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La société des faux savoirs

La société des faux savoirs – L’art de tout juger et tout dire sans presque rien connaître, de Thomas Gatherias – Vérone Editions / Collection Sciences humaines, 2024 – 150 pages

Nous vivons aujourd’hui dans une époque paradoxale où l’information circule à un rythme effréné, mais où la vérité, elle, chancelle. Jamais l’humanité n’a disposé d’autant d’outils pour apprendre, vérifier, se documenter, comprendre ; jamais elle n’a eu un tel accès aux savoirs du monde. Et pourtant, jamais le débat public n’a été si fragile, si polarisé, si vulnérable aux manipulations. Dans les sociétés contemporaines, l’espace de discussion — politique, scientifique ou citoyen — se fissure sous la pression des avis instantanés, des plateformes sociales qui récompensent l’émotion plus que la réflexion, des slogans qui prennent la place des arguments. La confiance dans les institutions vacille, l’autorité scientifique est contestée, l’expertise se noie dans la rumeur. Certains politiques vont jusqu’à proposer la création de labels pour les médias, comme on en accorde aux produits alimentaires, afin de distinguer les informations vérifiées des contenus manipulés ou sensationnalistes. C’est dire combien notre époque s’interroge sur ce que signifie encore « savoir », « comprendre » et « informer ».

C’est dans ce contexte brûlant que prend sens l’ouvrage de Thomas Gatherias, La société des faux savoirs — L’art de tout juger et tout dire sans presque rien connaître. Il est sorti en 2024 mais nous avons jugé bon, à la rédaction, de le remettre sur le devant de la scène.

Le livre se présente sur une observation incisive : « Une tension permanente agite nos sociétés de la communication. D’un côté, les citoyens consomment de l’actualité à tout va, se biberonnent à l’information du matin au soir, réclamant des comptes-rendus toujours plus justes et rapides de l’état du monde, avides de tout connaître et de tout comprendre. De l’autre, les idées reçues, les jugements hâtifs, les théories du complot, les fake news, la désinformation ne cessent de gagner du terrain. » Comment expliquer que l’abondance d’information, loin de clarifier le réel, l’obscurcisse parfois ? Pourquoi la profusion de données n’a-t-elle pas produit plus de discernement, mais au contraire stimulé la confusion ? »

Gatherias s’attaque frontalement à ce paradoxe. Il y analyse le phénomène qu’il nomme « société des faux savoirs » : un monde où l’assurance l’emporte sur l’expertise, où l’opinion immédiate se confond avec la connaissance, où chacun se sent légitime à commenter la médecine, la géopolitique, le climat ou la sociologie à partir d’un fil vu sur un réseau social ou d’une vidéo de quelques minutes. L’« ultracrépidarianisme » — l’art de parler de ce qu’on ne connaît pas — n’est pas nouveau, mais il gagne en puissance dans un écosystème médiatique qui valorise la rapidité, l’émotion et le buzz plus que la vérification et la nuance.

L’auteur ne se contente pas de pointer du doigt. Son analyse se veut pédagogique, presque civique. Il propose de comprendre pourquoi nous sommes si nombreux à affirmer sans savoir : la quête de reconnaissance, l’illusion d’omniscience offerte par Internet, le besoin de se forger une identité politique ou morale à travers les opinions que l’on affiche, la pression sociale à « avoir un avis » sur tout, la facilité intellectuelle qu’il y a à répéter plutôt qu’à vérifier. Il rappelle aussi que le cerveau humain est friand de récits simples, d’explications courtes, et résiste parfois à la complexité nécessaire pour approcher le vrai.

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Au fil des pages, La société des faux savoirs devient un plaidoyer pour réhabiliter l’esprit critique, la lenteur du raisonnement, la modestie du savoir. L’auteur invite à valoriser moins l’opinion brute que la réflexion documentée, à retrouver le goût de dire « je ne sais pas », à douter avec méthode plutôt qu’à croire par réflexe. Dans cette perspective, l’idée d’un label médiatique — garant de méthodes de vérification et de transparence — n’apparaît pas comme une lubie autoritaire, mais comme un symptôme de la crise : si nous en venons à labelliser la vérité, c’est que nous n’avons plus la certitude de la reconnaître spontanément.

Le livre soulève néanmoins une question délicate : comment redonner valeur au savoir dans un monde où l’attention se disperse, où la saturation informationnelle décourage la vérification, où le fact-checking se perd face au flot continu des contenus ? Gatherias n’offre pas de solution miracle, mais il trace une voie : celle d’une citoyenneté intellectuelle renouvelée. Apprendre à discerner, à contextualiser, à nuancer ; accepter qu’une opinion ne vaut pas une expertise ; reconnaître que le savoir s’acquiert dans le travail, la lecture, la confrontation lente avec la réalité.

La société des faux savoirs est un miroir de notre époque, parfois cruel, souvent salutaire. Il propose de reconstruire ce qui menace de se déliter : la confiance dans la connaissance, le respect du débat argumenté, la capacité à penser contre soi, à écouter, à enquêter, à douter. Un appel à la lucidité, dans un monde qui préfère trop souvent les certitudes éclatantes aux nuances discrètes.

Thomas Gatherias est diplômé d’un master de recherche en sciences de l’information et de la communication. Auteur de deux mémoires de recherche portant sur l’information internationale dans les journaux télévisés et l’indépendance de la presse de jeu vidéo, il a travaillé pour la presse quotidienne régionale avant de devenir rédacteur pigiste. Il évolue désormais dans le milieu associatif.

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