Et si la France tenait une partie de son avenir énergétique… juste sous ses roues à aubes ? Oui, ces 36 000 moulins qui jalonnent nos paysages depuis des siècles pourraient ensemble alimenter 1,2 million de personnes. Fallait-il vraiment attendre 2025 pour se dire que ce patrimoine qui moulinait déjà notre farine depuis le Moyen Âge pouvait aussi produire notre électricité ? C’est en tout cas la conviction – et le combat – de Maxime Delacourt, qui depuis près de trois ans s’emploie à réveiller ces géants endormis pour en faire une source d’énergie propre, locale et étonnamment sous-estimée.
Les Moulins en France – Un patrimoine énergétique sous-exploité
Avec ses 36 000 moulins encore exploitables, la France possède l’un des patrimoines hydrauliques les plus riches d’Europe, juste derrière ses églises et ses châteaux. Ces ouvrages remontent pour beaucoup au Moyen Âge, certains étant même attestés dès l’Antiquité tardive : pendant plus de dix siècles, les moulins à eau ont été au cœur de la vie économique française, fournissant l’énergie mécanique indispensable pour moudre le grain, scier le bois ou actionner les forges.
Certains, par exemple, comme le Moulin à papier de Sainte-Suzanne en Mayenne, ne sert pas le réseau hydraulique, mais fabrique toujours aujourd’hui du papier de façon artisanale, pur chiffon, à la main et feuille à feuille. C’est la renaissance d’une tradition papetière qui remonte au 13ᵉ siècle. Le Maître Papetier est l’un des derniers papetiers en France à produire lui-même sa pâte uniquement à partir de chiffon (vieux draps de coton, chanvre ou lin). Le résultat est un papier fin, luxueux, d’une qualité exceptionnelle et d’apparence ancienne unique. Tous les moulins n’ont donc pas disparu.
Aujourd’hui, pourtant, cette immense réserve d’ingénierie traditionnelle reste largement inutilisée. Des milliers de moulins, jadis essentiels aux villages et aux vallées, dorment silencieusement au bord des rivières, alors même qu’ils pourraient produire une énergie propre, locale et stable. Les estimations sont éloquentes : remis en service, l’ensemble de ces moulins pourrait alimenter en électricité près de 1,2 million de personnes — l’équivalent d’une métropole comme Lyon ou Lille. Un potentiel historique, patrimonial et énergétique, qui ouvre la voie à une transition écologique ancrée dans nos territoires et dans la longue histoire de l’eau en France.
Des moulins d’hier pour une électricité d’aujourd’hui
Avec Moulins Demain, Maxime Delacourt et son équipe de six passionnés se sont donné une mission ambitieuse : réveiller les moulins à eau endormis pour en faire des producteurs d’énergie propre. Leur objectif ? Transformer un patrimoine souvent oublié en une ressource locale, durable… et étonnamment efficace.
L’entreprise accompagne propriétaires privés, collectivités et entreprises dans toutes les étapes de la reconversion hydroélectrique : pré-diagnostic, étude de faisabilité, démarches administratives, montage des dossiers, puis assistance à maîtrise d’ouvrage. Un accompagnement clé en main qui séduit dans un contexte de flambée des prix de l’électricité, d’électrification massive des usages et de quête d’autonomie énergétique.
« Face à la volatilité du prix de l’électricité et au besoin de solutions locales, la demande explose », explique Maxime Delacourt. « La plupart de nos porteurs de projets veulent produire pour leur propre consommation et revendre le surplus au tarif d’achat garanti pendant vingt ans. D’autres s’orientent vers l’autoconsommation collective : alimenter une école, une mairie, ou encore une petite industrie locale. »

Pour accélérer l’identification des sites à fort potentiel, Moulins Demain a conçu un simulateur en ligne simple et accessible (Simulateur | Moulins Demain). En quelques minutes, il évalue gratuitement la production électrique possible d’un moulin et mesure son impact environnemental. Un outil pensé pour aider les propriétaires à franchir le premier pas… et parfois à découvrir qu’ils possèdent une véritable pépite énergétique.
- Création : janvier 2023
- Projets accompagnés : 120 dans plus de 40 départements
- 2025 : 3 projets autorisés, 8 en cours — premières mises en service attendues en 2026
- Équipe : 6 collaborateurs
- Chiffre d’affaires : 135 k€ en 2024 ; objectif de 300 k€ en 2025
Une entreprise au service d’une transition énergétique de proximité
En réhabilitant ces moulins, Moulins Demain ne se contente pas de restaurer un fragment de patrimoine : l’entreprise remet en mouvement une énergie de territoire longtemps oubliée. Chaque moulin réactivé devient une centrale locale à taille humaine, capable de produire une électricité décarbonée, stable et prévisible, là où elle est consommée. Ce modèle évite les grands chantiers industriels, limite les pertes en ligne et renforce l’autonomie énergétique des communes rurales comme des petites villes.
Mais la démarche va plus loin. En reconnectant les habitants à une ressource qu’ils pensaient reléguée au passé, l’entreprise participe à une transition énergétique qui n’est plus abstraite ni lointaine : elle devient tangible, visible, presque palpable. Les collectivités y trouvent un levier pour sécuriser leur approvisionnement, les propriétaires une manière de valoriser leur patrimoine, et les entreprises locales une opportunité d’alimenter leurs activités en énergie verte produite à quelques mètres de chez elles.
Loin des grandes infrastructures centralisées, ce modèle redonne aux territoires une forme de souveraineté énergétique douce et pragmatique : produire localement, consommer localement, décider localement. Les moulins, jadis moteurs de l’économie rurale, pourraient ainsi redevenir les points d’ancrage d’une énergie de proximité, durable et profondément enracinée dans l’histoire française.
Ailleurs en Europe : quand les moulins se reconnectent à l’électricité
La France n’est pas la seule à s’interroger sur le potentiel énergétique de ses moulins. À travers l’Europe, plusieurs initiatives montrent qu’un patrimoine hydraulique peut redevenir une source d’énergie locale, même si ces projets restent encore dispersés. Plusieurs projets européens se sont penchés précisément sur la remise en service d’anciens moulins ou d’ouvrages hydrauliques pour produire de l’hydroélectricité. L’idée n’est pas une exclusivité française : elle circule clairement à l’échelle européenne.
En Italie, en Suisse, en Pologne ou au Royaume-Uni, d’anciens moulins sont ponctuellement rééquipés pour produire quelques dizaines de kilowatts, suffisants pour alimenter un hameau, une ferme ou un petit atelier. Certains projets pilotes ont démontré la faisabilité technique de ces reconversions, mais rarement à grande échelle.
L’Union européenne elle-même s’est saisie du sujet. Le programme Restor Hydro a cartographié, dans toute l’Union européenne, le potentiel de « hidden hydropower » sur d’anciens sites hydrauliques (moulins, petits barrages, canaux), et promeut leur réhabilitation en petites centrales.
D’autres initiatives, comme le projet RENEWAT (Interreg Europe), travaillent sur la reconversion de moulins en infrastructures d’énergie renouvelable, en conciliant valorisation patrimoniale et production électrique.
Pour autant, la massification se heurte à plusieurs obstacles qui reviennent régulièrement dans les études et les retours d’expérience :
- Réglementation environnementale stricte : Les directives européennes sur l’eau et les continuités écologiques (poissons, sédiments…) font qu’on hésite parfois entre effacer les ouvrages (seuils, moulins, petits barrages) pour renaturer les cours d’eau… ou les rééquiper pour faire de l’hydro. Du coup, certains pays privilégient la restauration écologique pure plutôt que la production énergétique sur ces sites.
- Économie de projet souvent fragile : Beaucoup de petits moulins = petites puissances (quelques kW à quelques dizaines de kW), donc revenus limités. Là où il n’y a pas de tarif de rachat attractif, de subventions ou de coopératives locales, le modèle économique est plus difficile à faire tenir.
- Complexité administrative et morcellement des propriétaires : Dossiers lourds, autorisations multiples, normes environnementales, patrimoniales, électriques… En plus, les moulins appartiennent souvent à des particuliers, parfois à des familles, parfois à des communes : difficile de massifier les projets.
- Tension entre patrimoine, paysage et énergie / Réensauvagement des cours d’eau et production d’énergie : Dans certains pays, les moulins sont restaurés comme monuments ou sites touristiques (visites, musées, démonstrations de farine…), mais sans forcément aller jusqu’à l’équipement hydroélectrique et leur requalification énergétique.
- Modèles économiques parfois fragiles et arbitrages délicats entre préservation patrimoniale.
- Manque d’acteurs spécialisés “clé en main”. C’est là où une structure comme Moulins Demain est intéressante : peu de pays ont, pour l’instant, des acteurs qui se focalisent spécifiquement sur ce créneau patrimoine + hydro locale, avec un accompagnement complet (technique, administratif, économique).
Dans ce paysage européen encore fragmenté, l’approche de Moulins Demain fait figure d’exception : peu d’acteurs portent une vision intégrée associant patrimoine, transition énergétique locale et accompagnement complet des propriétaires. Une spécificité française qui pourrait bien inspirer nos voisins.
Eléonore Pignel, Journaliste UP’ Magazine
Photo d’en-tête : Moulin de Grand-Fayt dans l’Avesnois (59)






