Il y avait dans son regard quelque chose d’enfantin, une curiosité qui ne s’était jamais émoussée malgré les décennies. Jane Goodall n’aura jamais cessé d’écouter — les bruissements des arbres de Gombe, les éclats de rire de ses chimpanzés, les silences lourds d’une humanité qui oublie son lien à la terre. Le 1ᵉʳ octobre 2025, elle s’est éteinte à 91 ans, laissant derrière elle un sillage qui tient autant du récit initiatique que de l’aventure scientifique. Sa disparition marque la fin d’une vie consacrée à étudier les chimpanzés, mais aussi à remodeler notre regard sur la relation entre l’homme, les autres espèces et la science. Retour sur les trois façons fondamentales dont elle a transformé le champ scientifique.
Quand elle posa pour la première fois le pied en Tanzanie, en 1960, elle ne savait pas encore qu’elle allait briser un tabou. Les chimpanzés qu’elle observait, elle les nommait : David Greybeard, Flo, Flint. Dans un monde scientifique où l’animal était réduit à une donnée, elle leur rendait un visage, une histoire, une dignité. « Ils ont des émotions », affirmait-elle. « Ils fabriquent des outils. » Et soudain, la frontière qui séparait l’humain de l’animal se fissurait.
Une vie en résistance douce
Jane Goodall ne se contentait pas d’observer. Quand la forêt reculait, elle se dressait. Quand les chimpanzés mouraient, elle parlait. Elle voyageait, inlassablement, portant dans sa voix l’écho des forêts menacées. Dans les amphithéâtres comme dans les écoles de village, elle répétait la même prière : protéger, transmettre, réapprendre à vivre ensemble. Sa fondation Roots & Shoots sème encore aujourd’hui ces graines de conscience chez les jeunes, partout dans le monde.
On la voyait, silhouette menue, cheveux tirés en arrière, sourire timide. Elle n’avait rien d’une héroïne flamboyante et pourtant, elle incarnait une force singulière : celle de la patience, de la persévérance, de l’attention au détail. Jane Goodall n’était pas seulement une scientifique, elle était une conteuse, une passeuse. Elle rappelait que la science peut aussi s’écrire comme une histoire, faite de regards croisés et de vies partagées.
Jane Goodall ne nous lègue pas seulement des observations sur les chimpanzés : elle nous laisse un art de vivre. Un art de ralentir, de regarder, d’honorer ce qui nous entoure. Comme si, dans chaque feuille qui tremble et chaque cri qui résonne au loin, se cachait encore la possibilité de réenchanter le monde.
Elle laisse derrière elle un legs double : scientifique et moral et trois façons fondamentales dont elle a transformé le champ scientifique :
Redéfinir ce qu’est un scientifique
Goodall a bousculé les normes de l’observation animale. Plutôt que de rester à distance, elle a adopté une approche de proximité, en attribuant des noms aux chimpanzés étudiés et en soulignant que leurs actions pouvaient révéler des émotions et des intentions. Ce choix, elle l’a fait malgré les critiques classiques de l’anthropomorphisme.
Elle a ouvert la voie à une ethnographie animale plus immersive, invitant les scientifiques à reconnaître les individualités au sein des espèces étudiées.
L’écologie, l’éthique et la conservation comme voix intégrées
Goodall a toujours saisi que ses observations dans le monde sauvage n’étaient pas isolées d’un contexte humain. Elle a fusionné recherche, éthique et action : elle s’est investie dans la protection des habitats, le bien-être animal, l’éducation environnementale.
En faisant de la conservation une dimension inséparable du travail scientifique, elle a contribué à faire émerger une science engagée, pour laquelle l’observateur ne peut plus rester neutre face aux enjeux écologiques.
Transformer la relation entre science et grand public
Jane Goodall a su parler au-delà des cercles universitaires. Son charisme, ses récits de terrain, son message passionné pour la planète l’ont rendue une figure publique mondiale. Elle a transformé le rôle du chercheur : non seulement produire du savoir, mais l’incarner, le partager, inspirer. Grâce à elle, la science est devenue moins hermétique, plus accessible et mobilisatrice.
Et surtout, elle nous invite à repenser non seulement ce que nous observons dans la nature, mais comment nous le faisons, et pour quoi faire. Son influence continuera de résonner dans les laboratoires, les espaces naturels et les consciences humaines.
Source : Nature
Photo d’en-tête : The Associated Press







