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L’Europe face au dilemme du GNL : la Grèce pivot, l’Europe centrale en défiance

Gaz naturel liquéfié

À l’occasion des accords signés entre la Grèce et les États-Unis lors du TEC-P (Transatlantic Economic Partnership) en novembre, cet article analyse le rôle pivot d’Athènes dans l’approvisionnement en gaz naturel des Balkans et de l’Europe de l’Est, ainsi que les tensions croissantes autour du gaz naturel liquéfié (GNL). Alors que l’explosion des besoins énergétiques liés à l’intelligence artificielle rebat les cartes de la géopolitique mondiale, la Méditerranée orientale et les Balkans deviennent le théâtre d’une recomposition stratégique majeure. Entre ambitions américaines, vulnérabilités européennes et rivalités régionales, la Grèce s’impose comme un hub incontournable, mais fragile, au cœur d’un nouvel échiquier énergétique où s’entremêlent dépendances, investissements colossaux et risques de fragmentation politique.

Un nouvel échiquier énergétique

Aujourd’hui, de nouvelles lignes de fracture se dessinent sur la carte énergétique mondiale. Au premier plan, se trouvent les centres de données de l’intelligence artificielle, les producteurs d’électricité et les exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL). Mais au cœur de tout demeure le gaz naturel.
Pour conserver 70 % de la part mondiale dans l’intelligence artificielle, les États-Unis auront besoin d’ici à 2028 de 50 GW supplémentaires de puissance électrique, soit l’équivalent de 40–50 nouveaux grands réacteurs nucléaires. En termes de GNL, cela se traduit par 12 nouvelles unités de liquéfaction, mais seules 4–5 seront achevées d’ici à 2027. Le déficit énergétique est manifeste.

Les besoins des data centers américains atteindront bientôt 12 milliards de pieds cubes de gaz naturel par jour, créant de nouvelles fractures géopolitiques et limitant les capacités d’exportation. Washington, cherchant à doubler ses exportations de GNL vers l’Europe, se trouve face à une équation difficile : répondre simultanément à l’explosion de la demande de l’intelligence artificielle et aux engagements stratégiques envers ses alliés. La réponse conduit à la recherche de nouveaux gisements, à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières, et à l’accélération des investissements dans des infrastructures qui façonneront la carte énergétique de la prochaine décennie.

Dans ce contexte, la Méditerranée orientale et l’Afrique du Nord deviennent des terrains de revendications énergétiques intenses. La Grèce s’inscrit parmi plusieurs centres névralgiques de cette recomposition. Avec ses infrastructures de Revythoussa et d’Alexandroupolis, elle acquiert un rôle stratégique de porte d’entrée et de hub de transit du GNL. À partir de 2026, avec l’interdiction d’importer du gaz russe, la Bulgarie, la Serbie et la Macédoine du Nord seront alimentées via Alexandroupolis. Le programme s’étend ensuite à la Roumanie, la Moldavie et l’Ukraine, renforçant l’interconnexion régionale. Mais la Grèce n’est pas isolée, d’autres corridors, de l’Adriatique à la mer Ionienne, ainsi que les terminaux en Croatie et en Italie, participent à la constitution d’un
réseau énergétique plus vaste, où Athènes joue un rôle pivot sans être unique.

Aujourd’hui, les flux de gaz vers la région restent modestes, fortement réduits par la fin du transit russe via l’Ukraine. Ils ne dépassent pas 7 milliards de mètres cubes vers la Bulgarie, la Roumanie et l’Ukraine. L’objectif est toutefois ambitieux pour porter ces volumes à 25–30 milliards de mètres cubes par an. Un bond qui nécessitera de lourds investissements dans les infrastructures au cours des trois prochaines années. La Grèce, avec des volumes de transit croissants, prévoit de réduire de 10 % les droits de transport, renforçant son caractère compétitif et consolidant sa position de nœud essentiel dans l’échiquier énergétique européen.

L’Adriatique et la mer Ionienne s’imposent comme un autre corridor énergétique vertical. Des terminaux de regazéification au sud de Venise et de Ravenne, ainsi que celui de l’île de Krk en Croatie, créent une capacité totale d’environ 20 milliards de mètres cube par an, avec l’Albanie susceptible de devenir le quatrième terminal. Cette concentration d’infrastructures explique l’intérêt croissant pour l’exploration de pétrole et gaz du bloc 2 de la mer Ionienne, à l’ouest de Corfou. La région est désormais liée non seulement à la perspective de production d’hydrocarbures, mais aussi à son intégration dans un axe énergétique plus large, comme pont entre la Méditerranée et l’Europe centrale.

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La Turquie continue de s’appuyer sur les importations de gaz et de pétrole russes, maintenant une relation stratégique qui lui assure une sécurité énergétique. Israël retarde l’extension des exportations du gisement Léviathan vers l’Égypte, choix politique visant à garantir l’approvisionnement domestique et des prix stables dans une période d’instabilité. Chypre prévoit de lancer ses exportations de gaz vers l’Égypte en 2027, mais reste confrontée à un dilemme stratégique : comment concilier ouverture extérieure et exigence d’autosuffisance. Les gisements Aphrodite et Cronos offrent une réelle opportunité, mais la stratégie nationale doit veiller à ne pas exposer le pays à de nouvelles vulnérabilités lors de futures crises.

La Grèce, elle, ne dispose pas de sa propre production de gaz naturel. Elle importe et transite sans la flexibilité d’un producteur. Ses importations d’électricité sont trois fois supérieures à ses exportations et elle demeure parmi les pays les plus chers de l’Union européenne, avec un prix avoisinant 130 euros par mégawattheure. La dépendance au gaz importé rend le pays vulnérable aux crises, aux fluctuations de prix et aux pressions extérieures.

Le transfert des coûts logistiques et des droits de transit se traduira par une hausse des prix de l’énergie, vécue comme une “invasion énergétique” imposée par des décisions stratégiques extérieures. Les investissements nécessaires pour adapter les réseaux, construire de nouveaux terminaux et renforcer les interconnexions représentent des charges financières considérables. Dans plusieurs pays, ces coûts sont ressentis comme une externalisation forcée, les consommateurs et les États devant assumer des prix plus élevés pour financer des choix décidés ailleurs.

Cette combinaison de vulnérabilité et de charges financières nourrit un discours de défiance vis-à-vis des mécanismes européens, renforcé par la convoitise stratégique de la Russie et de la Chine dans la région. L’intégration énergétique n’est plus perçue comme une solidarité, mais comme une contrainte imposée, qui fragilise la cohésion régionale et ouvre la voie à des tensions politiques internes. Si l’Union européenne ne parvient pas à équilibrer équitablement la répartition de ces coûts, l’ambition d’autonomie énergétique risque de se transformer en fracture politique et sociale. Dans un contexte où l’Union européenne cherche à renforcer son autonomie stratégique, ignorer ces ressentiments pourrait transformer un projet d’intégration énergétique en facteur de division.

Yannis Bassias, Chroniqueur invité UP’ 
Yannis Bassias a été président-directeur général de la société publique de gestion des hydrocarbures de Grèce (Hellenic Hydrocarbons Management State Company) de 2016 à 2020. Il a été membre du comité du Plan national énergie-climat (NECP) de 2018 à 2020 et a collaboré avec les municipalités de Macédoine occidentale sur le développement des ressources énergétiques et minérales. Il possède une vaste expérience dans l’industrie internationale des hydrocarbures et dans les problématiques liées au mix énergétique. Il écrit et analyse régulièrement des sujets énergétiques liés à la politique énergétique européenne, tant dans la presse grecque qu’internationale.

Source : Texte traduit et adapté de Nea Kriti, 21/11/2025 par l’auteur

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