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Gouverner le climat par la donnée : ce que révèle (et ce que masque) la nouvelle base mondiale des politiques climatiques

Comment comparer, analyser et améliorer les politiques de lutte contre le changement climatique à l’échelle mondiale ? Le Forum inclusif sur les approches d’atténuation des émissions de carbone vient de publier la première édition de sa base de données sur les politiques climatiques, un outil inédit par son niveau de détail et de comparabilité. Couvrant déjà 38 pays et quelque 1 600 instruments d’action, cette base de données vise à renforcer l’apprentissage mutuel entre États et à optimiser l’impact global des stratégies de réduction des émissions. Présentée comme un outil inédit de transparence, cette première base de données ambitionne de mieux comparer les stratégies de réduction des émissions à l’échelle internationale. Mais derrière la promesse de neutralité technique et d’efficacité, cette initiative soulève des questions plus profondes : que mesure-t-on réellement, qui fixe les cadres de comparaison, et quelle vision de la transition écologique est ainsi rendue légitime ?

La publication de la première édition de la base de données sur les politiques climatiques du Forum inclusif sur les approches d’atténuation des émissions de carbone marque une étape importante dans la gouvernance internationale du climat. En recensant près de 1 600 instruments de politique publique dans 38 pays, l’outil se présente comme un levier majeur pour améliorer la compréhension et l’efficacité des actions climatiques. Elle s’appuie sur la typologie du Forum inclusif adoptée l’année dernière par ses membres, qui permet pour la première fois aux pays de classer les politiques d’atténuation du changement climatique de manière cohérente et comparable.
Rappelons que le Forum inclusif sur les approches d’atténuation des émissions de carbone est une initiative conçue pour aider à améliorer l’impact mondial des efforts de réduction des émissions dans le monde grâce à un meilleur partage des données et de l’information, à l’apprentissage mutuel fondé sur des données probantes ainsi qu’au dialogue multilatéral inclusif. Il rassemble toutes les perspectives politiques pertinentes d’un large éventail de pays du monde entier, participant sur un pied d’égalité, pour faire le point et examiner l’efficacité des différentes approches d’atténuation, et explorer des approches interopérables pour mesurer l’intensité carbone des produits.

« Cette nouvelle base de données phare du Forum inclusif sur les politiques climatiques s’inscrit dans le cadre des efforts plus vastes déployés par l’OCDE pour contribuer à optimiser les retombées globales des initiatives de réduction des émissions prises par des pays du monde entier, grâce au partage de données et d’informations, à l’apprentissage mutuel fondé sur des données probantes et au dialogue multilatéral », a déclaré le Secrétaire général de l’OCDE, Mathias Cormann, lors du lancement de la base de données. « Il offre aux responsables publics de nouvelles données et informations comparables sur les différentes approches d’atténuation des émissions de carbone adoptées par des pays du monde entier. Grâce à cette base de données, nous fournirons des informations systématiques, exhaustives et granulaires, pour aider les pouvoirs publics à appréhender toutes les options envisageables lorsqu’ils décident de la meilleure approche à adopter pour réduire les émissions dans leur juridiction. Au fil du temps, cet apprentissage mutuel fondé sur des données probantes et le dialogue multilatéral concernant la réduction au minimum des retombées transnationales négatives des différentes approches, ainsi que la maximisation de leurs effets transnationaux positifs, contribueront à optimiser l’impact global des efforts déployés par les différents pays en termes de réduction des émissions à l’échelle mondiale. »

Comme tout dispositif de mise en données, cette base n’est pas un simple miroir de la réalité. Elle participe à la façon dont les politiques climatiques sont définies, comparées et, in fine, jugées. Interroger ses fondements et ses usages est donc indispensable.

Quand classer, c’est déjà décider

Au cœur de la base de données se trouve une typologie commune des politiques climatiques, adoptée par les membres du Forum inclusif et présentée comme un préalable indispensable à toute comparaison internationale. Cette harmonisation est souvent présentée comme un progrès technique. Elle est aussi, inévitablement, un acte politique. Elle permet indéniablement de gagner en clarté et en cohérence. Mais elle repose sur des choix implicites qui orientent la lecture de la transition écologique.

Classer les politiques, c’est sélectionner des catégories, hiérarchiser des instruments et définir ce qui est considéré comme une « bonne » politique climatique. Les outils économiques — fiscalité carbone, subventions, marchés de quotas — occupent une place centrale, car ils sont plus facilement codifiables et mesurables. À l’inverse, les transformations culturelles, sociales ou territoriales, comme la sobriété, les changements de modes de vie ou les conflits d’usage autour des ressources, restent marginales ou absentes. Cette asymétrie contribue à légitimer une vision de la transition principalement technico-économique, au risque de réduire la complexité des transformations nécessaires. Sous couvert de neutralité, la base tend ainsi à privilégier une certaine conception de l’action climatique : instrumentale, technicienne et compatible avec les cadres économiques existants.

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Décrire des politiques n’est pas mesurer leur impact

La précision revendiquée et donc la richesse de la base de données – plus de 10 000 sous-dispositifs recensés – impressionne. Pourtant, cette granularité descriptive ne doit pas masquer une limite fondamentale : la base documente l’existence et la conception des politiques, non leur efficacité réelle. Une multiplication d’instruments ne garantit ni une réduction effective des émissions, ni une transition juste socialement. Les écarts entre annonces, mise en œuvre et résultats concrets restent largement invisibles dans un outil centré sur la conception des mesures. Le risque est alors de confondre sophistication réglementaire et performance climatique.

En ce sens, la base de données éclaire davantage le « comment » des politiques que leur « pour quoi » et leur « avec quels effets ». 

La comparaison internationale, un exercice à haut risque politique

Comparer les politiques climatiques à l’échelle mondiale est une entreprise séduisante, mais profondément délicate. Les pays diffèrent par leur niveau de développement, leur structure économique, leur mix énergétique et leurs capacités institutionnelles. Une même mesure peut avoir des implications très différentes selon les contextes nationaux.

La base de données tend à gommer ces asymétries au nom de la comparabilité. Ce faisant, elle peut produire des hiérarchies implicites entre pays « performants » et « en retard », souvent corrélées à leur capacité administrative plus qu’à leurs efforts réels. Cette logique comparative peut renforcer des rapports de pouvoir existants dans les négociations internationales et alimenter des formes de jugement normatif, sous couvert d’objectivité technique. Ce qui est présenté comme un outil d’apprentissage mutuel peut ainsi devenir un instrument de pression ou de normalisation.

Le pouvoir discret de la donnée climatique

Au-delà de l’analyse, la base de données confère un pouvoir particulier à ceux qui la produisent, la contrôlent et l’interprètent. En devenant un référentiel partagé, elle est susceptible d’influencer les décisions de financement, les conditionnalités des aides internationales et les orientations des politiques publiques nationales.

La donnée climatique n’est pas qu’un outil d’information : elle devient un instrument de gouvernance. Elle peut orienter les choix sans passer par un débat politique explicite, en définissant ce qui est considéré comme rationnel, efficace ou acceptable. Ce pouvoir discret pose la question de la responsabilité démocratique et de la transparence des critères qui sous-tendent la production de ces données.

En fournissant un référentiel commun, la base peut influencer les priorités d’investissement, conditionner des financements ou orienter les réformes nationales. Elle participe ainsi à une gouvernance climatique où la donnée devient un outil de pilotage, parfois au détriment du débat démocratique et des choix politiques assumés.

Une transition dépolitisée ?

En réduisant la transition climatique à un ensemble d’instruments comparables, la base de données tend à occulter les dimensions sociales, conflictuelles et démocratiques de l’action climatique. Les effets redistributifs, l’acceptabilité sociale, les résistances locales ou les arbitrages entre climat et autres priorités publiques restent largement hors champ. 

Or la transition écologique est fondamentalement politique. Elle implique des choix de société, des redistributions et des renoncements. En réduisant ces enjeux à des configurations d’instruments comparables, le risque est de dépolitiser la transition et de la présenter comme un simple problème d’optimisation technique, alors qu’elle suppose un débat démocratique profond sur les trajectoires souhaitables.

Un outil utile, mais pas innocent

Il serait erroné de rejeter cette base de données en bloc. Elle apporte une transparence bienvenue, facilite le partage d’informations et peut soutenir des politiques climatiques plus cohérentes. Mais elle ne doit pas être considérée comme un outil neutre ou exhaustif.

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La question essentielle n’est pas seulement de savoir ce que cette base montre, mais ce qu’elle rend visible — et invisible. En structurant la manière dont les politiques climatiques sont pensées et comparées, elle contribue à définir, implicitement, ce que signifie « bien agir » pour le climat. À l’heure où l’urgence climatique appelle des transformations profondes, il est crucial de ne pas confondre gouverner par la donnée et gouverner par le débat, la délibération et le choix politique éclairé.

Voir la Nouvelle base de données du Forum inclusif et son tableau de bord (uniquement en anglais)

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