Depuis le début de la pandémie de coronavirus, les statistiques vont dans le même sens : les enfants et les jeunes de moins de 18 ans sont en grande majorité épargnés par la maladie, ou développent des formes asymptomatiques ou bénignes. Avec l’accroissement de la pandémie partout dans le monde, on relève des exceptions qui, selon les médecins, confirment néanmoins la règle. Pourquoi les enfants échappent-ils au Covid-19 ? Qu’ont-ils de particulier qui les protègerait ? Les chercheurs s’affairent autour de cette énigme mais d’autres regards et disciplines pourraient apporter un œil neuf sur cette problématique. Paule Pérez est psychanalyste. Elle nous propose une question qui mérite réflexion.
TRIBUNE LIBRE
Une réflexion m’a traversée, à-partir de l’insistance massive sur le fait que les enfants sont les plus résistants au Covid-19. Certes c’est un lieu commun têtu : pour l’immunité, il vaut mieux être jeune que vieux… Mais au-delà de la boutade, un peu à l’instar du « non-anniversaire » d’Alice, l’infection au coronavirus serait une maladie sérieuse qui se définirait comme « non-infantile ». Rapidement je me suis demandé justement ce qui physiologiquement, distingue aussi nettement la résistance propre de l’enfant de celle de l’adulte et du plus vieux : qu’est-ce qui constitue cette grande différence ?
Ce qui existe chez l’enfant pour s’atténuer notablement à l’âge adulte et au long de la vie, est particulièrement lié à l’hypophyse en sa production de l’hormone appelée somatotropine, ou somatotrope, (ou somatotrophine), mieux justement connue sous l’appellation « hormone de croissance ». En l’absence de bagage médical, c’est mon intérêt personnel pour la recherche en ce domaine et ma formation en épistémologie qui s’y sont mobilisés. La question à ce sujet insistait en moi du fait-même que perdurait l’insistance des propos sur la résistance enfantine au virus Corona.
Comme me l’indique une source médicale informée et éclairée, l’hormone somatotrope, ou STH secrétée par l’hypophyse durant toute la période de croissance est la plus en vue, car c’est elle qui assure le développement harmonieux des tissus, et en particulier du squelette.
Mais j’y apprends aussi qu’une fois la croissance achevée, la Somatotropine a en définitive peu d’effets. Et que le seul modèle analysable est celui de l’acromégalie liée à un adénome hypophysaire et à une sécrétion en excès de l’hormone. Or, chez les patients acromégales, un grand nombre d’organes vitaux est fragilisé et en particulier le cœur, siège de myocardiopathies sévères. Quand on sait qu’aujourd’hui les formes gravissimes d’infection au Covid se manifestent en quelques heures sous la forme d’une défaillance poly-viscérale majeure et en premier lieu d’une myocardite foudroyante, nous pouvons à l’inverse penser que nous ne détenons peut-être pas avec la somatotropine la cause de l’« immunité » infantile. Mais il s’agit là d’une maladie rare.
En cette période où nous sommes sans vaccin ni traitement direct ciblant l’agent Corona, pouvons-nous nous contenter de ce constat trivial « d’injustice » générationnelle sans en approfondir la teneur d’un point de vue exigeant, hors du lieu commun ? Ce constat est-il totalement anodin ou renferme-t-il cependant une voie d’exploration scientifique féconde ? Pouvons-nous en dégager un enseignement pour la recherche thérapeutique et pour l’épidémiologie, propre à trouver un vaccin, attaquer le virus de front et ou faire cesser le plus directement sa virulence ?
Certes et heureusement on aurait peut-être trouvé une action pharmacologique à la bonne vieille quinine en ses dérivés, que des générations ont absorbée pour la prévention et le traitement symptomatique du paludisme. D’autres pistes de recherches nous dit-on, sont déjà en cours, tentant de rattraper le retard pris lorsque, le SRAS ayant disparu, on s’est contenté de cesser de creuser les pistes adjacentes…
Je formulerai donc ainsi l’interrogation, élémentaire : et si la résistance-même de l’enfant constituait ici cependant, dans le principe, non pas une simple donnée, mais justement un indice majeur voire l’indice majeur, qui indiquerait, pour peu qu’on le prenne en compte scientifiquement, ce qui s’y joue précisément ? On aurait alors une hypothèse de travail plausible à explorer.
Qu’est-ce qui dans l’organisme fonde ici la différence immunitaire entre enfant et adulte ? N’y a-t’ il pas « intérêt » à essayer d’approfondir la raison constitutive de ce fossé de la gravité en se portant précisément sur les différences physiologiques, métaboliques, respectives ? Ainsi, outre la teneur plus importante de somatotropine chez l’enfant (environ 10 fois celle de l’adulte), la teneur encore plus importante de l’hormone chez le nouveau-né (de trois à sept fois celle de l’enfant) ne viendrait-elle pas quant à elle alléguer l’hypothèse ?
Mais, nous dit la médecine, tant de choses au cœur de la vie cellulaire, tissulaire, organique changent continument au cours de l’enfance, que l’on peut se demander si la plasticité du vivant qui est maximale au début de la vie et ne fait que décroître par la suite n’en est pas la cause première. Après tout, les maladies auto-immunes épargnent presque systématiquement les enfants.
Si des recherches sont entreprises, nous en aurions peut-être la réponse. Et a minima, par élémentaire précaution, le fait de mesurer le taux de somatotropine chez les personnes âgées (et à risque) ne constituerait-il pas une mesure à teneur préventive ? Et à cet égard ne serait-il pas intéressant de surcroît (si toutefois c’est possible) de savoir, « en négatif », si les personnes qui n’ont pas survécu avaient ou non un taux particulièrement bas de somatotropine ? En somme la somatotropine aurait-elle ou non des propriétés propres à renforcer le malade contaminé – voire à affaiblir la virulence du virus ?
Certes, dans la communauté scientifique, on n’a pas oublié des expériences, par le passé, malencontreuses, de l’utilisation de l’hormone de croissance. Mais avec les progrès réalisés depuis, et dans la situation actuelle, si ces réflexions sont en théorie recevables, on peut peut-être reprendre le propos à nouveaux frais.
Paule Pérez, Psychanalyste
Photo d’en-tête : « Sourire d’enfant » Art Street, rue Françoise Dolto, Paris XIIIe, janvier 2017 © Photo CAD