sociales, politiques, etc., dont disposent les individus ou les groupes. En d’autres termes, vouloir consommer moins ne suffit pas : encore faut-il que les moyens existent et que la société organise la transition équitablement.
Cadre théorique des capabilités d’Amartya Sen
Le recours à la théorie des capabilités permet de dépasser une approche normative (je dois me restreindre) pour privilégier une perspective empowerment : quels sont les « faire » que chacun peut réellement exercer, quels sont les « être » qu’on peut être dans des contextes différents ? Cette grille invite à repenser les politiques publiques et les structures économiques autour des libertés réelles à vivre sobrement.
Approche empirique et concrète
Valérie Guillard, spécialiste de la psychologie du consommateur et du gaspillage, apporte une dimension empirique forte à son essai. Elle s’appuie notamment sur ses travaux antérieurs sur la consommation d’objets de seconde main, le gaspillage, ou encore des initiatives comme le défi « Rien de neuf », pour décrire les obstacles concrets à la sobriété (pressions sociales, manque d’alternatives accessibles, etc.)
Dimension collective
Au‑delà de l’individu, l’auteur souligne que la sobriété est un projet collectif : elle engage les communautés, les entreprises, les territoires, et implique des choix politiques et institutionnels. L’essai explore ainsi ce que chacun — au sens élargi — peut faire ensemble pour cesser de dégrader la planète qui nous accueille.
L’ouvrage présente une grande clarté et une belle concision : en quelques dizaines de pages, Guillard développe une réflexion dense, structurée par le fil directeur du triptyque être-faire-avoir, permettant à la fois une rigueur théorique (capabilités, justice sociale) et une forte ancrage concret. Publié à une période où écologie et inégalités se croisent de plus en plus dans les débats publics, le livre propose des outils de réflexion utiles pour penser une transition équitable. Le livre offre un équilibre entre théorie et empirisme : la démarche combine des idées philosophiques solides avec une sensibilité aux réalités sociales (gaspillage, contraintes de vie réelle, psychologie des consommateurs).
Le format est très court, mais l’ambition est grande. Certains lecteurs pourraient souhaiter plus d’exemples approfondis, d’analyses de politiques publiques ou d’études de cas sur les territoires et entreprises. Le style académique et le recours aux concepts de justice sociale et capabilités pourraient rendre le propos plus accessible à un public universitaire ou engagé, et moins à un lectorat généraliste sans background en sciences sociales.
Être, faire et avoir est un essai stimulant et bienvenu, qui propose une approche nuancée de la sobriété matérielle, ancrée dans la justice sociale. Valérie Guillard réussit à conjuguer une réflexion philosophique inspirée des capabilités d’Amartya Sen avec une conscience aiguë des freins concrets que rencontrent les individus. Le livre incite à penser la sobriété non pas comme une contrainte abstraite, mais comme un projet collectif, mobilisant acteurs divers autour d’un objectif commun : cesser de dégrader le système Terre.
Valérie Guillard est professeure à l’université Paris Dauphine-psl. Ses recherches portent sur les pratiques de possession, dépossession, non-possession à l’égard des objets afin de comprendre la relation des consommateurs aux déchets, au gaspillage et à la sobriété matérielle. Elle a coordonné différents projets de recherche financés par l’ademe. Son ouvrage Garder à tout prix. Décryptage d’une tendance très tendance (Vuibert, 2013) a obtenu le prix fnege, et Du gaspillage à la sobriété. Avoir moins et vivre mieux ? (De Boeck, 2019) le prix hec Pépites du jury Grand Prix.
Elle habite la région parisienne.
*La nouvelle collection Système Terre des éditions Actes sud
La collection « Système Terre — climat, biosphère, société » a été créée pour conjuguer les trois dimensions de notre monde. Elle est dirigée par Nathanaël WALLENHORST. Ses objectifs :
- Republier un article scientifique fondateur paru dans une grande revue scientifique pour le mettre à la disposition du plus grand nombre ;
- Inviter un spécialiste, un universitaire, un essayiste ou un intellectuel, à commenter l’article, afin d’expliquer son apport à la pensée contemporaine sur les questions du changement climatique ;
- Mettre les savoirs du système Terre au cœur de la Cité.
Les sociétés humaines sont tributaires des glaciers, de la Grande Barrière de corail, des calottes glaciaires arctique et antarctique, des forêts du bassin amazonien comme des forêts tropicales africaines, mais aussi du Gulf Stream ou encore du permafrost… La vie humaine en société, nos existences mêmes, sont tissées de ces mille fils qui nous relient au système Terre.
Ces fils sont à comprendre, entretenir, régénérer.
Les savoirs contemporains sur le système Terre (tant biogéophysiques que sociopolitiques) sont encore très largement inconnus. Trop peu nombreux sont les citoyens en mesure d’expliciter les articulations entre le climat, la biosphère et les sociétés, les trois ensembles imbriqués du système Terre dont les processus respectifs (emballement, effondrement, accélération) sont structurants pour l’avenir. L’ampleur de cette méconnaissance est en partie explicative de notre mollesse (citoyenne, politique, économique) dans la vitale rupture avec nos modes de vie et notre modèle économique.
Elle ouvre la porte à plusieurs menaces telles que : l’illusion d’adaptation de nos sociétés au dérèglement bioclimatique sur fond de renoncement à son atténuation ; le déploiement de politiques de transition qui ne cherchent pas tant à contenir l’emballement bioclimatique qu’à greenwasher ; le désir d’expérimentation de dispositifs de géo-ingénierie ; ou encore la fragilisation des démocraties par les replis identitaires et la montée en puissance de régimes autoritaires.
Cette collection cherche à mettre les savoirs du système Terre au cœur de la Cité.






