L’épidémie de grippe s’installe officiellement sur l’ensemble du territoire français, plus tôt que l’an dernier. Alors que les indicateurs continuent de grimper dans toutes les classes d’âge, l’Institut Pasteur renforce cette saison sa surveillance avec un nouvel outil de modélisation destiné à anticiper le pic épidémique. Un enjeu de santé publique majeur, car si la grippe est souvent bénigne, elle peut être grave, voire mortelle, chez les personnes les plus fragiles.
La grippe gagne tout le territoire français
La progression de la grippe saisonnière se confirme. Entre le 8 et le 14 décembre 2025, l’ensemble des régions françaises est désormais touché par l’épidémie. Les indicateurs grippaux sont en nette augmentation dans toutes les tranches d’âge. La France enregistre ainsi 281 consultations pour infection respiratoire aiguë pour 100 000 habitants, contre 118 puis 190 les semaines précédentes, selon le Bulletin Infections respiratoires aiguës publié le 17 décembre 2025 par Santé publique France et mis à jour tous les mercredis.
Comme l’explique Richard Martinello, spécialiste des maladies infectieuses et directeur médical de la Yale School of Medicine, dans le National Geographic, chaque année en Amérique du Nord et en Europe, la saison de la grippe amorce son pic de contamination à l’approche des fêtes. Cette année, les médecins et les chercheurs se montrent particulièrement inquiets.
« Nous allons vivre une saison grippale majeure cette année et nous craignons fortement qu’elle ne soit encore plus grave qu’à l’accoutumée », déclare-t-il.
La grippe est une infection respiratoire contagieuse due aux virus influenza, dont la particularité est la grande variabilité génétique. C’est un enjeu de santé publique du fait des épidémies saisonnières qui touchent chaque hiver 2 à 6 millions de personnes en France, avec un excès de mortalité attribuable à la grippe d’environ 10 000 décès, principalement chez les sujets fragiles. Le risque pandémique associé à la grippe zoonotique constitue également un enjeu majeur de santé publique. En dehors des mesures d’hygiène la vaccination annuelle contre la grippe reste le moyen le plus efficace de se protéger.
Si la majorité des cas évoluent favorablement, la maladie peut entraîner des complications sévères, notamment chez les personnes âgées, immunodéprimées ou atteintes de maladies chroniques.
L’apparition d’une souche grippale sous surveillance
Les premières alertes concernant de nouvelles mutations du virus grippal ont émergé durant l’été, alors que l’hémisphère Sud entrait dans sa saison hivernale. L’Australie a notamment connu un niveau inédit de contaminations, tandis qu’au Brésil, les formes graves de grippe ont bondi de 127 %, signalant une circulation virale particulièrement intense.
Les virus de la grippe se distinguent par leur grande capacité d’évolution. Contrairement à d’autres agents infectieux, leur matériel génétique est constitué de plusieurs segments indépendants, ce qui facilite les échanges de gènes entre virus. Cette plasticité leur permet d’acquérir rapidement de nouvelles caractéristiques. Cette année, plusieurs modifications génétiques — dont trois altérations affectant des zones clés — contribuent à rendre le virus moins détectable par le système immunitaire, augmentant ainsi sa capacité à infecter les cellules humaines.
Identifiée sous le nom de sous-clade K, cette nouvelle version du virus est appelée à se diffuser largement à l’échelle mondiale. La contagiosité élevée de ce sous-clade a déjà provoqué une recrudescence exceptionnelle des cas au Royaume-Uni, survenue bien avant la période grippale habituelle.
Les experts estiment que le sous-clade K deviendra dominant aux États-Unis, au Canada et en France durant les fêtes de fin d’année, un contexte particulièrement favorable à la transmission du virus en raison de l’intensification des déplacements et des rassemblements familiaux.
Une épidémie plus précoce encore que l’an dernier
La saison grippale 2024-2025 avait déjà marqué les esprits par sa sévérité. Elle figurait parmi les plus graves depuis 2009, avec un démarrage précoce, une circulation simultanée de trois virus et un impact majeur sur le système de santé, entraînant une surmortalité estimée à environ 17 600 décès.
Pour la saison 2025-2026, la dynamique semble encore plus précoce. La campagne de vaccination a débuté le 14 octobre 2025, mais la circulation virale s’est intensifiée dès le 26 novembre. Cette rapidité souligne l’importance d’une surveillance étroite, d’autant que la grippe saisonnière est responsable chaque année de centaines de milliers de décès dans le monde.
L’Institut Pasteur confirme la circulation de virus grippaux de type A
Le Centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires, basé à l’Institut Pasteur, est chargé de la surveillance virologique de la grippe. Chaque semaine, environ 200 prélèvements issus de la médecine de ville, des hôpitaux et des laboratoires d’analyses sont analysés.
« Le virus grippal détecté majoritairement est un virus de type A, connu pour sa virulence », explique Vincent Enouf, responsable adjoint du CNR. Plusieurs sous-types sont identifiés, notamment A(H3N2) sous-clade K et A(H1N1)pdm09, confirmant une circulation active et diversifiée des virus grippaux.
Le vaccin reste un rempart contre les formes graves
Les analyses montrent que les virus actuellement en circulation diffèrent légèrement de la souche vaccinale utilisée pour le vaccin antigrippal de cette saison. L’efficacité du vaccin dépend en effet de la proximité entre les souches vaccinales et les virus circulants, mais aussi de l’âge et de l’état immunitaire des personnes vaccinées.
« Il n’est pas surprenant que le virus grippal évolue chaque année, rassure Vincent Enouf. Le vaccin utilisé cette année pourrait être moins efficace contre le virus A(H3N2), mais un vaccin même peu efficace permet d’éviter les formes graves. » Des données préliminaires en provenance du Royaume-Uni suggèrent d’ailleurs une efficacité comparable à celle observée habituellement pour ce sous-type, un signal jugé rassurant à ce stade.
Anticiper le pic grâce à la modélisation
Nouveauté majeure cette saison : l’Institut Pasteur, en collaboration avec Santé publique France, a mis en place un dispositif inédit de modélisation mathématique pour anticiper l’évolution de l’épidémie. L’objectif est de prévoir, à court terme, la dynamique de la grippe et la période probable du pic épidémique.
« Le modèle fournit des prévisions sur les quatre prochaines semaines et sur la période de survenue du pic », explique Simon Cauchemez, responsable de l’unité de modélisation mathématique des maladies infectieuses à l’Institut Pasteur. Les modèles ont commencé à fonctionner dès le 10 décembre 2025, au moment du passage officiel au stade épidémique national, avec des premières prévisions publiées à partir du 17 décembre.
Ces prévisions seront actualisées chaque semaine, à l’échelle nationale et régionale (hors Corse). « Avant son déploiement en temps réel, le modèle a été évalué rétrospectivement sur plusieurs saisons grippales », précise Juliette Paireau, ingénieure de recherche à l’Institut Pasteur et à Santé publique France. Les chercheurs rappellent toutefois que la précision reste dépendante de la dynamique épidémiologique et de l’évolution des virus.
Ces travaux de modélisation viennent compléter les dispositifs existants de surveillance. Ils constituent un outil stratégique pour aider les autorités à mieux anticiper la pression sur le système de soins, adapter l’organisation hospitalière et renforcer les messages de prévention auprès de la population.
Alors que l’épidémie s’installe durablement, les autorités sanitaires rappellent l’importance de la vaccination, des gestes barrières et de la vigilance, en particulier pour les personnes les plus à risque.







