Emmanuel Hirsch est professeur d’éthique médicale et président du Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique de l’Université Paris-Saclay. Il propose, dans cette tribune pour UP’, l’organisation dans les prochains jours d’une convention citoyenne permettant une concertation dans l’urgence à propos des choix qui s’imposeront à notre pays face à la crise du Coronavirus. Leur acceptabilité pourrait être légitimée par cette réflexion publiquement partagée, qui éclairerait les arbitrages politiques difficiles.
TRIBUNE LIBRE
Le constat est évident, la gestion d’une crise sanitaire majeure, comme l’épidémie de Coronavirus, est politique. La responsabilité d’assumer des décisions complexes, dans un contexte d’incertitude, avec tant d’impacts sur la vie de la nation et la continuité des activités économiques relève de l’autorité de l’État.
Il y a dix ans, dans notre ouvrage collectif Pandémie grippale : l’ordre de mobilisation (Editions du Cerf), nous analysions les composantes d’une crise sociale globale inévitable, causée par la diffusion une souche virale. Au plan international elle imposerait des mesures contraignantes en termes d’organisation de la vie publique, de restriction des libertés individuelles, voire de choix vitaux en cas de pénurie dans la capacité d’accueil et de traitement des personnes malades. Les valeurs de notre démocratie, y compris dans ses solidarités à l’égard des pays les plus démunis, étant engagées dans les arbitrages qui s’imposeraient, nous proposions alors une concertation publique, une pédagogie de la responsabilité partagée.
L’approche politique, dans le contexte d’une pandémie, doit anticiper les conditions d’une mobilisation de la société : il lui faut comprendre la hiérarchie des choix afin d’y adhérer, s’approprier une capacité d’action favorisant la responsabilisation. La cohésion nationale relève d’un rapport de confiance, d’une capacité à reconnaître et à respecter la position, les droits et les compétences de chacun dans un combat qui doit être mené ensemble, en référence à des valeurs partagées.
La politique de lutte en France contre le coronavirus est marquée par l’exigence de transparence, le partage de savoirs évolutifs, l’annonce justifiée de mesures progressives, un soutien aux professionnels de santé et du médico-social ainsi qu’une attention portée aux personnes vulnérables.
Dans les premières semaines, les instances publiques ont adopté une position juste, rassurante sans minimiser les risques jusqu’alors maîtrisés. La phase apaisée au cours de laquelle tout a été mis en œuvre pour différer l’échéance de la crise s’achève.
Nous sommes confrontés aujourd’hui à des circonstances dont il est délicat de préfigurer leurs conséquences sur la vie publique.Déjà les premières mesures restrictives décidées provoquent les inquiétudes et une désorganisation à tous les niveaux de la vie sociale. Même si les stratégies d’anticipation dans notre pays et les spécificités des systèmes de santé nous différencient, les décisions radicales adoptées par le gouvernement italien confèrent une visibilité à une éventualité que notre pays doit envisager.Le phénomène de « mondialisation » est transposé à l’expérience d’une pandémie, renforçant un sentiment de fragilité, de dépendance pour ne pas dire d’impuissance, ce qui n’est pas de nature à rassurer. Si des dispositions relevant de l’état d’exception devaient s’imposer et que dans un contexte limitatif il conviendrait de choisir entre la personne que l’on soigne et celle pour laquelle on renonce, qu’en serait-il de leur acceptation, du risque de contestation et de désordre public ? Quelle réponse apporterait alors le gouvernement alors que notre pays a été éprouvé depuis plus d’un an par des phénomènes sociaux qui pourraient se raviver à la faveur d’une défiance à l’égard de l’État ?
La crise des légitimités et des autorités dans nos démocraties, la défiance en la parole publique et à l’égard des expertises n’entraveront-elles pas la cohésion de la société ?Il n’est pas l’heure de débattre sur des choix politiques qui pourront être évalués lorsque la crise sanitaire aura été surmontée. À titre personnel, j’ai toute confiance en l’expertise et en la vigilance des autorités publiques investies sans relâche et avec compétence afin de nous éviter le pire. La vie démocratique gagnerait néanmoins à mieux associer la société aux arbitrages difficiles qui s’imposeront, au-delà des instances nationales représentatives.Une convention citoyenne organisée dans les prochains jours pourrait permettre au gouvernement de bénéficier de cette contribution nécessaire à la légitimation de décisions exigeantes, avec comme impératif le souci du bien commun.
Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud-Paris-Saclay