Encensée par certains, critiquée par d’autres, la « Chinafrique » est devenue un concurrent incontournable pour tous les investisseurs voulant mettre un pied en Afrique. Les entreprises chinoises ont certes investi ces vingt dernières années, mais leurs résultats dans le domaine des infrastructures laissent les pays hôtes sur leur faim. Vitrine spectaculaire, mais réalité en trompe-l’œil : la Chine construit son influence en Afrique autant par l’image que par le béton, au prix de dettes et de désillusions.
La formule de Xavier Aurégan, maître de conférences en géopolitique à l’Université catholique de Lille, veut tout dire : « Dans les infrastructures africaines, la Chine investit peu, mais s’investit beaucoup. » Il y a bien sûr quelques exemples d’envergure, souvent mis en avant par les autorités chinoises, comme la voie ferrée entre Mombasa et Nairobi au Kenya, entrée en service en 2017. Coût du projet : plus de 4 milliards de dollars, financés à 90 % par l’Exim Bank of China, et pour lequel deux grandes entreprises chinoises ont été mobilisées pour la construction et pour l’exploitation – respectivement la China Road and Bridge Corporation (CRBC) et la China Communications Construction Company (CCCC). Mais ce type de projet, c’est la vitrine d’un entrepôt désert.
La Chine a gagné la bataille de l’image
Tout est une question d’image. Ces deux dernières décennies, les reportages montrant l’implantation des entreprises chinoises en Afrique – avec leur management très particulier, leurs séances de gymnastique collectives devant les usines, etc. – ont abreuvé les médias occidentaux. « La surmédiatisation des présences chinoises en Afrique génère des conséquences néfastes, dont une surreprésentation engendrée par la compilation abusive de types de flux et d’annonces non vérifiées et non croisées avec l’effectivité des contrats chinois signés et réalisés en Afrique, nuance le géopolitologue Xavier Aurégan dans son étude datée d’avril 2025. Si l’on s’en tient aux statistiques, les prêts chinois sont en forte baisse depuis 2017 et surtout la Covid-19. En 2020, 2021 et 2022, ils ne forment que la moitié de ceux octroyés en 2019 (8,5 milliards de dollars). »
Certes, la Chine reste le premier investisseur étranger sur le continent africain. Mais ces investissements sont en trompe-l’œil, malgré la large communication de Pékin autour des Nouvelles routes de la soie depuis 2013. « Les pays africains n’ont pas encore pleinement réalisé les avantages potentiels que pourraient offrir les investissements chinois en matière d’infrastructure pour l’urbanisation, avance Astrid R.N. Haas, chercheuse associée à l’African Centre for Cities. Certains investissements les plus coûteux dans le cadre de l’initiative « Nouvelles routes de la soie » restent mal connectés et risquent de devenir des “éléphants blancs”. »
Selon cette chercheuse américaine, l’un des principaux problèmes liés à certains projets financés par la Chine en Afrique concerne la planification à long terme. L’exemple du métro d’Addis-Abeba en Éthiopie est symptomatique : mis en service en 2015, le métro coûte beaucoup plus cher que prévu en termes d’exploitation et de maintenance. Le gouvernement éthiopien n’y arrive plus.
Les ports et aéroports, centres névralgiques des investissements en Afrique
Dans le domaine des infrastructures, les transports sont en effet au cœur du cyclone. Routes, mobilité urbaine, rail… tous les secteurs sont concernés. Mais les plus cruciaux pour la connexion du continent africain avec le reste du monde demeurent les secteurs portuaire et aéroportuaire. Et dans certains cas, l’implication chinoise a tourné au vinaigre. Ça a été le cas pour l’Aéroport international Kenneth Kaunda à Lusaka (Zambie) en 2018, pour lequel le gouvernement zambien a signé un contrat avec les Chinois. D’après la presse locale, le gouvernement s’est fait rouler dans la farine, l’affaire s’étant transformée en « colonialisme moderne », la Chine s’étant emparée de l’aéroport pour défaut de paiement de sa dette de la part du gouvernement.
En 2021, les Chinois ont été accusés du même procédé autour de la gestion de l’Aéroport international d’Entebbe au sud de Kampala (Ouganda). Selon cette enquête d’AidData réalisée par Brad Parks, Ammar A. Malik et Alex Wooley, le cas de l’aéroport de Kampala montre bien l’appétit chinois et les craintes des autorités locales : « China Eximbank a exigé du gouvernement ougandais qu’il fournisse une source de garantie entièrement liquide : un dépôt en espèces sur un compte que le prêteur peut saisir unilatéralement en cas de défaut de paiement du gouvernement. Le prêteur a également pris la mesure exceptionnelle d’exiger que tous les revenus générés par l’aéroport international d’Entebbe – un actif d’infrastructure publique existant avant le prêt accordé par China Eximbank – soient utilisés pour rembourser le prêt de manière prioritaire pendant 20 ans. » Un cas d’école de néocolonialisme, justement. Dernier dossier enfin, c’est aujourd’hui la renégociation autour de la concession pour la gestion de l’Aéroport international Gnassingbé Eyadema à Lomé (Togo) qui se retrouve dans le flou, suite à des rumeurs d’intervention chinoise.
Dans le secteur portuaire, la situation est un peu différente. Comme vu précédemment, il existe là une distorsion entre la réalité et la perception que l’on a de la présence chinoise. « La représentation selon laquelle la présence chinoise est massive sur les littoraux africains doit être fortement atténuée, d’autant que le financement chinois ne concerne plus que 22 ports (11 % des ports africains), remarque Xavier Aurégan. Les investissements, terme mal usité, ne sont en définitive que 13 à avoir été réalisés pour sept pays africains. Aux titres tapageurs, les articles et documents évaluant la présence – voire la stratégie – portuaire chinoise en Afrique omettent une réalité implacable : seuls trois terminaux à conteneurs africains voient leur capital majoritairement contrôlé par un groupe chinois. » Nous sommes donc bien loin de l’impression générale de l’omnipotence chinoise.
La stratégie de l’endettement imposée par Pékin
La stratégie chinoise d’investissement remonte aux années 80, et s’est construite autour du principe affiché de « gagnant-gagnant ». « Entre 1980 et 2000, la Chine a construit plus de 184 nouveaux ports, dont beaucoup en collaboration avec des entreprises étrangères, pour faciliter l’exportation des marchandises qu’elle produisait dans son économie en expansion », analyse Astrid R.N. Haas. Pour cela, la Chine a massivement prêté des milliards de dollars aux gouvernements africains qui, pour certains, ont encore du mal à rembourser les dettes contractées. Cette politique d’investissement avait un objectif clair : accaparer des matières premières d’Afrique afin d’alimenter son appareil productif et inonder le monde entier – Afrique comprise – de ses biens de consommation.
Dans cette stratégie, l’Angola a fait figure de victime idéale. « La Chine a prêté d’importantes sommes d’argent à l’Angola pour construire des infrastructures, afin d’obtenir en retour des livraisons de pétrole, explique le Dr. Alex Vines, analyste au think tank britannique Chatham House.
Ces projets ont également fourni des emplois aux Chinois. À un moment donné, il y avait plus de 170 000 travailleurs chinois en Angola. La Chine agit parfois comme un prédateur lorsqu’elle traite avec un État faible, mais des gouvernements plus forts peuvent faire des affaires avec elle sans s’endetter lourdement. » Encore faut-il en avoir les moyens et la volonté.
Photo d’en-tête : © Reuters







