Cela fait des lustres que l’on rêve de petits objets circulant dans notre corps à l’affût du moindre trouble pour l’éradiquer d’un coup de rayon magique. Hollywood en a fait des films à succès, les auteurs de science-fiction s’en sont régalés. Mais aujourd’hui, la réalité semble dépasser la fiction. Partout dans le monde, des labos s’affairent sur l’infiniment petit, et bâtissent des armes d’observation et de destruction à l’échelle du milliardième de mètre. C’est le champ de bataille de la nanomédecine nouvelle génération. Une science en pleine effervescence qui semble pouvoir apporter des solutions innovantes si ce n’est radicales, mais qui pose encore de nombreuses questions.
La nanomédecine est une science récente, dont une grande partie se déroule encore dans le secret des labos, mais elle dispose déjà d’un arsenal et de champs d’action très étendus : médecine régénérative, vaccins, imagerie, diagnostic, administrations thérapeutiques ciblées, etc. Quand on travaille à l’échelle nanométrique, les matériaux changent de propriété et, dès lors, tous les rêves sont permis. Il est envisageable de concevoir des dispositifs thérapeutiques et des médicaments qui vont intervenir directement au niveau de la cellule.
Dans le traitement des cancers, le changement d’échelle ouvre des pistes radicalement nouvelles. Jusqu’à présent, on utilisait principalement la chimiothérapie. Or l’injection de produits chimiques destinés à combattre une cellule cancéreuse se fait au niveau de l’organisme et c’est le foie qui supporte le choc. Souvent, la toxicité rencontrée entraîne l’arrêt du traitement et laisse les médecins désarmés devant l’avancée de la maladie. En nanomédecine, des nanoparticules vont identifier les cellules cancéreuses présentes dans l’organisme et décharger, au niveau précis de ces cellules, une dose de médicaments ou de radiation spécifique. C’est la théranostique, nouvelle arme anti-cancer. Seule la cellule cancéreuse est atteinte. C’est ce qu’explique le professeur Niklaus Schäfer de l’université de Lausanne : « Une fois la tumeur localisée, on passe à la phase thérapeutique. On peut pour cela utiliser le même anticorps ou autre traceur de cellules cancéreuses que dans l’imagerie, mais cette fois en l’associant à un isotope radioactif puissant, qui va irradier directement la tumeur. On parle dans ce cas de radioimmunothérapie ou radiothérapie ciblée. » Pour le médecin, si les anticorps et autres vecteurs de traitement sont bien spécifiques de la tumeur à soigner, « il y a toute les chances pour que le traitement soit efficace et pour que sa toxicité soit limitée. Globalement, la radioimmunothérapie ou radiothérapie ciblée a l’avantage d’entraîner moins d’effets secondaires qu’une chimiothérapie, car elle fait mieux la différence entre les cellules pathogènes et les cellules normales. »
La nanomédecine crée un nouveau paradigme en matière de traitement médicamenteux. Le médicament se réduit à une molécule que l’on encapsule dans une nanoparticule que l’on administre au patient. Cette nanoparticule est équipée de radars de reconnaissance c’est-à-dire d’anticorps greffés à la surface de la particule qui vont identifier leur cible (par exemple une tumeur) et décharger la dose nécessaire de médicament. On contourne ainsi les mécanismes de résistance et on préserve les tissus sains de l’organisme.
Cette nouvelle ère du médicament en est encore à ses balbutiements. Pour le Professeur Francesco Stellacci, directeur du Laboratoire des nanomatériaux supramoléculaires et interfaces de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), « moins de 10% des médicaments existants sont pensés dans l’optique nano ». Il poursuit : « Aujourd’hui, nous utilisons des médicaments déjà existants et il n’est pas toujours évident que leur effet en version nano soit aussi bon qu’en version traditionnelle. Parallèlement, il est extrêmement difficile de faire approuver de nouveaux médicaments. On est dans la situation du chat qui court après sa queue pour essayer de l’attraper… » Pourquoi cette lenteur ? Parce que pour prouver que les effets attendus d’un médicament sont bien présents et imaginer une entrée possible sur le marché, on doit pouvoir modéliser les études en grand. Or les nanomédicaments sont extrêmement chers à concevoir, si bien que l’industrie pharmaceutique hésite encore à investir vraiment le domaine.
Mais la nanomédecine, ce n’est pas seulement l’administration de médicaments au niveau de la cellule. C’est aussi une arme de guerre technologique contre la maladie. Des nanorobots, sortes de hackers de l’infiniment petit, vont pénétrer dans le système de codage de cellules-cibles et activer un gène qui a pour fonction l’autodestruction –l’apoptose– de la cellule.
D’autres armes de la nanomédecine sont destinées à l’observation de plus en plus précise du comportement d’un groupe de cellules. En observant ces comportements, on peut alors anticiper les mécanismes de dégradation de certaines cellules et enrayer le processus. Le CNRS vient d’annoncer ainsi la mise au point de nanodiamants fluorescents pour révéler des anomalies de transport moléculaire dans les neurones. Des chercheurs du Laboratoire Aimé Cotton (CNRS/Université Paris-Sud/ENS Paris-Saclay) et du Centre de psychiatrie et neurosciences (Inserm/Université Paris Descartes) ont ainsi mis au point une méthode pour mesurer précisément ce transport moléculaire grâce à des nanocristaux de diamants fluorescents. Ils ont ensuite appliqué cette méthode à des neurones de souris, soit génétiquement modifiées afin de reproduire un facteur de risque trouvé chez des personnes autistes, soit incubées avec un peptide impliqué dans la maladie d’Alzheimer. Ces expériences ont mis en évidence que le transport moléculaire était alors anormal. Ces travaux ouvrent la voie au développement de cribles pour identifier les multiples facteurs de risques génétiques des maladies neuropsychiatriques et neurodégénératives.
La nanomédecine, si l’on poursuit la métaphore militaire, fait appel, on l’a vu, à des missiles pour porter une charge vers une cible déterminée, à des espions pour observer le comportement de l’ennemi, à des cyber-combattants pour perturber les codes de l’adversaire… Elle fait aussi appel aux techniques du génie. Les nanotechnologies peuvent en effet être employées pour la démolition et la construction. C’est le cas notamment dans la lutte contre les maladies cardiovasculaires et l’athérosclérose. Le groupement international NanoAthero travaille ainsi sur des nanovecteurs proposés pour véhiculer des composés permettant la visualisation de plaques d’athérosclérose « vulnérables » ainsi que pour délivrer des agents thérapeutiques pour stabiliser les plaques.
Les nanotechnologies sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important en médecine. Si elles sont porteuses d’espoir, elles sont aussi sujettes, si ce n’est à controverse, au moins à vigilance. En effet, selon les auteurs de « Horizons in clinical Nanomedicine », les vecteurs nanométriques employés sont extrêmement sensibles car ils peuvent traverser les barrières biologiques. La barrière hémato-encéphalique sensée protéger le cerveau est traversée, mais aussi les membranes cellulaires et l’enveloppe nucléaire séquestrant le génome. Comment évaluer aujourd’hui le risque sur l’organisme ? Il est difficile de répondre à cette question car la communauté scientifique reste dans une relative ignorance des comportements nanométriques. Ceux-ci bouleversent en effet notre compréhension de la matière car à l’échelle du millionième ou du milliardième de mètre, les états de la matière, solide, liquide et gazeux se recoupent. Les distinctions habituelles entre disciplines scientifiques se dérobent. De surcroit, la technologie ne peut plus être considérée comme extérieure au corps biologique : elle en devient une partie intégrante. Au total, le développement de ces nanotechnologies donne à l’homme des moyens nouveaux pour intervenir sur le vivant, à une échelle qui permet de dépasser les contraintes des approches classiques. Mais alors même que des progrès remarquables sont effectués en matière d’applications, la recherche fondamentale a du mal à suivre.
Il est, dans ces conditions, très difficile d’évaluer correctement les risques, aussi bien sur l’environnement que sur l’organisme.
C’est pourquoi il est utile de convoquer la communauté scientifique au sens large pour poser les bonnes questions et ouvrir des pistes de réponses. C’est l’objectif du forum NanoRESP qui se tiendra le 30 novembre à Paris. Il permettra de faire un tour d’horizon des avancées dans ces domaines, de discuter des performances et des limites des nouvelles stratégies en nanomédecine, ainsi que des évaluations et encadrements éthiques et réglementaires.
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