Comment mieux soigner aujourd’hui des maladies complexes comme le cancer ? En parvenant à comprendre le corps humain à toutes les échelles, depuis la molécule (environ 1 nanomètre), la cellule (environ 10 micromètres), jusqu’à l’organisme tout entier. Il s’agit, en vue de cet objectif thérapeutique, d’établir des connexions depuis l’échelle sub-nanométrique vers le monde dit macroscopique, (celui à notre échelle), pour déterminer comment des événements moléculaires sont intégrés pour créer une réponse physiologique. En ce sens, c’est un défi pour la biologie moderne, mais qui pose aussi de nouvelles questions aux nanosciences.
Pour savoir, de façon suffisamment précise, comment un système vivant fonctionne, afin de pouvoir contrôler son comportement à l’aide par exemple d’une pharmacologie adaptée, il faut être capable de forger les concepts adaptés et de disposer de technologies efficaces.
Depuis le milieu du XXe siècle, la biologie s’est attachée à développer des outils analytiques puissants permettant de détecter des biomolécules d’intérêt, afin de compléter l’observation clinique au niveau de la cellule, du tissu ou de l’organisme. Cependant, les mécanismes reliant ces différentes échelles ont longtemps été difficiles à comprendre : pour les sonder, il faut pouvoir disposer d’outils permettant un suivi quantitatif dans le temps et l’espace des processus biologiques.
Une méthode de choix pour atteindre cet objectif est l’imagerie optique, notamment grâce à ses développements techniques les plus récents, tels que l’imagerie de super-résolution et l’utilisation de nano-objets pour l’observation de biomolécules individuelles ou la mesure d’une réponse cellulaire aux échelles nanométriques. Ces méthodes peuvent être rassemblées sous le nom générique de nano-imagerie biologique. Nous allons en détailler quelques-unes.
Les nano-marqueurs
L’imagerie biologique fait un grand usage de molécules fluorescentes permettant la détection de biomolécules cibles dans un environnement cellulaire ou tissulaire. Il peut s’agir de molécules organiques de synthèse ou de protéines fluorescentes, comme la GFP (Green Fluorescent Protein), qui peuvent être exprimées par l’organisme étudié.
Bien qu’elles soient très utilisées, ces molécules se dégradent rapidement sous illumination. En raison d’un phénomène appelé photoblanchiment, il est généralement impossible de les observer individuellement pendant des durées supérieures à quelques secondes. Cette propriété empêche le suivi de biomolécules individuelles pour des durées suffisantes, par exemple pour comprendre leur rôle dans l’accomplissement dans le temps et l’espace d’une réponse cellulaire.
Des nanoparticules, comme des nanocristaux semi-conducteurs, des nanoparticules de terres rares, ou des nanodiamants, ont alors été synthétisées et utilisées comme marqueurs biologiques depuis une quinzaine d’années. Ces nanoparticules ont en commun des propriétés optiques exceptionnelles, notamment l’absence de photoblanchiment. Elles ont ainsi ouvert la possibilité de suivre la dynamique de protéines individuelles dans une cellule vivante pendant des durées comparables aux temps nécessaires à l’établissement d’une réponse physiologique, généralement plusieurs minutes.
La reconstruction nanométrique de trajectoires de protéines individuelles a, par exemple, permis de mieux comprendre l’organisation de synapses neuronales au niveau moléculaire. De façon plus générale, l’imagerie biologique nanométrique permet d’identifier les connexions entre l’ échelle moléculaire et l’échelle microscopique, voire macroscopique, et donc de fournir des éléments de compréhension sur le fonctionnement global d’un système biologique.
Les nano-senseurs
Le simple marquage de biomolécules, permettant de révéler leur organisation dans la cellule ou les tissus, n’est pourtant pas suffisant pour comprendre comment le corps répond à une maladie. Il faut pour cela pouvoir suivre l’ensemble des mécanismes biochimiques, appelé signalisation cellulaire, apparaissant spécifiquement dans la cellule a en réponse à un signal extérieur.
Des nanoparticules luminescentes peuvent ainsi être utilisées comme nanosondes, détectant spécifiquement la présence d’espèces réactives dans le milieu cellulaire. Par exemple, certaines nanoparticules luminescentes réagissent à la présence de dérivés réactifs de l’oxygène, dont la concentration dans la cellule régule des phénomènes tels que le vieillissement, l’inflammation ou la progression de certaines tumeurs. L’imagerie de ces nanoparticules permet alors de réaliser une cartographie dynamique de la production de ces dérivés réactifs de l’oxygène avec une précision de l’ordre d’une dizaine de nanomètres.
Dans une perspective thérapeutique, la nano-imagerie quantitative pourra contribuer à la détection de l’apparition d’une pathologie et à l’évaluation locale et précise des effets d’un traitement pharmacologique.
Le nano-diagnostic
Un atout majeur supplémentaire des nanoparticules pour l’imagerie biologique est leur capacité de servir de plateforme pour produire plusieurs types de contrastes, permettant de faire de l’imagerie dite multimodale. Un même agent peut ainsi être utilisé pour réaliser simultanément des images suivant différentes techniques (luminescence, IRM, rayons X…) et obtenir des informations complémentaires en une seule séquence d’imagerie.
L’association d’une modalité d’imagerie moléculaire à une modalité d’imagerie fonctionnelle – l’IRM par exemple –, sensible à l’activité globale d’un organe ou un tissu, révélera la base moléculaire de l’évolution de la pathologie à l’échelle de l’organisme. Cet aspect est particulièrement prometteur pour l’utilisation de la nano-imagerie pour le diagnostic médical de pathologies complexes, telles que certaines tumeurs ou maladies inflammatoires.
Il sera alors envisageable de réaliser un véritable suivi d’un tissu cible, potentiellement atteint par la maladie. On pourra alors dresser son profil moléculaire, à partir duquel un traitement spécifique du patient pourra être pensé, administré et évalué. Cette méthode, qui utilise les nanocapteurs, introduit un changement de paradigme en médecine : le suivi individualisé se substituerait au diagnostic traditionnel.
Des nanoparticules peuvent enfin servir pour le transport et l’administration ciblée de traitements, par exemple sous forme de particules servant de plate-forme sur lesquelles une substance active peut être greffée et éventuellement délivrée par action de la lumière. L’association, appelée théranostique, sur un même objet du diagnostic quantitatif et de la thérapie sous forme d’administration contrôlée d’un médicament, sera un outil utile pour le contrôle fin d’une pathologie.
L’utilisation de nanoparticules pour l’imagerie biologique ouvre ainsi de nombreuses et riches perspectives pour des applications biomédicales. La nanoimagerie et de façon plus générale les nanotechnologies sont ainsi susceptibles de contribuer fortement à la révolution médicale des prochaines années, la médecine personnalisée.
Cédric Bouzigues, Enseignant-chercheur au Laboratoire d’Optique et Biosciences (École polytechnique / CNRS / INSERM), École Polytechnique – Université Paris Saclay
La version originale de cet article a été publiée par notre partenaire The Conversation.