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Que peindre sinon l’énigme

Que peindre sinon l’énigme – Ecrits, conférences et entretiens 1944 – 1980, de Philip Guston – Editions l’Atelier contemporain, 15 septembre 2023 – 650 pages – Édition de Clark Coolidge – Introductions de Dore Ashton et Éric Suchère – Traduction d’Éric Suchère.

Ce livre qui comprend tous les textes, entretiens et conférences de Philip Guston est un outil indispensable pour saisir le climat pictural étatsuniens des années 1950 à la fin des années 1970, et de comprendre la pensée d’un artiste lettré et provocateur travaillant souvent à rebours de l’époque. Il permettra également de saisir comment s’articule le rapport entre art et politique pour Philip Guston, laissant imaginer les longues discussions qu’il devait avoir avec son grand ami l’écrivain Philip Roth.

Philip Guston est un peintre américain emblématique. Tout au long d’une carrière prolifique et variée, il passe de l’expressionnisme abstrait à un lexique pictural plus personnel qui se caractérise par une imagerie caricaturale et une palette rose qui aura une grande influence sur une génération d’artistes. 

Né Philip Goldstein le 27 juin 1913 à Montréal au Canada de parents juifs ukrainiens, il grandit en Californie où il étudie au lycée des arts manuels de Los Angeles avec Jackson Pollock. Il découvrira les peintres muralistes mexicains très actifs autour de Los Angeles à cette époque, comme Diego Rivera, José Clemente Orozco et David Alfaro Siqueros qui prônent une peinture politique moderne). La Grande Dépression l’amènera à faire des fresques qui témoignent de cet engagement humaniste en prise avec les bouleversements économiques de cette période. Il poursuivra cette peinture jusqu’à la fin des années 1940.

Guston fait ensuite partie intégrante de la scène de ce que l’on appellera l’École de New York dans les années 1950 aux côtés d’artistes comme Willem de Kooning et son ancien camarade Pollock et où l’expressionnisme abstrait sa peinture va s’infléchir vers l’abstraction. Sa gamme totale restreinte, ses modulations subtiles, vont amener, pour le qualifier, le terme d’impressionnisme abstrait – et la comparaison que l’on continue de faire avec les dernières peintures de Claude Monet.

Le succès est grandissant, notamment aux Etats-Unis, mais, à la fin des années 1960, il entre dans une crise créative, refuse les thèses et interdits du modernisme (absence de profondeur de la peinture au profit de la planéité, refus de l’image, pratique d’une peinture autoréférentielle…).
Il est ainsi connu pour avoir abandonné le succès rencontré avec l’abstraction à la fin des années 1960, entraînant sa perte de représentation par sa galerie et de vives critiques.

Cela l’amènera à un « retour » aux choses, à un travail figuratif qu’il réalise tendant à être sa plus grande contribution à l’histoire de l’art : en présentant une imagerie récurrente comme des personnages en capuche, des ampoules, des cigarettes et de grands yeux, ces peintures aident à lancer le néo-expressionnisme et placent Guston comme l’un des maîtres du XXe siècle.

Studio Landscape, 1975, Philip Guston, Collection privée

En 2020, une immense rétrospective prévue dans quatre musées majeurs aux USA et en Grande-Bretagne est reportée en raison d’une controverse mettant en doute ses peintures du Klan. Si cette rétrospective se tiendra (de 2022 à 2024), elle permet de se rendre compte de la mauvaise lecture qu’en fait la cancel culture, mais surtout de la force de cette peinture.

Son travail fait partie, entre autres, des collections du MoMA de New York, de l’Institut d’art de Chicago et de la Tate Gallery de Londres. Guston meurt le 7 juin 1980 à Woodstock dans l’État de New York.

Cet ouvrage constitue une somme à la fois sur l’art américain, sur le climat esthétique et politique de la période 1950-1980 st sur les questionnements, doutes, interrogations de l’artiste. Du premier texte de 1944 jusqu’au dernier entretien de 1980, on peut suivre l’évolution de la pensée de ce grand artiste. Le livre contient des conversations précieuses avec ses pairs tel le compositeur Morton Feldman, ainsi que la retranscription de conférences données dans les écoles d’art dans lesquelles Guston, s’adressant à de jeunes artistes en formation, a une parole encore plus libre.

Cet ensemble a plus de 600 pages, traduit par Eric Suchère, est complété par une préface de Clark Coolidge qui a composé l’ouvrage original, d’une introduction de Dore Ahston, critique d’art américaine renommée, d’une présentation d’Eric Suchère, écrivain traducteur et critique d’art, permettant au lecteur de mieux saisir le parcours de cet artiste peu présenté en France. Le livre est également augmenté d’une présentation biographique avec de nombreux documents iconographiques.

Cette publication accompagnera la grande rétrospective qui a débuté au musée des beaux-arts de Boston, se poursuivra à celui de Houston, avant d’aller à la prestigieuse National Gallery de Washington et à la Tate Modern à Londres.

Ouvrage publié en partenariat avec The Guston Foundation, grâce au concours du Centre National du livre, et de la Pearl Collection

Les auteurs

Philip Guston, ou Philip Goldstein de son nom de naissance, né en 1913 à Montréal (Canada) et mort en 1980 à Woodstock (États-Unis), est un peintre américain. Il est considéré comme appartenant à l’École de New York et au courant de l’expressionnisme abstrait, aux côtés, entre autres, de Jackson Pollock, Joan Mitchell ou Mark Rothko.

Né en 1967, Éric Suchère est critique d’art, commissaire d’expositions, écrivain et traducteur (de poésie et de textes critiques). Il codirige la collection « Beautés » avec Camille Saint-Jacques, est le directeur artistique de « L’art dans les chapelles » et enseigne l’histoire et la théorie des arts ainsi que l’écriture à l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne.

Extraits

Guston n’avait pas tout à fait seize ans lorsqu’il a été renvoyé du lycée. Peu de temps après, il a gagné une bourse d’un an à l’Otis Art Institute, où il n’a pu tolérer que quelques mois une éducation formelle. Il a abandonné et s’est lancé dans une série trépidante de petits boulots, de rencontres avec d’autres non-conformistes et d’avides lectures. À cette époque, la Dépression s’abattait sur les États-Unis, incitant de jeunes intellectuels, comme Guston, à réfléchir à leur situation sociale et politique. La réponse de Guston fut de tourner son travail vers un style public dérivé de son étude des muralistes mexicains et de son étude de plus en plus approfondie, entreprise en grande partie le soir à la bibliothèque publique, de la peinture de la Renaissance. À l’âge de dix-huit ans, Guston avait accumulé de nombreuses et diverses expériences. Il avait aussi, précoce comme toujours, eu sa première exposition personnelle dans la seule librairie-galerie d’avant-garde de Los Angeles. Il a montré, entre autres, des peintures abouties représentant des conspirateurs du Ku Klux Klan dans un style influencé, visiblement, à la fois par la peinture de la Renaissance et par Giorgio de Chirico, le peintre moderne qui l’a le plus ému. Toute sa vie, il aimait citer la devise de Chirico inscrite en latin sur un autoportrait de jeunesse : « Que peindre sinon l’énigme ? »

Énigme est un mot curieux apparemment dérivé du grec ancien, qui signifiait « parler sombrement ». Ceux qui connaissent la trajectoire de l’œuvre de Guston reconnaîtront que, malgré les moments d’envolée lyrique, en particulier dans les délicates abstractions du début des années 50, il y avait un murmure constant d’obscurité. Ses changements de langage ne reflètent pas le simple enfant-terribilisme du rebelle ostentatoire mais un sentiment de tragédie parrainé par son observation aiguisée des circonstances de sa vie. L’énigme était sa véritable muse.
(Dore Ashton)

*

Tout aussi fort, dans ma mémoire, que les vieux maîtres, est d’avoir vu un vieux camion frigorifique dans Manhattan sur lequel avait été peint un seau avec les veines du bois et tout le reste qui perdait des glaçons. Parfois, quand ma peinture devient trop artistique, je me dis « et si le vendeur de chaussures me demandait de peindre une chaussure sur sa vitrine » ? Tout à coup, tout s’éclaire. Je ne me sens plus responsable et peint directement ce qu’est la chose, avec les déformations nécessaires. Pour tourner la question d’une autre manière, je parlais un jour avec Harold [Rosenberg], lors d’un jury, et je lui disais : « J’aimerais peindre comme si je n’avais jamais peint ou comme si je n’avais jamais vu une peinture ». Bien sûr, c’est impossible. Mais Harold disait que c’était la définition de Mallarmé du vrai poète : le poète à l’Éden.
(Philip Guston)

Ouvrage publié en partenariat avec The Guston Foundation, grâce au concours du Centre national du livre et de la Pearl Collection.

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